#12 « Mon docteur m’a dit que c’est une migraine hormonale…et ma mère m’a dit que ça partira de toute façon à la ménopause »
Rôle des hormones sexuelles
Le rôle des hormones ovariennes dans la migraine est capital. Il explique pourquoi c’est une des maladies où le dimorphisme sexuel, c’est-à-dire la différence de fréquence entre femmes et hommes, est le plus marqué (Fig. 62). Chez les adultes, trois femmes en sont atteintes pour un homme ; 40 % des femmes wallonnes âgées entre 20 et 40 ans en souffrent (Streel et al., 2015) (voy. supra, # 8). Comme signalé, le dimorphisme sexuel n’apparaît qu’à la puberté, la migraine se déclenchant souvent à la ménarche (1res règles) chez les filles (Wijga et al., 2021).
La migraine va les accompagner durant toute leur vie avec des hauts et des bas qui dépendent du type de migraine.
La migraine sans aura disparaît huit fois sur dix pendant les deux derniers trimestres de la grossesse, mais la migraine avec aura peut apparaître ou s’aggraver pendant la grossesse.
Après la ménopause, la migraine sans aura s’améliore, voire disparaît deux fois sur trois, sauf si la femme reçoit un traitement œstrogénique pour bouffées de chaleur ou une autre raison. À l’inverse, la migraine avec aura persiste après la ménopause jusqu’à un âge avancé, mais souvent sous une forme acéphalalgique (sans mal de tête).
C’est avant tout le taux sanguin des œstrogènes et ses variations qui modulent les crises migraineuses (Fig. 63).
Un taux bas, comme avant la ménarche ou après la ménopause, est favorable, alors les fluctuations cycliques qui surviennent régulièrement après la ménarche ou irrégulièrement en préménopause aggravent la migraine.
Un taux élevé, mais stable, d’œstrogènes associé à un taux élevé de progestérone caractérise la grossesse et influe favorablement sur les crises sans aura, mais favorise les auras (Chauvel et al., 2013, 2018).
Des crises de migraine surviennent au moment des règles chez 60 % des migraineuses (Schoenen, 1985), mais seulement 10 % d’entre elles ont exclusivement des crises périmenstruelles (de deux jours avant jusqu’à deux jours après le 1er jour des règles), c’est ce qu’on appelle une « migraine menstruelle pure » (Loder, 2006) (Fig. 64A).
Les crises menstruelles sont déclenchées par la chute du taux sanguin des œstrogènes juste avant les règles qui coïncide avec le pic de fréquence des crises au cours du cycle menstruel (Fig. 64B). Ceci est confirmé par le fait que l’administration d’œstrogène juste avant que les taux sanguins baissent permet de décaler la crise menstruelle de plusieurs jours (Somerville, 1972) (Fig. 64C). Chez certaines migraineuses, une crise peut survenir à la fin ou juste après les règles à cause de l’augmentation du taux des œstrogènes au début du nouveau cycle, mais c’est nettement moins fréquent (MacGregor, 2008).
L’influence des hormones ovariennes sur les migraines a plusieurs explications dont certaines ont été mises en évidence dans notre laboratoire (voy. publications). D’abord, les œstrogènes favorisent la dépression corticale envahissante (DCE) responsable de l’aura (voy. supra, # 11), ce qui explique pourquoi la pilule œstro-progestative et la grossesse peuvent aggraver la migraine avec aura.
En revanche, les œstrogènes freinent l’activation du système trigéminovasculaire responsable de la céphalée migraineuse ; de ce fait, la diminution prémenstruelle des œstrogènes, à la fin du cycle menstruel spontané ou à l’arrêt de la pilule, favorise la survenue des crises de migraine sans aura ; a contrario, un taux stable d’œstrogènes et de progestérone pendant la grossesse les inhibera.
À l’inverse des œstrogènes, la progestérone, hormone du corps jaune, tend à calmer le cerveau.
Les relations entre pilules contraceptives et migraines sont complexes. De façon générale, la pilule contraceptive la plus courante, dite « œstro-progestative » ou « combinée » parce qu’elle contient un œstrogène et un progestatif, aggrave la migraine et n’est donc pas recommandée comme 1er choix de contraception chez une migraineuse (Sacco et al., 2017). Elle est même parfois le détonateur qui met le feu aux poudres et déclenche des crises chez une femme qui n’en avait jamais auparavant, mais qui a une prédisposition génétique pour la migraine. C’est assez fréquent chez des adolescentes à qui on prescrit une pilule fortement dosée en œstrogène (35 g) contenant un progestatif qui bloque les hormones mâles (Diane®, Claudia®, Daphné® ou Elisa®) parce qu’elles ont de l’acné, des cycles irréguliers ou des règles douloureuses. La pilule combinée peut favoriser la transformation d’une migraine épisodique en migraine chronique (voy. supra, # 6). Il est vrai que l’influence de la pilule sur la migraine varie entre les femmes adultes. Sous pilule, certaines d’entre elles voient leur migraine s’aggraver, d’autres n’ont aucun changement, une minorité s’en trouve même améliorée.
Quoi qu’il en soit, chez une migraineuse qui souhaite prendre la pilule œstro-progestative plutôt qu’un autre moyen contraceptif, il est préférable de proposer, en concertation avec son ou sa gynécologue, une pilule qui contient peu d’œstrogènes et appartient, si possible, à la 2e génération de pilules qui ont le risque thrombotique le plus faible. Si la migraine ne s’améliore pas suffisamment avec un traitement préventif de premier palier (voy. infra, # 13.4), il peut être utile de suspendre la contraception hormonale avant de passer à des traitements antimigraineux plus puissants. Cependant, l’amélioration de la migraine après l’arrêt de la pilule peut prendre plusieurs mois avant de se manifester.
Le choix est plus limité chez les femmes qui souffrent de migraine avec aura, éventualité qu’elles doivent absolument signaler à leur gynécologue. En effet, avoir cette forme de migraine double le risque de faire une thrombose cérébrale (ou un infarctus du myocarde) et ce risque est décuplé par la prise d’une pilule contraceptive œstro-progestative. Il est donc fortement recommandé de ne pas administrer de pilule combinée, a fortiori si la femme a d’autres facteurs de risque vasculaire (voy. supra, # 10).
Si d’autres moyens contraceptifs ne sont pas envisageables ou mal tolérés, on peut recourir à une pilule mono-progestative qui contient uniquement un progestatif (désogestrel-Cérazette®-Lueva®…, drospirénone-Slinda® ou diénogest-Dimetrum®) et dont le risque thrombotique est faible ou nul (Fig. 65). Un autre avantage de la pilule mono-progestative, pour autant qu’elle soit bien tolérée par la femme, est qu’elle réduit significativement la fréquence des crises de migraine avec aura (Nappi et al., 2011).
Les crises menstruelles, si elles sont exclusives ou persistent malgré le traitement préventif, peuvent être traitées en essayant de supprimer les variations hormonales du cycle ovarien (voy. Fig. 64) par la prise en continu d’une pilule contraceptive. Cela peut se faire avec une pilule combinée faiblement dosée en œstrogène, mais de préférence avec une pilule mono-progestative (Fig. 66).
Le traitement œstrogénique post-ménopausique modifie l’évolution naturelle de la migraine qui tend à disparaître après la ménopause, en maintenant un climat hormonal défavorable à la migraine (voy. Fig. 63). Il peut aussi révéler des crises de migraine avec aura. Il est donc préférable chez les migraineuses de soulager les bouffées de chaleur et autres complications de la ménopause par des traitements non hormonaux.
En 2017, la Fédération européenne des céphalées et la Société européenne de contraception et de médecine de la reproduction se sont mises d’accord sur les recommandations suivantes concernant la contraception hormonale chez les migraineuses (Sacco et al., 2017) :
- avant de commencer une contraception hormonale chez une femme, il faut vérifier si elle souffre de migraine et de quel type de migraine, et rechercher des facteurs de risque vasculaire ;
- chez les migraineuses avec aura qui demandent une contraception, il faut recommander une contraception non hormonale ou une pilule mono-progestative comme premiers choix ;
- chez les migraineuses avec aura qui prennent déjà une pilule œstro-progestative, il est prudent de la remplacer par une contraception non hormonale ou mono-progestative ;
- chez les migraineuses sans aura qui ont des facteurs de risque vasculaire (tabac, hypertension, obésité, antécédents familiaux de maladie cardio-vasculaire, thrombose veineuse profonde ou embolie pulmonaire), il faut recommander une contraception non hormonale ou mono-progestative ;
- chez les femmes qui développent une migraine avec aura sous pilule œstro-progestative, ou qui commencent une migraine sans aura en relation temporelle avec l’instauration d’une pilule œstro-progestative, il est recommandé de passer à une contraception non hormonale ou mono-progestative