Évaluation de l’effet de l’APL sur la qualité de l’eau par l’analyse de profils de nitrate en zone non saturée à grande profondeur
Richard Lambert; Sébastien Petit; et Marnik Vanclooster
Résumé
Des mesures de profils nitriques dans le sous-sol ont été réalisées par l’UCLouvain dans trois parcelles agricoles suivies par des mesures d’azote potentiellement lessivable (APL) depuis plus de 10 ans en région wallonne (Belgique). Ces profils azotés « profonds » (19 mètres, 22 mètres et 37 mètres) ont été réalisés pour appuyer et consolider l’argumentation soutenue par les modèles mathématiques qui montrent des délais parfois importants entre l’application de mesures phytotechniques en surface et l’observation d’effets sur la qualité des eaux souterraines.
Deux parcelles se situent dans la zone des sables bruxelliens (4 mètres de limon sur 15 mètres de sable et 7,5 mètres de limon sur 14,5 mètres de sable) et une en Hesbaye (13 mètres de limon, 5,5 mètres de conglomérats et 19,5 mètres de craie) ; ces deux régions constituant des réserves importantes d’eau potable. Ces parcelles ont été sélectionnées de telle sorte que leur historique cultural et d’éventuels « accidents culturaux » liés à la gestion de l’azote et ayant entraîné un niveau élevé d’APL, puissent être mis en évidence en profondeur.
L’objectif des carottages profonds était d’établir le lien entre les séries chronologiques des APL mesurés en surface annuellement depuis 2002-2003 et les gradients de concentration en azote nitrique observés sur les profils en profondeur.
Les temps et vitesses de transfert ont été estimés par trois approches :
- bilan de masse
- suivi de traceurs hydrologiques
- fonctions linéaires de transfert
Cette étude a montré que dans les conditions climatiques de la Moyenne Belgique (pluviométrie annuelle de l’ordre de 800 mm) la vitesse de lixiviation est inférieure à 1,5 m.an-1 pour les trois situations étudiées. Vu le niveau piézométrique (20 à 40 mètres sous la surface), une amélioration de la qualité de l’eau n’est pas envisageable dans l’intervalle de 12 ans qui sépare la mise en œuvre du Programme de Gestion Durable de l’Azote (PGDA), transcription de la Directive Nitrates en région wallonne.
D’autre part, il a été observé une tendance à la hausse des profils de nitrate avec la profondeur, alors que les APL récents étaient à la baisse par rapport aux APL anciens, ce qui confirme l’efficacité des mesures du PGDA et l’intérêt de l’indicateur APL comme mesure de la charge nitrique lixiviée en profondeur.
Introduction
Pour répondre aux objectifs de la directive européenne sur le nitrate et protéger les eaux souterraines contre la pollution d’origine agricole, la Wallonie a mis en place le Programme de Gestion Durable de l’Azote (PGDA) en 2002.
La Commission européenne a remis en question l’efficacité du PGDA, étant donné que la tendance générale de la pollution par le nitrate des masses d’eau vulnérables n’a pas encore été substantiellement améliorée.
L’efficacité du PGDA ne peut cependant être démontrée qu’à long terme. Étant donné qu’en général, une importante zone non-saturée (zone vadose) sépare le bas de la zone racinaire du haut de l’aquifère, un retard naturel de plusieurs années est attendu avant d’observer une inversion de tendance. Ce délai naturel et donc l’efficacité du PGDA, dépend de différentes conditions environnementales (type de sol, profondeur de la zone vadose, conditions agricoles, conditions hydrogéologiques,…). De plus, les résidus d’azote qui ont chargé la zone vadose dans la période précédant le PGDA peuvent persister longtemps dans le sous-sol ; la lixiviation de cette « pollution historique » peut prendre de nombreuses années.
Objectif
Très peu d’études permettant d’évaluer quantitativement les temps de transfert du nitrate dans le sous-sol ont été réalisées en Wallonie. En outre, la plupart de ces études rapportées dans la littérature utilisent des approches de modélisation dont la base expérimentale est plutôt faible. Il y a donc lieu de consolider la base empirique d’évaluation du transfert et du temps de séjour du nitrate dans le sous-sol pour contribuer à démontrer l’efficacité de programmes tels que le PGDA.
Depuis la mise en place du PGDA, l’UCLouvain et Gembloux Agro-BioTech (membres scientifiques de la Structure PROTECTeau) encadrent un réseau de fermes de référence (De Toffoli et al., 2022). Des parcelles de ces fermes font, chaque année, l’objet de conseils de fertilisation azotée et de mesures d’APL pour établir les références APL servant à évaluer la conformité des exploitations contrôlées (Wouez, 2022). Pour certaines parcelles, les itinéraires culturaux et les résultats des mesures APL sont recensées sur une période d’une quinzaine d’années. Ces parcelles ont souvent connu des modifications importantes de la gestion des intrants azotés depuis la mise en œuvre d’un encadrement par les partenaires scientifiques.
L’objectif de l’étude (Petit & Vanclooster, 2014) visait à :
- fournir des mesures directes permettant de consolider et valider les modèles sur lesquels s’appuie la Wallonie pour répondre aux interrogations de la Commission européenne ;
- interpréter les profils de nitrate du sous-sol non saturé de parcelles agricoles soumises à des améliorations importantes de la gestion des intrants azotés et
- estimer les temps de transfert du nitrate le long de ces profils et estimer le temps de retard de l’impact du PGDA sur la qualité nitrique des aquifères.
L’étude réalisée par l’UCLouvain, en collaboration avec Gembloux Agro-Bio Tech, s’articule en quatre étapes :
- sélection des parcelles
- réalisation des forages en profondeur et analyse des profils de concentration en nitrate
- modélisation du transfert de l’eau et du nitrate
- synthèse et conclusion
Méthodologie
La méthodologie est basée sur l’interprétation des profils de teneur en nitrate mesurés dans le sol et sous-sol de trois parcelles agricoles situées dans des zones sensibles au nitrate en Wallonie et caractérisées par une zone vadose profonde. Les zones vadoses séparent la zone racinaire du haut d’une masse d’eau souterraine. Les mesures proposées dans le PGDA ont été appliquées sur les parcelles depuis 2002 ; ce qui a conduit, à partir de cette date, à d’importants changements de pratiques agricoles sur ces parcelles.
Les parcelles ont été sélectionnées parmi le réseau de fermes de référence suivi depuis le début du PGDA et qui ont fait l’objet d’un suivi en termes de performances agronomiques et environnementales (De Toffoli et al., 2022).
Deux parcelles ont été sélectionnées au-dessus de la masse d’eau souterraine des Sables Bruxelliens (parcelles OLLN et CSE) et au-dessus de la nappe du Crétacé de Hesbaye (parcelle HESB). L’agriculteur exploitant la parcelle OLLN est producteur de lait et de volailles. La parcelle sélectionnée est principalement en rotation froment (Triticum aestivum)-betterave (Beta vulgaris). La parcelle CSE est située dans une exploitation de grandes cultures en TCS (non-labour et couverture permanente des sols). La rotation comporte entre autres des endives (Cichorium intybus ) et des pois de conserverie (Pisum sativum L.).
La parcelle HESB est également située dans une exploitation de grandes cultures (betteraves, céréales…).
Sur ces parcelles, des « accidents culturaux » marqués par une concentration élevée en nitrate pourront potentiellement être retrouvés en profondeur :
- sur la parcelle OLLN, un APL supérieur à 100 kg N-NO3¯.ha-1 a été mesuré en 2005 et 2006, après froment, suite à une fertilisation organique trop élevée appliquée fin 2004, après betterave
- la parcelle CSE a montré un pic APL isolé de 220 kg N-NO3¯.ha-1 en 2005, après une culture de lin
- la parcelle en Hesbaye, des APL supérieurs à 200 kg N-NO3¯.ha-1 ont été observés en 2004 et 2007
Dans chaque parcelle, le sol et le sous-sol ont été « carottés » jusqu’au toit de la nappe ou à la profondeur maximum techniquement possible. De plus, la masse d’eau souterraine a été échantillonnée à proximité des parcelles, soit dans un puits ou un piézomètre. Un aperçu des paramètres des carottages et d’échantillonnage est donné dans le tableau 1.
Tableau 1. Description des carottages de sol et des points d’échantillonnage d’eau.
Parcelle | OLLN | CSE | HESB |
Localité | Ottignies-Louvain la Neuve | Court-Saint-Etienne | Crisnée |
Aquifère | Sables Bruxelliens | Sables Bruxelliens | Crétacé de Hesbaye |
Profondeur de la nappe | ±25 m | 21.5 m | ±40-45 m |
Profondeur de forage | 20 m | 23 m | 38 m |
Échantillonnage nappe | |||
NO3¯ | Puits à 385 m | carottage + puits à 385 m | Piézomètre à 790 m |
Traceur 3H | Puits à 385 m | carottage + puits à 385 m | Piézomètre à 790 m |
Traceurs CFCs/SF6 | Puits à 385 m | Puits à 385 m | Piézomètre à 790 m |
Des échantillons de sol ont été prélevés à des intervalles de 50 cm de profondeur. Ces échantillons sont ensuite analysés (humidité du sol, masse volumique apparente, texture, teneur en N-NO3¯, N-NH4+, N total, matière organique, N-organique, phosphore, CEC, cations majeurs (Mg, Mn, K, Ca) et anions (Cl, SO4) et pH).
L’historique des pratiques agronomiques et les résultats du suivi des APL réalisé sur ces parcelles pilotes depuis 2002 ont été extraits de la base de données constituée par les partenaires scientifiques de PROTECT’eau.
L’infiltration moyenne d’eau à la surface du sol a été estimée à partir des observations météorologiques collectées par des stations agro-météorologiques à proximité des sites entre 2002 et 2014.
Des modélisations statistiques et conceptuelles intégrant l’évolution de l’APL, l’infiltration de l’eau et la teneur en azote nitrique dans le sol en profondeur ont permis de déduire un temps de séjour et de transfert de l’eau et du nitrate dans la zone vadose.
En outre, des traceurs isotopiques et géochronologiques (3H, CFC, SF6) ont été analysés dans les échantillons d’eau souterraine sous chaque parcelle pour évaluer localement l’âge de l’eau souterraine échantillonnée (Arnaud & Baran, 2009 ; Davilà et al., 2013 ; IAEA, 2006). Cette dernière analyse a permis d’apprécier la convergence des temps de séjour et de déplacement tels qu’évalués à partir des carottes de sol, avec l’âge des eaux souterraines sous les placettes expérimentales.
Pour estimer le temps de séjour et de transfert à partir des résultats d’analyses des carottes de sol, trois approches de modélisation ont été mises en œuvre :
- une approche basée sur le bilan massique de l’eau et de l’azote dans le volume de sol collecté ;
- une approche basée sur un modèle de transfert linéaire de solutés pour analyser le lien entre les séries temporelles des APL mesurés annuellement en surface et les séries spatiales mesurées sur les profils de sol en profondeur. Dans cette deuxième approche de modélisation, les informations sur la distribution de l’azote le long du profil de la carotte de sol sont utilisées pour évaluer le temps de séjour et de transfert du nitrate. Le modèle linéaire de fonction de transfert (FT) englobe une composante liée au mouvement convectif du nitrate dans l’eau interstitielle du sol de la zone vadose et une composante liée à la dispersion du nitrate lors de son transfert dans le sous-sol. Un modèle inverse du modèle de FT linéaire a été mis en œuvre pour estimer le temps de séjour moyen et la variance du temps de séjour moyen du nitrate dans la zone vadose. Les paramètres de la FT ont été ajustés pour minimiser la distance entre les pics APL en surface et les fronts de concentration nitrique retrouvés en profondeur. Les temps de transferts évalués sont légèrement plus lents que l’approche par bilan de masse pour l’eau, mais nettement plus rapide que l’approche par bilan de masse pour le nitrate . Cela s’explique par la prise en compte dans le modèle des FT d’un temps de retard propre au nitrate par rapport à l’eau. Appliqué à la parcelle CSE de Court-Saint-Etienne, le temps de transfert nécessaire à l’atteinte du toit de nappe à 23 m et associé à un volume d’eau total du profil non-saturé de 3211 L.m-2, vaut 5625 jours, soit un temps de transfert de 15,41 années.
- une approche basée sur un modèle numérique (WAVEmat). Ce modèle a été utilisé avec succès pour modéliser le transport de l’eau et de l’azote dans la zone racinaire des cultures agricoles en de nombreux sites d’étude régionaux, nationaux et européens.
Résultats
Performances de la technique de carottage du sol
La technique géo-sonde roto-sonique déployée sur le site OLLN a montré des difficultés à carotter dans des couches de grès calcaires indurés mais elle a permis d’isoler des noyaux de sol non perturbés (pour les premiers 15 m). Le carottage de sol perturbé (combinant la tarière avec des techniques d’échantillonnage par martelage et fluidisation) déployé sur les parcelles CSE et HESB a permis de traverser et d’échantillonner la zone vadose à plus grande profondeur.
Analyse physico-chimique du sol
Les résultats des analyses physico-chimiques du sol (texture du sol, CEC, pH, N total, C total) étaient conformes aux observations visuelles des carottes, aux connaissances lithologiques et géologiques des trois sites d’échantillonnage.
Il a également été montré que la teneur en ammonium sur le complexe d’échange était généralement plutôt faible par rapport aux autres cations basiques. Cependant, dans le carottage OLLN, des niveaux élevés de teneur en ammonium ont été observés à des endroits singuliers, correspondant à la présence de couches de grès calcaires.
Les profils de concentrations sous les trois parcelles sont présentés aux figures 1a à 1c.
Traceurs géochroniques des eaux souterraines
L’interprétation de l’analyse du traceur 3H de l’eau souterraine était problématique car le signal global de ce traceur dans les eaux souterraines devient faible.
L’interprétation du CFC était également problématique en raison d’une incertitude concernant la migration de ce gaz dans la zone vadose et de possibles pollutions diffuses.
En revanche, le signal SF6, en combinaison avec les autres traceurs a permis l’estimation de l’âge de l’eau dans les masses d’eau souterraine sous les parcelles échantillonnées.
Impact du PGDA sur les profils nitrate en profondeur
Pour les trois parcelles étudiées, l’évolution temporelle de l’APL a été significativement impactée par le PGDA. On observe une diminution légèrement significative de l’APL (exprimé en kg N-NO3¯.ha-1) en fonction du temps.
Aussi pour les trois parcelles étudiées, les carottages profonds montrent une tendance à la hausse statistiquement significative (p-valeur < 0,05) des teneurs en nitrate (y = kg N-NO3¯.ha-1) avec la profondeur (x1 en m) (figures 2a à 2c). Cette tendance étant particulièrement marquée pour la parcelle HESB.
Il a également été observé que la teneur en nitrate de l’eau de recharge au sommet de la zone vadose, correspondant à des événements de lixiviation plus récents, est en général inférieure à la norme de l’eau potable (50 ppm de nitrate par litre). Ceci suggère fortement que, pour les trois parcelles étudiées, l’impact du PGDA diminue sensiblement la quantité de nitrate qui s’infiltre sous la zone racinaire des cultures agricoles et que cette diminution se traduit par une diminution de la teneur en nitrate au sommet de la zone vadose. Cela suggère également que l’on peut s’attendre à une diminution de la teneur en nitrate des nappes phréatiques lorsque le temps de transfert du nitrate à travers le sol et le sous-sol sera dépassé.
Estimation du temps de séjour et du temps de transfert du nitrate dans la zone vadose
Dans la première approche de modélisation par bilan de masse, seul l’écoulement piston convectif est envisagé et les informations sur la distribution de l’eau et de l’azote le long du profil du sol est ignoré. Cette estimation ne prend pas en compte les écoulements préférentiels. A partir des profils de teneur en eau volumique déterminés pour chaque parcelle, le volume d’eau total sur chaque profil peut être déduit (tableau 2).
En fonction des données météorologiques locales, une infiltration journalière moyenne est estimée à 0,6254 mm.j-1, soit une infiltration annuelle de 2,28 106 L.ha-1. Le temps de transfert hydraulique (TH) est calculé en divisant le volume hydrique total du profil (MH) par le volume d’infiltration annuel (Iannuelle). La profondeur du profil sous le premier mètre divisé par TH calculé donne une vitesse de transfert (VH) estimée pour le remplissage du profil jusqu’à sa teneur en eau actuelle.
Pour le temps de transfert du nitrate, on procède de la même façon. Sur la base des profils de concentration nitrique, on en déduit la masse totale d’azote nitrique (MN) contenue entre le premier mètre sous la surface du sol et le toit de la nappe, ainsi que la concentration minimale et maximale des horizons en nitrate et en azote nitrique. Considérant ces concentrations minimales et maximales et l’intensité d’infiltration, on peut déduire une charge annuelle en azote nitrique. En divisant la masse nitrique totale par la charge annuelle, on obtient le temps de transfert nécessaire pour remplir le volume d’azote total retrouvé jusqu’au toit de la nappe. La vitesse de transfert du nitrate est alors estimée par le rapport entre la profondeur du profil et le temps de remplissage (TN). Le temps de transfert moyen estimé par le bilan de masse en nitrate est nettement plus élevé que celui estimé par le bilan hydrique.
La fonction de transfert linéaire a prédit avec succès la forme des profils de teneur en nitrate aux trois parcelles. Les temps de transfert estimés à partir du modèle de fonction de transfert linéaire sont légèrement plus grands que les temps de transfert estimés à partir du bilan hydrique, mais plus petits que les temps de transfert estimés à partir du bilan azoté.
La combinaison de l’analyse des traceurs géochronologiques a permis de déterminer que l’âge de la nappe phréatique du site OLLN est d’au moins 18 ans. L’âge de cette eau est plus élevé que celui de l’eau sous le site CSE. L’âge estimé des eaux souterraines HESB est de 21 ans.
Ces estimations sont cohérentes avec les estimations des approches du bilan massique et par modélisation à l’aide des fonctions linéaires de transfert (tableau 3).
Pour la mise en place du modèle numérique (uniquement pour la parcelle CSE), le sous-sol a été discrétisé en couches de 10 cm. Pour chaque couche, les propriétés hydrauliques du sol ont été estimées à partir des mesures de texture du sol. Un scénario de modélisation a été construit pour une période de 30 ans. Les charges en azote en surface ont été établies à partir des APL observés depuis 2004 et pour la période avant 2004, estimées sur base des APL des fermes de références sélectionnées dans l’étude Prop’eau Sable (Lambert et al., 2002). Selon cette étude, la mise en œuvre d’un accompagnement scientifique et de mesures telles que la fertilisation raisonnée et les cultures piège à nitrate avaient permis une réduction de l’APL de l’ordre de 43 %. Sur base d’une hypothèse de réutilisation de 50 % de la quantité de nitrate de l’APL par les cultures de printemps, nous avons pu reconstituer le profil en nitrate tel que mesuré à la parcelle CSE.
Selon le modèle appliqué à la parcelle CSE, le temps de transfert nécessaire pour atteindre le toit de la nappe à 23 m et associé à un volume total d’eau du profil non-saturé de 3211 L.m-2, vaut 5625 jours, soit 15,41 années. Suivant le même raisonnement, le temps de transfert associé au pic de concentration observé à la profondeur de 18,5 m et cumulant 2200 L.m-2, vaut 4009 jours, soit 10,98 années. Ce modèle suppose que le pic APL de 220 kg N-NO3¯.ha-1 survenu en 2005 contribue bien au pic de concentration retrouvé à 18,5 m de profondeur (figure 1b).
Le modèle de simulation démontre que le PGDA permet d’inverser la tendance à l’augmentation du nitrate dans la zone vadose. La vitesse de déplacement estimée avec le modèle numérique était inférieure à 1 m.an-1.
Tableau 2. Transferts hydrauliques et nitriques estimés par bilan de masse pour les parcelles OLLN, CSE et HESB.
Paramètre | Formule | OLLN | CSE | HESB | Unités | |
(1) | Profondeur du profil | 19 | 22 | 37 | m | |
(2) | Volume hydrique total, MH | 35,22 | 32,11 | 76,84 | 106 L.ha-1 | |
(3) | Masse totale d’azote nitrique, MN | 430,5 | 588 | 845,6 | kg.ha-1 | |
(4) | Concentration moyenne en azote nitrique | (3)/(2) | 12,22 | 18,31 | 11,00 | mg.L-1 |
(5) | Infiltration journalière moyenne | 0,63 | 0,63 | 0,63 | mm.j-1 | |
(6) | Infiltration annuelle | 2,28 | 2,28 | 2,28 | 106 L.ha-1.an-1 | |
(7) | Temps de transfert hydraulique estimé | (2)/(6) | 15,43 | 14,07 | 33,66 | an |
(8) | Vitesse de transfert hydraulique estimée | (1)/(7) | 1,23 | 1,56 | 1,10 | m.an-1 |
(9) | Concentration en nitrate de l’eau d’infiltration, moyenne | 37,10 | 88,6 | 40,20 | mg.L-1 | |
Min. | 13,73 | 22,15 | 22,15 | mg.L-1 | ||
Max. | 60,47 | 155,05 | 58,25 | mg.L-1 | ||
(10) | Concentration en azote nitrique de l’eau infiltration, moyenne | (9)/4,43 | 8,38 | 20,00 | 9,08 | mg.L-1 |
Min. | 3,1 | 5 | 5 | mg.L-1 | ||
Max. | 13,65 | 35 | 13,15 | mg.L-1 | ||
(11) | Charge annuelle en azote nitrique de l’infiltration, moyenne | (6)*(10) | 19,12 | 45,65 | 20,72 | kg.ha-1.an-1 |
Min. | 7,08 | 11,41 | 11,41 | kg.ha-1.an-1 | ||
Max. | 31,16 | 79,89 | 30,02 | kg.ha-1.an-1 | ||
(12) | Temps de transfert du nitrate estimé, moyen | (3)/(11) | 37,33 | 29, 44 | 51,13 | an |
Max. | 60,84 | 51,52 | 74,09 | an | ||
Min. | 13,82 | 7,36 | 28,17 | an | ||
(13) | Vitesse de transfert du nitrate estimée, moyenne | (12)/(1) | 0,84 | 1,71 | 0,91 | m.an-1 |
Min. | 0,31 | 0,43 | 0,50 | m.an-1 | ||
Max. | 1,38 | 2,99 | 1,31 | m.an-1 |
Les différentes approches d’estimation du temps de séjour pour les trois parcelles sont résumées dans le tableau 3.
Tableau 3. Temps de séjour et vitesses de transfert du nitrate dans la zone vadose pour les parcelles OLLN, CSE et HESB.
Méthode d’estimation | OLLN (19 m) | CSE (22 m) | HESB (37 m) | |
Bilan de masse eau | Temps de transfert hydraulique (an) | 15,43 | 14,07 | 33,66 |
Vitesse de transfert hydraulique (m.an-1) | 1,23 | 1,56 | 1,10 | |
Bilan de masse nitrate | Temps de transfert du nitrate (an) | 37,33 | 29,4 | 51,1 |
Vitesse de transfert du nitrate (m.an-1) | 0,84 | 1,71 | 0,91 | |
Traceurs | Temps de transfert hydraulique (an) | >18 | >18 | 21,30±4 |
Vitesse de transfert hydraulique (m.an-1) | <1,11 | <1,28 | 1,74±0,33 | |
Fonctions linéaires de transfert | Temps de transfert du nitrate (an) | 17,39 | 15,41 | 29,57 |
Vitesse de transfert du nitrate (m.an-1) | 1,09 | 1,43 | 1,25 | |
Modèle numérique | Temps de transfert du nitrate (an) | 23,66 | ||
Vitesse de transfert du nitrate (m.an-1) | 0,93 |
Conclusion
Les observations et analyses réalisées sur des carottes de sol prélevées dans la zone vadose profonde et sur des échantillons d’eau souterraine, à l’aplomb de trois parcelles représentatives de la zone vulnérable en Wallonie, suggèrent fortement que l’application du PGDA a un effet positif sur le nitrate qui s’infiltre et percole jusqu’aux eaux souterraines.
Le délai pour observer une amélioration de l’état des eaux souterraines dépend, entre autres processus, du temps de transfert du nitrate à travers la zone vadose.
Pour les trois parcelles étudiées, les vitesses de transfert du nitrate ont été estimées à l’aide de trois approches.
Les différences méthodologiques ont permis des estimations cohérentes des vitesses de transfert inférieures à 1,5 m.an-1 dans la zone vadose des parcelles considérées. Il serait donc raisonnable d’affirmer que les améliorations de la qualité des eaux souterraines sous les parcelles ne peuvent être attendues que dans un délai de 12 ans à dater de la mise en œuvre effective et régulière du PGDA.
Les résultats de la présente étude suggèrent qu’une dégradation croissante est susceptible de persister encore un certain temps en raison de ce retard naturel. Cela ne doit pas être un argument pour remettre en cause l’efficacité du PGDA, mais plutôt un plaidoyer pour une mise en œuvre rigoureuse de celui-ci dans toute la zone vulnérable de la Wallonie.
Perspectives
En raison de contraintes de temps et de budget, cette étude n’a été menée que sur trois parcelles. De plus, le modèle numérique détaillé n’a été mis en œuvre que pour une parcelle. Pour augmenter la représentativité régionale de l’étude, le nombre de placettes d’étude pourrait être augmenté et étendu à d’autres contextes agro-pédo-géologiques de la Wallonie.
En ce qui concerne le carottage profond du sol, deux méthodes ont été utilisées. Il serait intéressant de savoir si la technique du carottage du sol introduit un biais. Le carottage avec perturbation du sol n’a pas permis d’évaluer l’impact de la microstructure du sol sur le transport du nitrate. En particulier, des méthodes alternatives pour évaluer la densité apparente du sol dans les carottes de sol profondes sont nécessaires.
En ce qui concerne les traceurs isotopiques et géochronologiques, des progrès significatifs peuvent encore être réalisés. En effet, les traceurs isotopiques peuvent non seulement être utilisés pour estimer l’âge de l’eau de recharge mais pourraient également être extrêmement puissants pour discriminer l’origine de la pollution des eaux souterraines. Tout cela offre des perspectives pour la recherche fondamentale et appliquée sur le devenir et le transport du nitrate dans les zones vadoses profondes.
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