De la mesure du reliquat à l’estimation de la lixiviation du nitrate sous les parcelles agricoles dans les baies « algues vertes » de Bretagne

Virginie Parnaudeau et Anne Guézengar

Résumé

Dès la mise en œuvre du plan de lutte contre les algues vertes (PLAV) en 2010, un réseau de mesures du reliquat début drainage (RDD) a été mis en place pour identifier les exploitations qui doivent améliorer leur gestion de l’azote, essentiellement sur la fertilisation. Ce réseau comptait environ 7000 parcelles en 2011, avec trois mesures par ferme.

Un autre objectif a été formulé en 2011, à savoir l’estimation du risque de la lixiviation du nitrate à partir du RDD, afin, d’une part, de permettre aux agriculteurs de se faire une idée du risque de pertes d’azote dans leur situation et d’autre part, de fournir un indicateur d’impact environnemental des pratiques des agriculteurs dans leur contexte.

Ce dispositif, les méthodes de prélèvement et de traitement des données et l’utilisation des résultats ont été discutés et validés au sein d’un groupe technique appelé « GT reliquats » du PLAV, constitué de représentants de l’administration, du développement agricole (dont la Chambre d’Agriculture de Bretagne) et de la recherche agronomique (INRAE). Les résultats de chaque exploitation ont été envoyés à chaque agriculteur en avril de chaque année par la DRAAF, et présentés collectivement aux conseillers de chaque département concerné (22 et 29). Dès réception des résultats, les agriculteurs sont invités à contacter leur conseiller pour analyser les résultats et envisager des améliorations dans leur gestion de l’azote si besoin.

La base de la méthode a été conçue et mise en place en 2011. Le principe est d’utiliser le logiciel Syst’N® pour estimer le risque de lixiviation du début drainage au 15 avril (fin estimée de la période de drainage) à partir de la mesure du reliquat de chaque parcelle, de ses caractéristiques (sol, historique d’apport de produits organiques) et des données météorologiques locales. Après avoir réalisé une analyse de sensibilité aux propriétés des sols du territoire concerné, un seul type de sol a été retenu. Un nombre important de simulations (3600) avec Syst’N® en sol nu est réalisé chaque année, permettant de générer un méta-modèle linéaire par zone climatique, qui dépend de la vitesse potentielle de minéralisation de l’azote du sol. Ce modèle est ensuite appliqué à la valeur de reliquat début drainage. Enfin, une valeur de d’absorption par le couvert (issue d’une observation sur la parcelle reportée sur un abaque) est également soustraite à la valeur calculée du risque de lixiviation. On remarque dans ce cas que dans les conditions bretonnes, avec hivers doux favorisant la minéralisation, et pluvieux, la quantité lixiviée peut être supérieure au RDD.

Des adaptations ont été réalisées sur la période, notamment relatives aux données météorologiques considérées (données de l’année ou données moyennes sur 10 ans). Le rendu aux agriculteurs a également été modifié à plusieurs reprises.

Introduction

Résultante de l’apport de nutriments, et en particulier de l’azote, par les cours d’eau, et de la conformation propice du milieu, l’eutrophisation des eaux littorales bretonnes est un phénomène qui perdure depuis plusieurs décennies. Or si la Directive Nitrates fixe le seuil de potabilité de l’eau à 50 mg NO3.L -1, la cible pour endiguer les marées vertes serait de l’ordre de 10 mg.L-1. Ces marées vertes ont été particulièrement prononcées de 2007 à 2009, notamment dans les Côtes d’Armor et ont fait l’objet d’un fort écho médiatique à la suite du décès d’un cheval et du malaise de son cavalier à proximité de la plage de Saint-Michel-en-Grève (22) du fait des émanations toxiques (H2S) des algues en putréfaction sur la plage. A la suite de cet évènement, un premier plan gouvernemental de lutte contre les algues vertes (PLAV) a été mis en place dès 2010. Il s’appliquait à huit baies « algues vertes » (BAV) (figure 1) et comportait trois volets :

  1. un volet portant sur l’amélioration des connaissances et la gestion des risques ;
  2. un volet relatif aux actions curatives : amélioration du ramassage et des capacités de traitement des algues échouées ;
  3. un volet préventif comprenant les actions à mettre en œuvre pour limiter les flux d’azote vers les côtes.

Ce dernier volet portait sur l’amélioration des techniques de traitement des effluents et eaux usées générées par les activités industrielles, agricoles et les collectivités locales, ainsi que sur l’aménagement du territoire et le changement de pratiques agricoles.

Figure 1. Localisation des huit baies « algues vertes » en Bretagne.

Au sein de ce volet préventif, il était proposé de rendre « obligatoire la mesure du reliquat azoté dans toutes les exploitations et la transmission des données aux services de police. Des mesures de reliquats après récolte sont ainsi réalisées dans toutes les exploitations (trois à quatre parcelles par exploitation) et les données individuelles relatives aux reliquats les plus élevées seront transmises aux services de police. Les résultats de ces mesures peuvent être utilisés par les services de police de l’eau et par le coordinateur régional des installations classées pour orienter les contrôles. […] Ces mesures de reliquats s’accompagnent de la mise en place d’un réseau de parcelles de référence qui devront permettre d’établir annuellement l’échelle des valeurs de reliquat (bon, à surveiller, excessif) selon les cultures et les situations pédoclimatiques.

Les mesures de reliquats dans les exploitations seront réalisées dès 2010 sur les deux baies pilote puis étendues à l’ensemble des baies « algues vertes » dans un délai maximal de trois ans. Le réseau des parcelles de référence devra être mis en place sur l’ensemble des baies « algues vertes » dès 2010 » (extrait DRAAF, 2010).

Comme le décrivent Hanocq & Guézengar (2022), c’est le RDD qui a été choisi et mesuré sur environ 7000 parcelles, durant une période de deux mois, avec un recalcul à la date réelle de début drainage. Le résultat communiqué aux agriculteurs n’était pas seulement le reliquat « brut » mais également une note calculée relativement aux reliquats d’un réseau de parcelles de référence. Elle prend en compte la conformité des pratiques de gestion de l’azote, notamment le raisonnement de la fertilisation azotée. Nous l’appellerons par la suite « note » ou « indicateur de pratiques de fertilisation ».

En 2011, une discussion en « groupe technique Reliquats » du PLAV, a validé cette note ‘relative’ en tant qu’indicateur de pratiques à risques mais pas en tant qu’indicateur du risque d’émission de nitrate vers l’environnement. La note permettait effectivement d’évaluer pour une culture donnée si l’agriculteur avait agi conformément aux bonnes pratiques de gestion de l’azote, mais pas si son système permettait d’atteindre de basses fuites d’azote. Une idée complémentaire était aussi de montrer aux agriculteurs la quantité d’azote qu’ils risquaient de perdre (par lixiviation) en comparaison à la quantité qu’ils apportaient aux cultures. Il a donc été décidé de calculer à partir du RDD (recalculé à la date de début drainage) un risque de lixiviation, appelé par la suite Indice de risque environnemental (IRE). Le présent article explicite les grands traits de la construction de la démarche de calcul de l’IRE.

Matériel et méthode

Dispositif de mesures des RDD

Le dispositif de mesures des RDD a été mis en place en 2010, avec deux périodes distinctes correspondant à un premier PLAV de 2010 à 2015 puis à un second de 2016 à 2021 (Hanocq & Guézengar, 2022). Le dispositif inclut des parcelles de référence situées dans des exploitations où la fertilisation est raisonnée avec certitude. Les autres parcelles sont appelées « parcelles communes ».

Dans la première phase, les prélèvements ont tous été réalisés systématiquement dans chaque exploitation cultivant des parcelles sur les bassins versants « algues vertes » (BVAV), à raison de trois RDD par ferme. Cela a représenté 6800 RDD pour 2300 exploitations, soit environ un RDD pour 27 ha sur les 1900 km² des bassins versants concernés. La campagne de mesures s’étalant d’octobre à décembre, la valeur de chaque reliquat a été recalculée à la date de début drainage (Hanocq & Guézengar, 2022).

Dans la seconde phase, l’échantillon des exploitations a été réduit d’un facteur 5 (80 % des exploitations étaient ciblées sur la base des résultats obtenus au cours du suivi de la période précédente comme les exploitations devant progresser le plus et 20 % des exploitations étaient tirées au sort). Au total, 1400 RDD ont été mesurés dans 480 exploitations.

Les échantillonnages ont été réalisés sur une période d’une semaine par culture. Les reliquats ont été mesurés (à part égale) sur ou après les trois types de cultures (céréales, prairies et maïs) les plus présentes en Bretagne.

Outil de simulation Syst’N

Syst’N® (Parnaudeau et al., 2012) est un outil de diagnostic des pertes d’azote dans les systèmes de culture qui simule des flux d’azote dans le système ‘sol-plante-atmosphère’. Il est constitué d’un simulateur basé sur un modèle de culture qui intègre des modules représentant différents processus du cycle de l’azote pour la plupart issus d’autres modèles :

  • AZOFERT (Machet et al., 2004) pour la minéralisation de la matière organique et des résidus de récolte ;
  • AZODYN (Jeuffroy & Recous, 1999) pour l’absorption d’azote par les cultures ;
  • STICS (Brisson et al., 1998) pour le bilan hydrique et la lixiviation du nitrate ;
  • NOE (Hénault et al., 2005) pour simuler les pertes de N2O par dénitrification et
  • Volt’air (Génermont & Cellier, 1997) simplifié pour les émissions d’ammoniac par volatilisation au champ.

Sur base d’une description des systèmes de culture, du sol et de données météorologiques, le modèle simule, au pas de temps journalier, des flux d’azote dont les émissions vers l’environnement (NO3, NH4+ et N2O) (figure 2).

 

Figure 2. Représentation schématique du logiciel Syst’N® (version client-serveur) associé à la base de données Pertazote.

Destiné aux conseillers et gestionnaires agro-environnementaux, un de ses intérêts est d’avoir des interfaces graphiques qui facilitent la description des systèmes de culture et des sols et un modèle du cycle de l’azote relativement simple. La version 1.0 (non diffusée publiquement) utilisée pour ce travail, n’incluait pas encore les cultures.

Démarche générale d’évaluation du risque de lixiviation

Pour calculer le risque de lixiviation (appelé IRE), les pertes de nitrate ont été estimées entre le début du drainage (date variable chaque année) et le 15 avril de l’année suivante (date moyenne de fin de la période de drainage) à partir du résultat du RDD et des principaux flux d’azote déterminant la lixiviation (figure 3).

 

Figure 3. Schéma de la démarche globale d’évaluation du risque de lixiviation.

À partir de 2016, les prélèvements étaient organisés sur une semaine par culture, la date d’initialisation de la simulation correspondait au mercredi de la semaine de prélèvement de la culture concernée, sans correction de l’effet de la date de prélèvement.

Comme il n’était pas envisageable de réaliser une simulation avec Syst’N® pour chacune des 6800 parcelles, un plan de simulations a été élaboré pour bâtir des méta-modèles linéaires (démarche présentée dans la suite). Ce plan a été ensuite intégré dans un tableau Excel© rassemblant les données nécessaires au calcul et permettant aussi de prendre en compte l’effet du couvert.

Tests préalables à l’utilisation de Syst’N

Le modèle Syst’N®, encore en phase de test en 2011, a d’abord été évalué et validé pour ce travail avec des essais réalisés par la Chambre Régionale d’Agriculture de Bretagne (CRAB) dans deux stations expérimentales situées à proximité des BAV. Dans ces essais, réalisés pour évaluer la minéralisation de l’azote, des mesures de reliquat et d’humidité du sol ont été réalisées tous les mois ; le modèle Lixim (Mary et al., 1999) a été utilisé pour en déduire la lixiviation par optimisation de quelques paramètres. Les résultats issus de Lixim sont considérés comme des estimations fiables de la lixiviation.

En fonction du contexte textural de la parcelle, le RDD est mesuré sur 30, 60 ou 90 cm de profondeur. L’effet de cette profondeur de sol échantillonné  sur le calcul du risque de lixiviation a été évalué : seules les parcelles où les prélèvements ont été effectués jusqu’à au moins 60 cm ont été considérées, car celles où une seule couche a été prélevée avaient sans doute des sols plus profonds (supérieurs à 30 cm). Pour cette évaluation, les entrées suivantes ont été considérées :

  • trois années climatiques contrastées : 2000, 2004, 2008 ;
  • une vitesse potentielle de minéralisation (Vp) constante = 0,6 kg N.ha-1.j-1 ;
  • reliquat initial de 20 à 250 kg N-NO3¯.ha-1 sur deux couches de 30 cm ;
  • répartition 60/40 % sur les deux couches.

Vu le nombre élevé de parcelles échantillonnées, il semblait impossible de simuler les risques de lixiviation pour chacune d’entre elles. Dans un premier temps, une analyse de sensibilité des résultats de lixiviation du modèle à différentes variables d’entrée (liées à la composante drainage de la lixiviation et à la quantité de nitrate lixiviable) a été réalisée. Il s’agissait de prendre en compte assez de variabilité pour discriminer les cas réels : caractéristiques des sols, historique des parcelles et pratiques (correspondant à la vitesse potentielle de minéralisation Vp), reliquats et leur répartition sur les deux couches.

Évaluation de l’effet des variables influençant le drainage

L’effet du climat des quatre baies (une station météorologique par baie) concernées par les RDD en 2011 sur la minéralisation, le drainage et la lixiviation  a été évalué. Les simulations ont été réalisées sur une période de 10 ans, « toute chose égale par ailleurs » (même sol, même vitesse de minéralisation, même taux initial de remplissage de la réserve utile du sol (RU), même reliquat initial).

Nous avons ensuite évalué l’effet des types de sol (caractérisés par leur texture et densité apparente). La base de données Sols de Bretagne (Berthier et al., 2013a ; Berthier et al., 2013b) croisée à la géolocalisation des parcelles prélevées a permis de distinguer et caractériser 14 combinaisons substrat-texture dans la zone d’étude pour lesquelles les variables d’entrée pour le logiciel Syst’N®, telles que la densité apparente et les classes de texture ont été déduites (Al Majou et al., 2008).

Évaluation de l’effet des variables influençant la lixiviation

Nous avons d’abord évalué l’effet de la variation de la minéralisation des sols (variable Vp) sur la lixiviation entre 0,2 kg N.ha-1.j-1 à 1,8 kg N.ha-1.j-1. Syst’N® peut calculer la minéralisation potentielle à partir de caractéristiques de sols dont nous ne disposions pas pour les parcelles. Nous avons donc choisi d’imposer celle-ci dans le modèle en utilisant la variable Vp calculée avec des abaques par la CRAB (GREN, 2013) à partir des données (type de sol, rotation et fertilisation) des différentes parcelles.

Nous avons ensuite évalué l’effet du RDD sur la lixiviation, en faisant également varier la Vp de 0,2 kg N.ha-1.j-1 à 1,8 kg N.ha-1.j-1 pour chaque valeur de RDD (de 20 à 250 kg N-NO3.ha-1).

Plan de simulation

À l’issue des tests préalables, les variables les plus cruciales ont été sélectionnées pour construire le plan de simulation.

De 2011 à 2016, les simulations ont été réalisées sur 60 cm ou 90 cm de sol en fonction de la profondeur de prélèvement. À partir de 2017, par souci de rapidité d’exécution des prélèvements, seuls les deux premières couches ont été échantillonnées; la troisième couche a été estimée (15 % du résultat obtenu sur 0-90 cm) sur la base des observations réalisées entre 2011 et 2016. Ainsi à partir de 2017, toutes les simulations ont été réalisées sur 90 cm de profondeur.

En 2011, les simulations ont été réalisées avec les données météorologiques d’une station par baie, en faisant tourner le modèle sur les 10 dernières années, de façon à obtenir un risque de lixiviation. De 2012 à 2018, pour avoir des conditions climatiques plus proches de celles des agriculteurs, les données météorologiques utilisées ont été celles des stations météorologiques les plus proches (20 stations issues des réseaux CRAB et Météo France) avec le climat réel jusqu’au 31 décembre.

Le rendu aux agriculteurs étant réalisé en début d’année, il était nécessaire de générer une année « moyenne » du 1er janvier au 15 avril (date présumée de fin de lixiviation) avec une station de la baie (année choisie : 2003, dont les températures et le cumul pluviométrique de début d’année sont dans la moyenne).

En 2019, pour accélérer le rendu des résultats aux agriculteurs, une seule année climatique moyenne a été utilisée dès le début de simulation.

Prise en compte de la couverture hivernale du sol

La dernière étape a été la prise en compte de la couverture du sol au moment de la mesure du reliquat. Cette couverture peut être un couvert d’interculture, une culture d’hiver ou une prairie en place.

Lors du prélèvement pour le RDD, le préleveur note l’espèce présente et la hauteur du couvert. Celle-ci est ensuite traduite en biomasse puis en quantité d’azote absorbé grâce à un abaque de la CRAB (figure 4 pour l’année 2011). Pour chaque parcelle, le risque de lixiviation final (appelé IRE) a donc été calculé ainsi :

Lixiviation en sol nu de la date début drainage au 15/04 (calcul avec Syst’N®) – 90 % de l’absorption du couvert de la date début drainage au 01/03 (date moyenne de destruction des couverts).

Figure 4. Abaque de calcul de l’absorption prévisionnelle du couvert.

Traitements de résultats

Les résultats d’IRE sont destinés à chaque agriculteur et n’ont pas vocation à être traités statistiquement, le plan de simulation n’étant pas conçu pour cela.

Quelques traitements statistiques ont néanmoins été réalisés sur l’ensemble des années sur les parcelles communes pour analyser la variabilité des IRE en fonction de différents facteurs tels que l’année, la baie ou la culture précédant le RDD. Pour ces traitements, des valeurs très élevées considérées comme aberrantes ont été exclues en utilisant le seuil supérieur défini ainsi :

[latex]borne sup = Q3 + 1,5 \times interquartile[/latex]

Cela a amené à exclure 4,4 % de l’effectif. De plus, pour comparer la lixiviation issue des différents systèmes en faisant abstraction du climat, des simulations de toutes les parcelles ont été réalisées avec le climat océanique pluvieux de Douarnenez en 2011 et 2012.

Résultats

Tests préalables et obtention des méta-modèles annuels

Une évaluation sur base de résultats d’essais locaux menés par la CRAB (dans des conditions analogues aux BAV) a montré la bonne convergence des résultats du modèle avec les estimations de lixiviation issues de Lixim (figure 5), ce qui a permis de considérer les résultats du modèle comme fiables dans les conditions des BAV.

Figure 5. Évaluation du modèle sur deux essais réalisés en Bretagne, dans des conditions analogues aux baies « algues vertes » ; gauche : Crecom (22), essai CRAB ; droite : Trévarez (29), essai CRAB, Projet Casdar « Gestion durable de sols ». Les points sont des valeurs estimées avec Lixim et les traits continus sont les résultats de simulation avec Syst’N®.

L’effet du climat sur les sorties du modèle (drainage, lixiviation) est relativement marqué (figure 6) : la station de la baie de Saint Brieuc se distingue des autres stations. Ces résultats justifient de considérer dans le plan de simulation une station climatique par baie, voire plusieurs stations par baie.

L’effet du type de sol, correspondant à une texture et une densité apparente, testé dans deux climats contrastés (Concarneau et St Brieuc) et sur deux années climatiques contrastées (2000-2004) est peu marqué sur la lixiviation, les sols étant peu différenciés : la différence maximale est de 7 kg N-NO3.ha-1 sur la période 29/11 – 15/04 pour une année et une station climatique donnée (figure 7). Par conséquent, un sol ‘moyen’ a été retenu pour réaliser les simulations.

 

Figure 6. Effet du climat sur le drainage (haut) et sur la lixiviation (bas).

 

Figure 7. Effet du type de sol (2 sites), du climat (2 années) et du RDD (2 niveaux) sur la lixiviation entre le 29/11 et le 15/04.

Les résultats des simulations pour lesquelles la vitesse potentielle de minéralisation (Vp) a varié de 0,2 kg N.ha-1.j-1 à 1,8 kg N.ha-1.j-1, montrent (figure 8) :

  • un effet linéaire de cette variation sur la lixiviation lors d’hivers humides où le drainage est important et
  • une lixiviation non dépendante de la minéralisation hivernale lors d’hivers secs :  les valeurs étant presque constantes quelle que soit la Vp, pour chaque valeur de RDD. Dans ce cas, c’est le drainage qui est limitant et non la quantité de nitrate disponible.

Nous avons donc conservé la variable Vp dans nos simulations. Enfin, les simulations réalisées sur bassin de St Brieuc, au cours de deux années climatiques contrastées (2000 et 2004) montrent que la lixiviation est fonction linéaire du reliquat initial pour un faible drainage (2004) et fonction linéaire du reliquat initial, pour une Vp donnée, pour un fort drainage (2000) (figure 9).

 

Figure 8. Effet de la vitesse potentielle de minéralisation sur la période 29/11-15/04 dans le cas d’un hiver humide (St Brieuc, 2000) en haut et dans le cas d’un hiver sec (St Brieuc, 2004) en bas.

 

Figure 9. Effet du RDD et de différentes Vp sur la période 29/11-15/04 dans le cas d’un hiver humide (St Brieuc, 2000) en haut et dans le cas d’un hiver sec (St Brieuc, 2004) en bas.

 

Cette analyse de l’effet de la variation de différents facteurs nous a conduits en 2011 au plan de simulation initial présenté en figure 10.

 

Figure 10. Plan de simulation pour une baie.

Il a été modifié à partir de 2012 comme expliqué dans la partie matériel et méthodes. À l’issue de ces simulations réalisées par zone climatique chaque année, nous avons obtenu des méta-modèles linéaires établis avec des paramètres (a, b, c) variant par baie et par année :

Risque de lixiviation en sol nu (kg N-NO3.ha-1) = a x Vp + b x Reliquat + c

Cette équation a été appliquée à chaque ligne du tableau de résultats (format Excel©) des RDD (recalcul à la date de début de drainage ou valeur du prélèvement) correspondant à une parcelle, pour laquelle le calcul de la Vp a également été réalisé.

Variabilité générale des résultats d’IRE

Comme indiqué dans la partie « Matériel et méthodes », ces résultats n’ont pas vocation à être traités statistiquement. Des traitements simples ont été réalisés sur l’ensemble des années pour caractériser l’ordre de grandeur de la variabilité des résultats d’IRE. La grande majorité des parcelles ont un IRE inférieur à 100 kg N-NO3.ha-1 (figure 11).

Figure 11. Répartition des IRE (kg N-NO3¯.ha-1) sur l’ensemble des parcelles communes (hors parcelles de référence) entre 2011 et 2019.

Par ailleurs, des différences entre baies sont constatées, plus en termes de variabilité que de médianes (figure 12 haut).

La variabilité interannuelle (figure 12 milieu) est importante, même s’il est difficile de comparer les années entre elles dans la mesure où l’échantillon n’est pas le même tous les ans (sept BAV la première année, quatre BAV ensuite ; parcelles sélectionnées à partir de 2016).

Enfin, des différences entre cultures sont constatées (figure 12 bas) :

  • le résultat le plus marquant étant les valeurs faibles et peu dispersées de l’IRE sous prairie fauchée, qui confirment des résultats de recherches (Vertès et al., 2007) ;
  • un risque de lixiviation plus fort est constaté après maïs (en comparaison à une céréale), ce qui peut s’expliquer par le fait que le maïs soit plus souvent précédé par une prairie qui déstocke de l’azote dans les années suivant sa destruction ;
  • même si l’effectif est faible, l’IRE moyen du maïs grain est inférieur à celui du maïs ensilage, là encore sans doute du fait que le maïs ensilage, en ferme d’élevage bovin, est plus souvent précédé de prairie (11 % des cas) que le maïs grain (4,1 % des cas).

Figure 12. Dispersion des IRE (kg N-NO3¯.ha-1) en fonction de la BAV (haut), de l’année (milieu) et de la culture (bas) (Maïs = maïs dont le type n’a pas été précisé ; prairie = prairie mixte fauchée/pâturée ou type non précisé). ALO : anse de Loquirec ; ATR : anse de Guisseny ; BDO : baie de Douarnenez; BFO : baie de Fouesnant ; BFR : baie de la Fresnaye ; BSB : baie de St Brieuc ; GSM : Lieue de Grève

 

 

Résultats synthétiques des années 2011 et 2012

Les valeurs médianes de l’IRE sont meilleures en parcelles de références qu’en parcelles communes, et ce toutes les années (figure 13 haut). Ainsi, elles varient, selon les cultures et les années, entre 15 et 85 kg N-NO3.ha-1 en parcelles de référence et entre 25 et 100 kg N-NO3.ha-1 en parcelles ‘communes’. On observe donc de très importants écarts sur les parcelles ‘communes’, synonymes de grandes amplitudes d’impact environnemental d’une parcelle à l’autre, mais aussi probablement d’une exploitation agricole à l’autre.

La relation entre la qualification du RDD représentée par une note (Hanocq & Guézengar, 2022) et IRE est illustrée à la figure 13 (milieu) : les parcelles les plus mal notées ont un risque de lixiviation globalement plus important. Cela étant, cette figure montre également que des parcelles avec des notes différentes peuvent avoir le même risque de lixiviation, ce qui montre la complémentarité entre les indicateurs, la note indiquant la marge de progrès (le cas échéant) pour une culture donnée, l’IRE indiquant le risque d’émission de nitrate vers l’eau quelle que soit la culture.

La figure 13 (bas) montre que la lame drainante et la lixiviation qui en résulte varient selon les baies et expliquent en grande partie la variabilité que présentent les baies dans les résultats considérés dans leur ensemble. Les variations de résultats entre baies sont donc essentiellement liées à leurs différences de climat. Il est alors difficile de mettre en évidence des résultats qui seraient régulièrement moins bons à cause de pratiques élémentaires précises ou de système moins vertueux ; cela nécessiterait une analyse statistique plus approfondie.

Figure 13. Répartition des IRE en fonction des parcelles de référence ou communes (haut), de la note fertilisation des parcelles (milieu), de la baie en 2012 (bas).

 

Discussion

Limites de la démarche

Une limite de la démarche tient d’une part à la qualité des informations recueillies au moment du prélèvement. Ainsi, en 2011 (première année), des incertitudes ont porté sur les items suivants : faible profondeur de mesure de certains reliquats par rapport à la profondeur réelle du sol, espèce et développement du couvert (850 développements et/ou types de couvert mal ou non renseignés), cultures précédentes (143 codes inexistants pour les cultures et rotations), apports organiques (déjections ni produites ni importées mais épandues) et coordonnées géographiques (60 parcelles non géo-localisables).

À partir de 2012, le cahier des charges de la DRAAF à destination des prestataires en charge du prélèvement a été plus strict afin de garantir une fiabilité accrue des données recueillies et une profondeur de prélèvements de deux ou trois couches.

Le plan de simulations comporte également des lacunes : initialement, il y avait un seul climat par baie. A partir de 2012, une vingtaine de station météorologiques ont été utilisées pour décrire plus finement le gradient pluviométrique littoral – terre de chaque baie.

Du fait d’avoir utilisé Syst’N® sur sol nu pour le calcul de la lixiviation puis d’affecter un effet de prélèvement par le couvert, l’interaction entre les propriétés du sol et le développement du couvert n’a pas été prise en compte.

Certaines caractéristiques du sol, telles que le pourcentage de cailloux ont été négligées. La démarche initiale était fondée sur l’assemblage d’outils (Syst’N®, abaque des Vp, abaque des absorptions par les couverts) simples et opérationnels sur la zone considérée (départements 22 et 29). Cette démarche pourrait être améliorée en utilisant un programme informatique permettant d’automatiser la simulation de chacune des parcelles avec Syst’N®. Cependant, dans cette proposition, les simulations seraient potentiellement plus précises mais de nombreuses valeurs aberrantes pourraient être présentes.

Enfin une dernière limite de la démarche était le délai de transmission des résultats aux agriculteurs : entre les prélèvements et l’envoi s’écoulaient plusieurs mois du fait du temps de mise en œuvre de la méthode. Entre 2012 et 2016, la disponibilité des résultats RDD à la fin décembre amenait un rendu agriculteur à la mi-avril. Le resserrement de la campagne a permis d’effectuer le rendu en février. Cependant, les organismes de développement agricole souhaitaient obtenir les résultats et déployer les conseils en exploitation en amont de la campagne de fertilisation ; ce délai n’a jamais pu être tenu.

Usage des résultats

Les résultats sont destinés aux agriculteurs qui reçoivent au printemps suivant les mesures de RDD et les résultats d’IRE de leurs parcelles, assortis d’une notice d’explication dans un courrier cosigné par la DRAAF et l’agence de l’eau Bretagne-Normandie. De 2011 à 2015, les résultats étaient positionnés par rapport aux centiles 25 et 75 de l’ensemble des IRE. Un exemple de bulletin reçu par les agriculteurs figure en annexe.

Ensuite les agriculteurs ont pu bénéficier d’un bulletin avec des pistes de progrès personnalisées en fonction de leurs résultats sur les pratiques de fertilisation ou des risques inhérents à leur système de culture (succession de céréales d’hiver, protéagineux…) à réaliser en autodiagnostic afin d’inciter à l’engagement dans une phase de conseil plus approfondi.

L’usage par les agriculteurs a évolué dans le temps. Au démarrage de la démarche, le calcul de la lixiviation, simulé sur 10 ans, visait la sensibilisation des agriculteurs aux ordres de grandeur des pertes d’azote vers l’eau et la mise en perspective de ceux-ci avec les quantités d’azote apportées par la fertilisation. Assez rapidement, la demande des agriculteurs a plutôt été de comprendre ce qui se passait une année donnée, d’avoir un résultat plus concret pour guider les pratiques de gestion de l’azote. Cela a justifié l’utilisation des données météorologiques de l’année en cours pour être au plus près de la réalité de l’année en question.

Le second usage des résultats de lixiviation est une analyse synthétique annuelle des résultats, présentée au « groupe technique Reliquat » du PLAV, puis aux conseillers des baies au printemps suivant les prélèvements.

Une enquête réalisée en 2014 (DRAAF, 2015) auprès de 62 agriculteurs a montré que 27  % d’entre eux voyait un intérêt à l’estimation de la lixiviation. Ils mettaient cependant en exergue une certaine confusion entre les différents résultats (RDD, note de fertilisation (issue du RDD) et IRE), malgré les explications transmises avec les résultats. Par conséquent, un indicateur tel que l’IRE serait plus pertinent s’il était mobilisé soit en réunions collectives, soit en accompagnement individuel, mais pas envoyé par courrier « administratif » à chaque agriculteur.

Conclusion : la fin du dispositif

Tout au long des deux phases du PLAV, des discussions entre parties prenantes ont eu lieu en « GT reliquats » sur l’opportunité des différents indicateurs (RDD « brut », « plafond » sur le RDD, note fertilisation et IRE).

À partir de 2016, le RDD « brut » a été envoyé aux agriculteurs avec un avertissement si celui-ci dépassait 100 kg N-NO3.ha-1 : dans ce cas l’agriculteur devait obligatoirement prendre rendez-vous avec son conseiller.

En 2019, il est décidé lors d’une réunion annuelle du « GT reliquats », validé par le comité de pilotage du PLAV, de prioriser l’IRE par rapport à la note relative aux pratiques de fertilisation. Dans le relevé de décision, on peut lire que cela se justifie par la « nécessité de travailler avant tout en tenant compte des risques environnementaux – l’analyse et la valorisation des IRE et RDD sont donc la priorité. Partir de ces données doit être fait sans a priori. Il existe certes des situations dont la résolution ne sera pas nécessairement simple mais cela ne doit surtout pas empêcher que le problème soit posé ». Ce qui sous-tend cette dernière affirmation est le fait que la note fertilisation relativise le problème environnemental.

Cependant en 2020, suite à des discussions et négociations entre différentes parties prenantes (Administration, Agence de l’Eau, Chambre d’agriculture), la situation change à nouveau et il est décidé de ne retenir que la note issue des pratiques de fertilisation et de renoncer au calcul de l’IRE. Un des arguments est que les calculs induisent un délai de traitement qui conduit à différer excessivement les dates de réunions, l’animation vers les prescripteurs, puis leur valorisation vers les agriculteurs. L’autre argument est que la corrélation obtenue sur maïs entre RDD et IRE est importante (note de cadrage 2020 rédigée par la DRAAF).

Enfin, en 2021, les notes sont également abandonnées et le dispositif modifié : suivant l’avis de certaines personnes de l’Agence de l’Eau au sein du « GT reliquats », ce sont dorénavant des mesures de reliquat post-absorption qui sont effectuées uniquement sur parcelle de maïs et des RDD sur prairie.

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