#5 « Je sais ce qui déclenche et ce qui aggrave ma migraine »
Les facteurs déclenchants et/ou aggravants de la migraine
Les crises de migraine peuvent être favorisées par une série d’éléments différents appelés triggers en anglais. Il n’est pas toujours facile de distinguer un facteur déclenchant d’un facteur aggravant. En principe, le facteur déclenchant survient de quelques minutes à quelques jours avant la crise. Il déclenchera d’autant plus facilement une crise que le seuil migraineux est bas (p. ex., en période menstruelle) (Fig. 15). Ce seuil qui détermine la survenue de crises fluctue dans le temps (voy. infra, # 11). Quand il est haut, un seul facteur déclenchant (p. ex., la consommation de vin) peut très bien ne pas l’atteindre. Par contre, si plusieurs facteurs déclenchants se combinent (p. ex., manque de sommeil et ingestion d’alcool), une crise peut survenir même si le seuil n’est pas abaissé (Fig. 16).
Parmi les facteurs déclenchants, les plus fréquents (Van den Bergh et al., 1987 ; Kelman, 2007) sont une consommation, même modérée, d’alcool (surtout de vin), un manque de sommeil ou au contraire une grasse matinée, un repas manqué, la période péri-menstruelle à cause de la chute des œstrogènes sanguins juste avant les règles ou de leur augmentation à la fin des règles (« migraine menstruelle », voy. infra, # 12), une forte odeur ou une intense lumière (qui peut déclencher une aura visuelle dès l’ouverture du rideau de fenêtre en se levant le matin), l’ingestion de glutamate monosodique (rehausseur de goût utilisé notamment dans la cuisine chinoise) ou de donneurs d’oxyde nitrique (NO) (nitrates ajoutés comme conservateurs aux aliments ou dérivés nitrés utilisés pour traiter l’angine de poitrine), une hydratation insuffisante.
Des conditions météorologiques particulières, comme une dépression atmosphérique avec vent du sud et/ou temps orageux, l’hypoxie relative due à un séjour en altitude ou un voyage long courrier en avion, des traitements par œstrogènes ou une mauvaise hygiène de vie sont plutôt des facteurs aggravants qui abaissent le seuil migraineux de façon prolongée.
Un stress physique (exercice intense) ou plus souvent psychique (contrariété, émotion forte…) peut induire une crise migraineuse. Le rôle du stress dans la migraine est toutefois complexe. En effet, lorsqu’il est intense parce qu’il faut « aller au charbon », le stress peut protéger de la crise migraineuse, par exemple pendant un examen pour un étudiant ou un entretien d’embauche pour un travailleur, mais dans ces situations, la crise peut survenir après le stress. La décompression socio-professionnelle de la fin de semaine est aussi tenue pour responsable de la migraine dite « du week-end ». Une accumulation de petits ennuis stressants quotidiens dans le milieu familial ou professionnel joue par contre un rôle aggravant en abaissant le seuil migraineux et en augmentant ainsi la fréquence des crises (Fig. 16).
Figure 16 : Seuil et facteurs environnementaux de la migraine. Kelman Cephalalgia 2007. N=1207 patients
C’est aussi le cas pour certaines habitudes hygiéno-diététiques, comme consommer de la caféine en excès (café, Cola, Red Bull…) alors qu’au moment de la crise de migraine, la caféine a un effet bénéfique (voy. infra, # 13.3) ; chez certains sujets, l’aspartame, l’édulcorant contenu dans les boissons light, peut aggraver la migraine. Cela mis à part, nous manquons de preuve que d’autres aliments ou une intolérance au lactose ou au gluten ont un effet spécifique sur la migraine.
Le chocolat est souvent mentionné comme déclencheur d’une crise, le plus souvent à tort ; la fringale pour le chocolat est en réalité un prodrome migraineux, c’est-à-dire le premier symptôme de la crise (voy. supra, # 3). Dans une étude réalisée en 2001 (Lisicki et Schoenen, 2021), nous avons interrogé des migraineux sur leurs habitudes alimentaires et nous leur avons demandé de noter pendant deux mois ce qu’ils avaient mangé et bu la veille et quelques heures avant une crise de migraine.
Un tiers d’entre eux avait supprimé le vin de leur alimentation, considérant qu’il déclenchait des crises, 16 % avaient aussi supprimé le chocolat (Fig. 17A). 40 % des patients ont rapporté ressentir des fringales (en général pour des sucreries) la veille d’une crise et 30 % quelques heures avant la crise (Fig. 17B).
Quant à la consommation d’aliments avant la crise, 30 % des sujets ont mentionné le chocolat trois fois sur quatre crises, c’est-à-dire la même proportion que ceux qui ont des fringales précritiques ; 18 % avaient consommé des édulcorants (Fig. 18). Ces résultats renforcent l’idée que manger du chocolat n’est pas responsable de la crise, mais plutôt la conséquence d’une fringale pour les sucreries qui est la première manifestation prodromique de la crise.
Une accumulation de fatigue ou à un travail éreintant aggravent aussi la migraine, tout comme peuvent le faire des traitements à base d’œstrogènes (pilule contraceptive ou hormones pour la ménopause) ou des troubles métaboliques comme l’hypothyroïdie ou des hypoglycémies réactionnelles survenant après le repas ou l’ingestion de sucres rapides.