#13 « J’ai tout essayé. Il n’y a de toute façon rien à faire ! »
Les traitements des migraines et des autres céphalées primaires
Préambule
Il est faux de dire qu’il n’y pas de traitement pour la migraine. Il y a plutôt pléthore de traitements, preuve qu’il n’y en a aucun qui soit miraculeux (Ducros et al., 2021) ! Comme les migraines ont une base génétique et que certains facteurs environnementaux ne sont pas évitables, il n’y a pas de traitement curatif à ce stade.
Tous les traitements sont symptomatiques, c’est-à-dire capables de réduire la sévérité et la fréquence des symptômes, ou même de les faire disparaître complètement pendant un certain temps, mais rarement de façon définitive. C’est l’évolution naturelle de la migraine qui vous en débarrassera éventuellement, par exemple après la ménopause ou par l’élimination d’un facteur aggravant (voy. supra, # 5).
Il faut savoir que dans la migraine, l’effet placebo atteint 20-30 %, voire plus, s’il s’agit d’un médicament injecté (Swerts et al., 2021). L’effet placebo (« je plairai ») est un effet thérapeutique bénéfique obtenu par la suggestion chez un sujet à qui on prescrit un traitement ou qui reçoit, dans le cadre d’un essai clinique, un traitement factice (« placebo ») parce qu’il a été versé par tirage au sort (« randomisation ») dans le groupe « placebo ».
L’effet placebo n’est pas psychique ; il s’accompagne de modifications enregistrables et reproductibles dans le cerveau : il est neurobiologique. Il existe pour tous les traitements et pour toutes les maladies, même pour le cancer, et il fait partie de l’arsenal thérapeutique du médecin en améliorant les résultats de son traitement, ne fût-ce que transitoirement.
Un effet inverse, qui peut survenir lors d’une prise en charge thérapeutique est l’effet nocebo (« je nuirai »). C’est l’alter-ego du placebo, puisqu’ici par auto- ou hétérosuggestion, le traitement sera moins efficace ou responsable d’effets secondaires, même s’il s’agit d’une substance inerte. Il est intéressant de noter que jusqu’à 20 % des traitements placebos dans les essais cliniques entraînent des céphalées (Mitsikostas et al., 2011).
Le problème dans les migraines (comme dans d’autres maladies dites « fonctionnelles » [sans lésion visible]) est qu’il existe une série d’approches thérapeutiques, dites alternatives, qui n’ont pas fait la preuve scientifique de leur efficacité, c’est-à-dire qui n’ont pas été testées contre un placebo dans une étude randomisée. Il ne faut pas les rejeter en vrac, car certaines peuvent être utiles (voy. infra, # 13.5), mais il faut privilégier des traitements dont la supériorité par rapport au placebo a été démontrée.
Tout migraineux invalidé devrait consulter un médecin, surtout s’il remplit les critères d’une migraine sévère (voy. Fig. 36). Hélas, on est loin du compte en Belgique, où seuls 38 % des migraineux semblent consulter régulièrement ; 62 % ne consultent pas, dont 26 % ne l’ont jamais fait et 36 % ne le font plus (Schoenen, 1995) (Fig. 67).
Un manque d’information et de reconnaissance de la maladie expliquent sans doute ces chiffres, mais aussi l’insuffisance ou l’utilisation inadéquate des moyens thérapeutiques.
#13.1 Principes généraux de la prise en charge thérapeutique
Soigner un migraineux commence dès qu’il entre dans le cabinet de consultation, et si possible même avant, et repose d’abord sur quelques principes généraux.
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L’anamnèse est une étape cruciale. Elle sert au médecin à recueillir des informations sur votre migraine en vous posant des questions dont la pertinence dépend de ses connaissances sur la maladie et ses symptômes. Elle permet aussi au médecin de mieux vous connaître, vous, vos traitements et examens passés, votre style de vie, vos antécédents personnels et familiaux. Sir William Osler (1849-1919), médecin canadien considéré comme le fondateur de la médecine moderne, disait, certes de manière un peu péremptoire :
« Il est bien plus important de savoir quelle sorte de patient a une maladie que de savoir quelle sorte de maladie a un patient. »
N’hésitez pas à ce stade de faire part de symptômes ou d’éléments de votre vécu sur lesquels le médecin ne vous a pas interrogé.
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L’anamnèse permet en général de proposer un diagnostic, à condition qu’elle soit complétée par un examen neurologique et clinique général. Alors que vous consultez pour un mal de tête, ne soyez pas surpris, si le médecin vous gratte la plante des pieds car ça permet d’écarter une anomalie neurologique, ni s’il prend votre pression artérielle et votre pouls, car certains traitements antimigraineux agissent sur le cœur, ni s’il vous pèse, car l’excès pondéral, en plus d’aggraver la migraine, est un facteur de risque cardio-vasculaire et (voy. supra, # 5) et les médicaments antimigraineux peuvent augmenter, ou plus rarement diminuer, l’appétit.
À la fin de cette étape, le médecin devrait avoir une bonne idée de votre profil individuel qui conditionnera le projet thérapeutique (Fig. 68).
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Les informations sur votre maladie et les stratégies thérapeutiques disponibles, ainsi que leur bonne compréhension sont indispensables pour le succès du traitement. N’hésitez pas à interroger votre médecin sur le diagnostic, les connaissances sur les causes et leurs zones d’ombre, le pronostic, l’intérêt ou non d’examens complémentaires, les traitements possibles avec leur chance de succès et leur risque d’effets indésirables. Cette étape nécessite de votre part un certain degré de littératie, c’est-à-dire de compréhension du vocabulaire médical, et de la part du médecin un langage que vous comprenez mais qui ne vous infantilise pas. N’ayez pas peur d’exprimer vos préférences pour l’une ou l’autre stratégie thérapeutique.
L’information du patient est le premier pas vers un traitement efficace et renforce un traitement déjà en cours. Cette étape vous permettra de tisser une relation de confiance avec votre médecin et de pouvoir adhérer au projet thérapeutique.
Un essai contrôlé randomisé réalisé dans notre Unité (Fontana, 2019) démontre clairement les avantages d’une information adéquate.
Vingt-huit migraineux chroniques traités par un anticorps monoclonal bloquant l’action du CGRP (voy. infra, # 13.4.2) ont été inclus dans ce travail. À la moitié d’entre eux, on a montré une vidéo éducative informant sur la migraine (« Calmer l’orage ») et on leur a soumis des questionnaires évaluant leurs connaissances sur la maladie, leur sentiment d’auto-efficacité, leur qualité de vie avant et un mois après la vidéo.
L’autre moitié de patients a répondu aux questionnaires sans avoir visionné la vidéo. Un mois plus tard, les connaissances, la qualité de vie et l’auto-efficacité se sont nettement améliorées dans le groupe vidéo, mais la fréquence de leurs migraines a aussi significativement diminué. À l’inverse, aucune modification ni des unes, ni de l’autre n’a été observée dans le groupe sans vidéo (Fig. 69).
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Le projet thérapeutique doit être discuté en détail avec votre médecin. Il doit être centré sur votre profil individuel (Fig. 68), être clair et obtenir votre adhésion (Eigenbrodt et al., 2021). Des objectifs doivent être définis en tenant compte des résultats connus des thérapeutiques actuelles et avec un optimisme mesuré. Vu qu’une prédisposition génétique est à la base des migraines, il n’y a (pas encore) de traitement curatif. Tous les traitements qui visent à modifier le décours de la maladie en réduisant la fréquence et la sévérité des crises restent donc symptomatiques, mais peuvent néanmoins induire des rémissions prolongées, tout comme d’ailleurs l’évolution naturelle. En recherche clinique, on considère qu’un traitement antimigraineux est efficace s’il réduit de 50 % la fréquence des crises chez 50 % des patients qui le reçoivent (critère des « répondeurs 50 % »). Mais en pratique, ce qui compte pour vous, c’est de savoir si le traitement améliore ou non significativement votre qualité de vie, ce qui dépend certes de sa capacité à diminuer la fréquence des crises, mais aussi leur intensité, leur durée et les symptômes associés, et de la façon dont vous le tolérez. Sauf exception (voy. infra, # 13.4), les traitements préventifs mettent du temps pour agir ; c’est pourquoi il ne faut pas les abandonner ou les changer avant deux à trois mois. Si votre traitement est un succès, on conseille de le suspendre progressivement après six à douze mois, pour voir si vous en avez encore besoin. En effet, si votre migraine passe en rémission, elle peut y rester pendant un temps variable, plusieurs mois ou plusieurs années (Schoenen et al., 2010). Retenez que tous les traitements antimigraineux peuvent avoir des effets secondaires, mais que leur importance varie fortement selon le type de traitement. Interrogez votre médecin sur les chances de succès du traitement choisi, mais aussi sur les effets indésirables, leur fréquence, leur gravité et leur durée… et leur prix.
La gestion efficace de votre migraine nécessite un suivi régulier dont vous déterminerez la fréquence avec votre médecin. Pour ce dernier, mais aussi pour vous-même, il est important de répertorier vos crises, les symptômes associés et la prise de médicaments de crise dans un calendrier de céphalées, soit en papier que vous pouvez apposer sur la porte du frigo pour ne pas oublier de le remplir (voy. Fig. 5), soit électronique téléchargeable sur votre smartphone, comme l’application « Migraine Manager® » (https://migrainemanager.care/fr/ ) qui se rappelle régulièrement à votre bon souvenir pour ne pas oublier de noter vos crises et permet à votre médecin, et à vous-même bien sûr, d’accéder à vos données.
Comme signalé au chapitre 1, il est très utile pour le médecin que vous consultez pour la première fois d’avoir un calendrier rempli depuis un ou plusieurs mois auparavant. C’est pourquoi, sur le site de certaines cliniques comme la nôtre, vous trouvez des calendriers téléchargeables lorsque vous prenez rendez-vous par internet. Pour des céphalées chroniques, quasi quotidiennes, remplir un calendrier pourrait focaliser l’attention du patient sur la douleur et entretenir celle-ci. Cette éventualité doit être discutée au cas par cas avec le patient. Plus récemment, surtout depuis la pandémie au covid-19, les téléconsultations se sont avérées très utiles pour le suivi des patients migraineux.
Le projet thérapeutique comprend schématiquement des traitements de la crise, éventuellement à différents stades du développement de la crise et, si nécessaire, des traitements préventifs (Fig. 70). Ces traitements devraient s’accompagner de conseils hygiéno-diététiques.
# bref. Les points cardinaux de la prise en charge d’un(e) migraineux(se) sont l’anamnèse, l’examen clinique, l’information rendue compréhensible et l’établissement d’un projet thérapeutique.
#13.2 « Est-ce que je dois changer mes habitudes de vie ? »
Les mesures hygiéno-diététiques
Les conseils concernant le style de vie sont d’autant plus importants chez les migraineux que leur maladie risque de persister durant la majeure partie de leur vie.
Ils doivent être ajustés au profil individuel de chaque patient (Fig. 68).
Pour une amélioration du style de vie des migraineux et de leur migraine dans leur ensemble, nous avons défini schématiquement six domaines dont les 1res lettres forment le mot « règles » (Fig. 71) :
- R pour repas,
- E pour E2 (symbole du 17-estradiol, le principal œstrogène endogène),
- G pour grossir,
- L comme lit,
- E pour exercice physique
- S comme stress.
Les conseils découlent de ce que nous savons sur les facteurs déclenchants ou aggravants de la migraine (voy. supra, # 5) et ses causes (voy. supra, # 11).
Ils doivent être adaptés au vécu personnel de chaque individu.