#4 « Moi, j’ai la migraine ophtalmique, ça commence toujours à l’œil »
L’aura migraineuse et ses différentes formes
La migraine anciennement appelée « ophtalmique » ou « classique » commence par un trouble neurologique, c’est-à-dire une aura (voy. supra, # 3), ainsi appelée car, étymologiquement, ce mot désigne en médecine une sensation subjective vague, toujours la même chez chaque malade, qui permet à celui-ci de prévoir l’imminence d’une crise. Le terme « migraine ophtalmique » devrait être abandonné, car il prête à confusion : ce n’est pas une migraine qui commence par une douleur au niveau de l’œil, ni celle qui s’accompagne d’une intolérance à la lumière ; en plus, l’œil lui-même n’est pas responsable de l’aura, mais bien la partie postérieure du cerveau qui reçoit les informations visuelles. La migraine avec aura, dénomination exacte, affecte 20 à 30 % des migraineux (Lipton et al., 2002).
Dans 90 % des cas, l’aura est visuelle et se manifeste comme une illusion (déformation de ce que l’on voit) ou une hallucination visuelle (on voit quelque chose qui n’existe pas). L’aura visuelle la plus typique est le scotome scintillant décrit et ainsi nommé pour la première fois par le médecin britannique Hubert Airy (1838-1903), lui-même migraineux (Eadie, 2009). Il est constitué d’une tache sombre centrale (= perte de vue c’est-à-dire un symptôme « négatif ») entourée de scintillations (= stimulation visuelle c’est-à-dire un symptôme « positif »), rappelant la disposition des fortifications de Vauban (Fig. 10).
Typiquement, la tache centrale commence par un point qui grandit au fil des minutes, repoussant vers l’extérieur les scintillations et finit par occuper toute une moitié du champ visuel. Vous pouvez vérifier que l’aura se trouve bien dans un hémi-champ visuel (et non pas dans un œil) en fermant l’œil du côté de l’aura : celle-ci sera toujours visible avec l’œil resté ouvert, preuve que l’aura est générée par le cortex visuel de l’hémisphère cérébral opposé à l’hémi-champ visuel atteint (Fig. 11). Si en fermant l’œil du côté de l’aura, vous ne voyez plus le scotome scintillant, il s’agit peut-être d’une aura d’origine rétinienne (migraine rétinienne), ce qui est très rare.
Contrairement à ce que l’on pensait jadis et qui est suggéré par le terme « aura », ce trouble neurologique ne précède pas toujours la céphalée, mais peut aussi apparaître pendant celle-ci, généralement à son début. Parfois, il ne s’agit pas d’un scotome scintillant, mais plutôt de vision de lignes zigzag, de taches sombres ou brillantes, de serpentins lumineux, plus rarement de déformation ou fission des images (métamorphopsies), ou d’une vision kaléidoscopique dans les nuances de gris. Certains de mes collègues prétendent (sans preuve) que Pablo Picasso aurait souffert d’auras migraineuses visuelles qui l’auraient inspiré pour ses œuvres.
Figure 11 : Auto-test pour déterminer l’origine cérébrale (ou rétinienne) de l’aura visuelle
Chez certains patients, l’aura visuelle est suivie (ou accompagnée) par des troubles sensitifs d’une moitié du corps, le plus souvent d’une main et de la moitié de la bouche. C’est une sensation d’endormissement avec fourmillements et picotements du même côté que l’hémi-champ visuel atteint par le scotome scintillant. Une fois sur dix, l’aura peut être uniquement sensitive.
Parfois, le trouble sensitif s’accompagne ou est suivi par des difficultés pour parler (manque de mot : « je sais ce que je veux dire mais je ne trouve pas le mot »). L’aura peut aussi s’exprimer par des vertiges et troubles de l’équilibre, des acouphènes, des pertes d’audition, de vue double, ou de perturbation de la conscience : on parle alors d’aura du tronc cérébral. Dans tous ces scénarios, les symptômes de l’aura sont réversibles et ne durent pas plus de 60 minutes.
De nombreux patients ont à la fois des crises avec et sans aura. Les crises de migraine avec aura ont souvent tendance à se grouper sur plusieurs jours successifs puis à disparaître pendant une période prolongée, contrairement à la migraine sans aura dont les crises surviennent de façon plus régulière (Fig. 12).
Chez les enfants, et rarement chez l’adulte, les troubles visuo-sensitifs peuvent entraîner une perception visuelle anormale des objets et de certaines parties du corps (dysmorphopsies) qui sont ressenties comme exagérément grandes (macropsies) ou petites (micropsies), réalisant le syndrome d’Alice au Pays des Merveilles, d’après le célèbre roman de Lewis Caroll qui, pense-t-on, était lui-même migraineux (Todd, 1955).
Exceptionnellement, l’aura se complique d’une hémiplégie, c’est-à-dire d’une perte de force d’une moitié du corps, qui peut durer plusieurs heures, voire plusieurs jours. C’est le cas dans les migraines hémiplégiques qui peuvent être familiales (migraine hémiplégique familiale) se transmettant de parents à enfants ou survenir chez un individu qui n’a pas d’antécédents familiaux (migraine hémiplégique sporadique) (Fig. 13).
Le diagnostic de migraine avec aura n’est pas toujours aisé si le trouble visuel n’est pas typique ou discret, mais il est crucial car il a des implications pour le pronostic, les traitements hormonaux et le traitement antimigraineux (voy. infra, # 10).
L’aura migraineuse doit être distinguée de l’accident ischémique transitoire (AIT), un déficit neurologique fugace dû à une diminution passagère du flux sanguin dans une partie du cerveau, et d’une crise d’épilepsie partielle, qui est due à une sorte de court-circuit entre neurones à un endroit limité du cortex cérébral.
Dans ces deux cas, les symptômes neurologiques sont plus brutaux et plus brefs que ceux de l’aura, parmi d’autres différences indiquées dans la figure 14. L’AIT et l’épilepsie nécessitent une exploration neurologique urgente pour déterminer leurs causes et les traiter.