Analyse transversale des usages du RDD dans des dispositifs territoriaux visant la reconquête de la qualité de l’eau

Marion Delesalle et Virginie Parnaudeau

Introduction

Conséquence de l’intensification de l’agriculture après la deuxième guerre mondiale et notamment, de l’augmentation de l’usage des engrais azotés de synthèse, les teneurs en nitrate des aquifères ont augmenté jusqu’à atteindre des niveaux qui engendrent des impacts importants sur l’environnement et la santé.

En 1991, l’Europe a mis en place la Directive Nitrates (91/676/CEE) dans l’objectif de réduire la pollution des eaux par le nitrate et l’eutrophisation issues des activités agricoles, et de prévenir l’extension de ces pollutions.

Certaines améliorations peuvent s’observer, par exemple en France, où depuis 2010 la concentration en nitrate dans les eaux a diminué sur près de la moitié de l’hexagone. Cependant, la situation s’est détériorée sur un quart du territoire français (Ministère de la Transition Écologique, 2019). Ces pollutions restent donc encore problématiques aujourd’hui.

En Europe, zone climatique de lixiviation hivernale du nitrate, un déterminant important de cette lixiviation est la quantité d’azote nitrique présente dans le sol au moment où le drainage démarre : le reliquat début drainage (RDD) (aussi appelé azote potentiellement lessivable (APL) en Wallonie ou reliquat entrée hiver (REH)). Même si le RDD ne permet pas de traduire une réponse des pratiques agricoles directement sur la qualité de l’eau des aquifères, il présente le grand intérêt de fournir un résultat intermédiaire, correspondant à l’impact des pratiques d’une année et des arrières-effets des années précédentes sur la quantité de nitrate qui est susceptible d’être lixivié durant l’hiver qui suit la mesure du RDD. Il fournit donc une information annuelle corrélée à un résultat sur la qualité de l’eau qu’on ne peut pas obtenir à cette échéance.

En Wallonie, les pouvoirs publics ont mis en place dans le cadre du deuxième Programme de Gestion Durable de l’azote (PGDA) en 2007, avec Gembloux Agro-Bio Tech (Université de Liège) et Earth and Life Institute (Université catholique de Louvain), un dispositif réglementaire fondé notamment sur l’utilisation de l’APL, qui s’est accompagné de la mise en place d’une offre de services d’encadrement et de sensibilisation des agriculteurs avec la Structure PROTECT’eau (Vandenberghe, 2010 ; Wouez, 2022).

En France, plusieurs dispositifs ont été mis en place dès les années 1990 à des fins de recherche : pour comprendre les processus de lixiviation et leurs déterminants, tester l’effet de pratiques agricoles ou évaluer des modèles. La mesure du RDD a également été mise en place dans différents dispositifs, qu’ils soient à visées d’observation, réglementaires, incitatifs ou pédagogiques. Ce fut le cas notamment dans l’Yonne, au sein du captage de Brienon-sur-Armançon en 2011, où les RDD ont servi de pivot à la gestion dynamique du plan d’action visant à diminuer la teneur en nitrate au captage au-dessous de 37 mg NO3¯.L-1 (Paravano et al., 2016). Dans le cadre d’une étude sur l’évaluation des démarches de protection de l’eau fondées sur des objectifs de résultats en matière de fuites d’azote, Morel (2020) a recensé et évalué les dispositifs mobilisant des RDD avec 13 critères, pour en tirer des préconisations pour le futur Programme d’Actions National nitrate (PAN). Ses résultats ainsi que les retours d’expérience captés dans des groupes de travail divers (ex. groupe de travail REH/APL du RMT Bouclage, groupe de travail du Plan de lutte contre les algues vertes) ou lors d’échanges informels, font état de dispositifs conduits différemment, avec des objectifs et des résultats divers, dont l’acceptation par les agriculteurs est variable et qui font parfois l’objet de défiance de la part de différents acteurs. Ces réflexions nous ont conduit à nous interroger sur les usages du RDD, en saisissant l’opportunité du séminaire REH/APL pendant lequel la majorité des dispositifs français et wallons sont présentés, pour réaliser une analyse des usages de ce reliquat.

Les RDD sont notamment mis en œuvre dans une diversité de cadres d’actions visant la reconquête de la qualité de l’eau ; cette mise en œuvre recouvre différents objectifs et produit des résultats variables en termes de qualité de l’eau et de dynamique agricole locale. Plusieurs hypothèses sous-tendent le travail rapporté dans le présent article :

  1. les usages des RDD sont multiples et vont au-delà de l’objectif d’amélioration de la qualité de l’eau pour lesquels ils sont initialement conçus,
  2. il existe des propriétés spécifiques aux dispositifs mobilisant les RDD qui conduisent à des résultats en termes de qualité de l’eau et d’évolution de l’agriculture,
  3. les résultats dépendent de l’implication de différents acteurs.

Du point de vue méthodologique, nous avons supposé que certains facteurs, clés de réussite et freins au déploiement du RDD, peuvent émerger des retours d’expérience des dispositifs RDD existants.

Ce travail a pour objectif  :

  • un partage d’expérience et la description des différents usages du RDD qui pourraient fournir aux futurs usagers du RDD une analyse transversale de ces usages et des grands traits qui s’en dégagent ;
  • décrire et analyser les caractéristiques et propriétés des dispositifs en fonction des usages qui sont faits des RDD et
  • pour chacun des usages identifiés, faire émerger les clés de réussite et points de vigilance pour les acteurs des dispositifs RDD.

Dans cet article, nous parlerons de “dispositif RDD” pour désigner l’ensemble des mesures de RDD réalisées et organisées sur un territoire pour un usage particulier.

Matériel et méthodes

Description des dispositifs enquêtés

Les retours d’expérience structurant le séminaire REH/APL sont représentés pour la plupart par des membres du groupe de travail REH/APL au sein du RMT Bouclage[1] ; pour les autres, ce sont des contacts fournis par certains membres parce que porteurs également d’une expérience marquante autour du RDD. Parmi les 20 retours d’expérience représentés lors du séminaire, 12 dispositifs mobilisant le RDD ont été analysés dans le cadre de cette étude ; en plus de deux autres dispositifs dont les représentants n’ont pas plus participé au séminaire. Ces 14 dispositifs mobilisant le RDD correspondent aux retours d’expérience qui relèvent d’un usage du RDD s’inscrivant dans un dispositif territorial fondé sur des actions visant à la reconquête de la qualité de l’eau.

Ces 14 dispositifs prennent racine dans des programmes, projets ou plans d’actions différents :

  • huit sont issus de programmes d’actions de bassins d’alimentation de captage (BAC) Grenelle dont trois des dispositifs entrent dans le cadre de programmes de recherche (pour la plupart en complément ou en réponse au programme d’actions BAC) ;
  • les deux usagers du RDD wallons enquêtés s’insèrent dans un cadre réglementaire pour contrôler les efforts fournis par les agriculteurs dans la protection de la qualité de l’eau (intégré dans le PGDA) ;
  • deux dispositifs prennent leur origine dans des systèmes d’aide financière incitative, des Paiements pour Services Environnementaux (PSE) et
  • deux proviennent de dispositifs territoriaux spécifiques, le plan de lutte contre les algues vertes (PLAV) en Bretagne et l’Objectif Reconquête de la Qualité de l’eau (ORQUE) dans le bassin hydrographique Artois-Picardie.

Ces cadres sont pour la plupart réglementaires, mais l’implication dans les dispositifs RDD est pour les agriculteurs de différentes natures :

  • obligatoire pouvant donner lieu à sanction,
  • obligatoire sans sanction,
  • facultatif avec échantillon ciblé d’agriculteurs par les animateurs en fonction des systèmes de culture,
  • facultatif avec engagement volontaire (plus ou moins actif) des agriculteurs ou
  • facultatif avec incitation financière.

Les dispositifs enquêtés sont principalement localisés dans la moitié nord de la France (figure 1).

 

Figure 1. Localisation des dispositifs RDD interrogés. (AAC : Aire d’Alimentation de Captage, CRAB : Chambre régionale d’agriculture de Bretagne, CA : Chambre d’agriculture).

Neuf des quatorze personnes interrogées pilotent (ou co-pilote pour l’une d’entre elles) le dispositif RDD analysé. Les cinq autres personnes interrogées sont issues d’organismes de recherche ou travaillent dans des structures d’accompagnement ou des bureaux d’études, accompagnants ou prestataires des pilotes des dispositifs. Ces personnes sont ou étaient en charge des mesures et/ou traitements des RDD dans les dispositifs.

Ces dispositifs RDD se distinguent par leur taille (entre quelques hectares jusqu’à plus de 10 000 ha), par le nombre de parcelles prélevées (de 4 à plus de 1000), ou encore, par le nombre d’agriculteurs suivis (de 3 à plus de 500) (tableau 1).

Tableau 1 : Description factuelle des dispositifs RDD enquêtés. AAC : Aire d’Alimentation de Captage, Bett : betterave sucrière, BPA : Bonnes Pratiques Agricoles, CA : Chambre d’Agriculture, CRA : Chambre Régionale d’Agriculture, CIPAN : Culture Intermédiaire Piège à Nitrate, DRAAF : Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la forêt, ha : hectare, ITK : Itinéraire technique et cultural, Nabs : azote absorbé, PdT : Pomme de terre, RPG : Registre Parcellaire Graphique, RPR : Reliquat Post Récolte, RSH : Reliquat Sortie Hiver, SCOP : Surface en Céréales, Oléa-Protéagineux.

Certains dispositifs ont déterminé des objectifs de RDD à ne pas dépasser (11/14), à partir de méthodes de détermination différentes, d’autres non (3/14). La majorité restitue individuellement les résultats de RDD (bruts ou accompagnés d’une interprétation) aux agriculteurs (11/14), soit uniquement par écrit (6/14), soit couplé à un entretien individuel (5/14). La majorité des dispositifs organise également des restitutions collectives des résultats de RDD (10/14) principalement sous forme de réunion annuelle (7/14), où au travers d’un accompagnement collectif plus participatif : ateliers, tours de plaines, etc. (3/14).

 

Entretiens et analyse des résultats

La méthodologie suivie pour analyser ces dispositifs est illustrée en figure 2.

Une grille d’entretien a tout d’abord permis de mettre en évidence l’ensemble des critères caractérisant un usage du RDD. Les questions posées rejoignent en partie les informations à recueillir dans un diagnostic des usages (Lefeuvre et al., 2020). Les familles de critères structurant cette grille sont synthétisées dans le tableau 2.

 

Figure 2. Schéma illustrant la méthodologie suivie pour analyser les données collectées lors des entretiens.
Tableau 2. Familles de critères structurant la grille d’entretien.
Principaux items de la grille
Présentation de la personne interrogée
Cadre général du dispositif dans lequel s’inscrit le REH
Description du dispositif
Acteurs impliqués dans les différentes étapes du processus
Utilisation des résultats
Effets du dispositif
Évolution, trajectoire du dispositif
Difficultés / contraintes

Les entretiens ont ensuite été menés auprès des 14 personnes recensées comme ayant eu un usage du RDD s’inscrivant dans un dispositif territorial tel que décrit plus haut. Les entretiens ont principalement été menés en visioconférence, pour des raisons sanitaires (COVID-19) et pratiques (gain de temps). Ils duraient en moyenne 1h30.

Les données collectées ont ensuite été traitées en cinq étapes.

La première visait à retenir les principaux critères, issus de la grille d’entretien initiale, permettant de décrire le dispositif analysé (ex : personne interrogée, structure, localisation, type d’agriculture, type de sol, nombre de prélèvements annuels, etc.).

La deuxième étape consistait à décrire l’usage du RDD au travers de trois déterminants majeurs :

  1. le cadre dans lequel s’insère la mise en place de mesures RDD (ex : programme d’action d’une AAC Grenelle),
  2. les acteurs qui ont un rôle dans le déploiement du dispositif autour du RDD,
  3. les objectifs de la campagne de RDD (ex : sensibiliser les agriculteurs aux risques de pertes azotées).

La troisième étape consistait à positionner les acteurs impliqués dans le dispositif sur deux axes : en abscisse, l’influence vis-à-vis du dispositif (ex : pilote du dispositif ; conseiller de la majorité des agriculteurs du territoire ; financeur) et en ordonnée, leur intérêt (ex : montrer la mobilisation des agriculteurs en faveur de la qualité de l’eau ; publications scientifiques ; opportunités commerciales).

La quatrième étape visait à réaliser une matrice « AFOM » (Atouts-Faiblesses-Opportunités-Menaces) pour chaque dispositif.

Enfin, la cinquième étape consistait à retracer la trajectoire d’évolution du dispositif, depuis sa mise en œuvre jusqu’à aujourd’hui (ou si le dispositif s’est arrêté depuis, jusqu’à sa fin).

Les trois premières étapes ont permis de définir les usages du RDD ainsi que leurs principales caractéristiques. Les deux dernières ont fait émerger des facteurs favorables et défavorables à la mise en place de ces dispositifs RDD.

Enfin, deux ateliers ont été organisés lors du séminaire REH/APL avec l’ensemble des participants pour discuter, compléter et valider l’analyse menée jusqu’alors sur les usages du RDD identifiés. Au cours d’un premier atelier collectif, les usages définis avec leurs caractéristiques ont été présentés à l’ensemble des participants, qui ont pu reformuler les usages, améliorer les définitions et compléter les caractéristiques. Puis, au cours d’un deuxième atelier, les participants ont travaillé en sous-groupe et par usage du RDD (chacun a pu choisir l’usage qui correspondait le mieux à son retour d’expérience) pour identifier les clés de réussite et les freins associés à l’usage en question.

Résultats et discussion

Les différents usages du RDD

Le recoupement des cadres d’usage, des acteurs et des objectifs pour chacun des dispositifs conduit à définir plusieurs types d’usages (tableau 3), sachant que certains dispositifs peuvent en avoir plusieurs.

Tableau 3. Définition des différents usages du RDD selon trois déterminants majeurs (ZAR : Zone d’Action Renforcée, ZSCE : Zone Soumise à Contraintes Environnementales).

Caractéristiques, freins et leviers des principaux usages

Les entretiens ainsi que les ateliers nous ont permis d’associer aux différents usages des caractéristiques spécifiques, ainsi que des facteurs favorisant ou défavorisant chacun des usages.

1.  Animation des territoires pour faire évoluer l’agriculture

C’est l’usage du RDD le plus partagé, où le développement d’une dynamique agricole à l’échelle du territoire est recherché, mais pour lequel le lien individuel entre animateur et agriculteurs n’est pas prioritaire. L’implication des agriculteurs y est volontaire mais ceux-ci ne sont pas forcément très actifs dans le dispositif. Cet usage implique de réaliser les mesures de RDD à la même période chez les agriculteurs du territoire, mais le fait de s’approcher le plus possible de la date de début du drainage n’est pas crucial.

Même si le dispositif vise à améliorer la qualité de l’eau, c’est souvent l’évolution des pratiques agricoles qui est évaluée plus que le résultat. La mesure du RDD est d’ailleurs souvent incluse dans des actions larges, où d’autres variables comme le RSH ou l’azote présent dans les couverts sont également mesurées. La communication vers les agriculteurs est souvent axée sur des pratiques agricoles (ex. CIPAN) et non sur les RDD. Il n’y a pas à proprement parler d’objectif de résultat à atteindre, le RDD est utilisé comme information pour faire évoluer les pratiques ou inciter les agriculteurs à le faire : on part de l’état initial chez l’agriculteur et on le fait évoluer. La mesure des RDD, et plus largement les reliquats, est aussi considérée comme vecteur de lien avec les agriculteurs.

Certains facteurs associés aux résultats et à leur valorisation favorisent la réussite des dispositifs qui ont ce type d’usage :

  • un nombre important d’exploitations qui augmente la fiabilité des résultats de RDD considérés dans leur ensemble,
  • la nécessité d’une analyse synthétique des résultats,
  • la diffusion collective des résultats mais aussi la restitution des résultats via un entretien individuel (facteur clé pour une meilleure compréhension des résultats par les agriculteurs).

Cependant, cet usage est souvent corrélé à un nombre de parcelles suivies important qui complexifie, d’une part, ces restitutions individuelles, et d’autre part, l’interprétation des résultats, du fait notamment de la difficulté du recueil d’informations individuelles fiables et précises sur les exploitations.

D’autres facteurs, plus liés aux acteurs, favorisent également ce type d’usage : l’identification d’agriculteurs “leaders” qui peuvent diffuser les idées, les échanges entre les préleveurs et les agriculteurs et la confiance vis-à-vis des prescripteurs (conseillers agricoles notamment).

À l’inverse, la variabilité des résultats peut décrédibiliser les RDD. Le diagnostic, en lien avec le résultat de RDD chez les agriculteurs, peut manquer de pertinence si l’on ne considère que les pratiques annuelles et non le système de culture. De trop nombreux interlocuteurs peuvent brouiller le message vis à vis des agriculteurs. Aussi, un turn-over important des animateurs peut déstabiliser le dispositif.

Enfin, un dernier risque existe avec cet usage en particulier : le fait qu’il soit assez répandu dans les dispositifs RDD signifie aussi qu’il est souvent associé à d’autres usages. Il est alors parfois difficile, notamment pour l’animateur, de se retrouver dans les différentes finalités de ces usages multiples du RDD ; ces finalités en matière d’animation, de communication, de traitement de données, (etc.) étant souvent bien distinctes. Les messages communiqués peuvent alors être moins clairs et l’ensemble des acteurs impliqués dans le dispositif peuvent ne pas se repérer dans la multitude d’objectifs visés.

2. Sensibilisation des agriculteurs à la qualité de l’eau et ses déterminants

Cet usage implique des échanges entre animateurs et agriculteurs mais à une vocation plus pédagogique que d’obtention de résultats. Dans les cas où ce sont les collectivités qui animent, et non une structure agricole, le RDD peut même jouer le rôle de lien social entre animateur territorial et agriculteurs. Dans ce cas, le laboratoire d’analyse (qui interagit directement avec les agriculteurs) joue un rôle crucial d’intermédiaire.

Quand il est l’unique usage pour le dispositif, les modalités d’utilisation du RDD sont simplifiées (envoi simple des résultats de RDD, synthèses simplifiées des RDD à l’échelle du territoire). Comme pour l’usage précédent, il est souvent inclus dans des actions larges, où d’autres variables comme le RSH ou la pesée des couverts, sont également mesurées pour faire comprendre la dynamique de l’azote ou rendre compte de “l’azote en jeu” via le RDD et l’azote des couverts.

La communication vis-à-vis des agriculteurs et autres acteurs agricoles est ici cruciale pour que ceux-ci se sentent concernés (même si c’est peu le cas dans cet usage). La visée pédagogique requiert de bien expliquer les enjeux, de vulgariser, d’avoir un langage compréhensible et d’avoir un message clair s’appuyant sur des données scientifiques et techniques (lien pratiques-pertes azotées-qualité de l’eau). Même si l’animateur peut légitimement parfois se poser des questions sur le dispositif ou ses résultats, il doit “ne pas transmettre son doute” dans la mesure où les agriculteurs associés à cet usage ne sont pas initialement convaincus de l’intérêt du RDD. Il est souhaitable de ne pas se focaliser que sur des messages environnementaux mais d’évaluer les pertes sous un angle économique. Cependant, il ne faut pas trop de “dispersion dans le message” pour ne pas perdre de vue l’objectif. Un des facteurs les plus défavorables à cet usage est d’ailleurs les messages contradictoires (sur l’intérêt des RDD ou l’efficacité de certaines pratiques agricoles) pouvant émaner des prescripteurs et influenceurs des agriculteurs qui minent l’adhésion au dispositif RDD.

Enfin, un dernier facteur favorisant la réussite est l’engagement du dispositif dans un temps long (durabilité du dispositif, pérennité des interlocuteurs).

3. Accompagnement des agriculteurs pour obtenir de l’eau de qualité à l’échelle de l’AAC

Cet usage du RDD est le plus corrélé à la reconquête de la qualité de l’eau : il implique de se focaliser sur l’objectif de résultats à atteindre sans se référer à un état initial (on ne vise pas une progression, mais un bon état). Il s’inscrit dans la construction participative du projet local, à l’échelle de l’AAC. Le RDD est ici un indicateur de résultat, notamment mobilisé dans le cadre d’un plan de gestion dynamique de la qualité de l’eau (Ferrané et al., 2020). Un RDD objectif (X kg Nmin.ha-1) est co-construit et partagé par les différents acteurs du territoire. Il oriente les actions entreprises par les agriculteurs et l’animateur. Les pratiques mises en œuvre pour atteindre l’objectif sont laissées au choix des agriculteurs, même si elles peuvent être envisagées au niveau d’une animation territoriale. L’accompagnement est à la fois individuel car des informations spécifiques sont données à chaque agriculteur, pour chaque parcelle, mais également collectif lors de réunions de travail annuelles ou des tours de plaine (« il faut que l’agriculteur voit clairement son résultat par rapport au collectif »).

Cet usage est donc associé à une interaction étroite entre animateur et agriculteurs (discussions individuelles et collectives), et entre l’animateur et les gestionnaires de l’eau qui délivrent un mandat clair à l’animateur. Il est important que l’animateur (en posture d’accompagnement et non de prescription) gère le dispositif sur le long terme et ait la confiance des agriculteurs. Une autre clé de réussite est l’existence d’une “tension féconde” entre les parties prenantes, se traduisant par une volonté affichée du commanditaire d’avoir une eau de qualité et la responsabilisation des acteurs agricoles pour l’obtenir. Il nécessite un soutien affiché des commanditaires et élus du territoire et repose sur une implication forte et volontaire des agriculteurs, favorisée par l’engagement d’agriculteurs « leaders ». La collecte, le traitement de données et l’animation sont souvent réalisés par la même personne, avec l’appui d’autres collègues. Cet usage requiert des échanges intelligibles entre acteurs diversifiés et de la confiance entre ces acteurs du dispositif (préleveur, laboratoire, conseillers locaux, animateur, agriculteurs et gestionnaire de l’eau). Là aussi, le préleveur joue un rôle important du fait de son lien privilégié avec les agriculteurs ; il est nécessaire de pouvoir avoir confiance dans la qualité de son travail pour valider les résultats.

Les autres facteurs clés de réussite sont l’implication d’acteurs locaux (pas à des échelles régionales par ex.) et de confiance, la mobilisation des conseillers (surtout les plus influents) et la participation assidue des parties prenantes au comité de pilotage de l’AAC.

4. Suivi de l’évolution de la qualité de l’eau à l’échelle de l’AAC

Cet usage mobilise le RDD comme indicateur de la teneur en nitrate, pour analyser son évolution dans le temps ; il est principalement celui d’établissements gestionnaires de l’eau. Il nécessite une connaissance du fonctionnement hydrogéologique du territoire (périmètre, temps de transfert connu, pas de transferts verticaux de l’eau, etc.). Le RDD est parfois utilisé en valeur brute (sans correction de l’effet annuel), ce qui peut poser des questions quant à l’interprétation de l’évolution entre années du fait de la variabilité climatique interannuelle.

Pour cet usage, il est crucial de réaliser un bon suivi temporel, en effectuant tous les ans la mesure juste avant le démarrage du drainage hivernal. Une météorologie très variable avant ou après la mesure peut rendre celle-ci difficile à interpréter. Il est aussi nécessaire d’avoir une bonne représentativité des parcelles échantillonnées en termes de sol et de systèmes de culture. Le lien entre RDD et qualité de l’eau sur l’AAC requiert une bonne représentativité de l’échantillonnage d’eau que ce soit dans une source, un drain, une galerie, un collecteur d’eau ou un puits. Différentes compétences sont nécessaires pour l’interprétation des résultats : agriculture, agronomie, hydrogéologie, traitement des données ; la complémentarité et multidisciplinarité au sein des équipes est très favorable (exemple de l’équipe de recherche wallonne qui accompagne PROTECT’eau et l’Administration au travers du référentiel APL).

Quand il est l’unique usage du dispositif, il s’agit souvent de territoires où les animateurs ont du mal à créer du lien avec les agriculteurs et à mobiliser les RDD pour agir. L’interprétation des résultats est d’autant plus difficile que les informations sont difficiles d’accès : manque de connaissances sur les pratiques (pas l’information sur le rendement par ex.), ou accès partiel aux parcelles des agriculteurs (selon leur accord).

5. Évaluation des pratiques des agriculteurs dans des actions réglementaires

Cet usage du RDD se distingue des précédents car il est mobilisé dans des actions plus coercitives initiées par des structures administratives ; il vise avant tout à vérifier la conformité des pratiques des agriculteurs aux meilleures pratiques préconisées ou obligatoires dans les territoires concernés. Il concerne souvent des dispositifs de grande superficie avec un nombre important d’agriculteurs et de nombreux types d’acteurs différents.

Cela implique notamment que le RDD mesuré soit comparé à des résultats de référence annuels (pour s’affranchir du climat), issus de fermes expérimentales ou de réseaux de fermes où les agriculteurs appliquent les pratiques recommandées ou obligatoires. La fiabilité des informations issues des fermes de référence doit être incontestable.

Un faible écart de RDD par rapport à la référence annuelle ne garantit cependant pas une bonne qualité de l’eau. Les résultats de RDD obtenus par un agriculteur peuvent être plus faibles que la valeur médiane du référentiel (pour une classe de succession de cultures donnée), mais cela ne signifie pas que ces résultats se traduisent par une faible concentration en nitrate sous-racinaire. En effet, cette même classe de succession de cultures peut être à l’origine de fortes pertes par lixiviation, par la dynamique d’azote dans le sol et la plante qu’elle induit.

Cet usage permet l’identification des pratiques non conformes mais pourrait permettre aussi celles des agriculteurs aux bons résultats (« vrais positifs », aux résultats meilleurs que le réseau de parcelles de référence), auxquels il peut être intéressant de s’intéresser pour connaître de nouvelles façons de cultiver propices à la qualité de l’eau.

Une clé de réussite de ce type d’usage est le rôle bien défini de chaque acteur (conseil, références, contrôle, laboratoire). Un risque possible est la défiance des agriculteurs vis-à-vis des mesures : la confiance entre acteurs et leur compétence reconnue sont donc des facteurs cruciaux pour cet usage.

6. Rémunération des agriculteurs à partir d’objectifs de qualité de l’eau à atteindre

Cet usage individuel mobilise le RDD pour PSE mis en place par des collectivités, pour lever les freins économiques au changement de pratiques agricoles. Le résultat individuel de la mesure du RDD est comparé à une valeur fixe de référence (X kg Nmin.ha-1). Dans le cas présent, l’objectif est uniquement un objectif de résultat, il n’y a aucun objectif de moyen. À noter que cet usage individuel du RDD peut freiner une dynamique collective déjà en place sur l’AAC (en passant d’une logique collective et « bénévole » à une logique individuelle et rémunérée). Un “bonus collectif”, obtenu si l’ensemble du groupe atteint un objectif donné, peut être mis en place sur certains territoires pour tenter de préserver une dynamique collective.

Un certain nombre de facteurs favorisent cet usage du RDD : la motivation des élus en charge de la qualité de l’eau, la co-construction du cahier des charge avec les agriculteurs, la connaissance de l’historique des mesures RDD, des agriculteurs déjà sensibilisés à l’intérêt des RDD, une bonne stratégie de communication sur le PSE (argument de « vente ») et enfin le fait que le PSE s’insère dans une animation territoriale plus globale (le PSE ne doit pas être la seule action mise en œuvre sur le territoire pour fédérer les acteurs).

En revanche, certains éléments freinent cet usage : un cahier des charges trop complexe, le manque de moyens humains, un temps administratif trop important par rapport au relationnel, et un manque de rigueur dans les mesures et la fixation des objectifs (dates de mesure, qualité des prélèvements, objectifs de résultats).

7. Compréhension des déterminants de la qualité de l’eau (usage environnementale) et développement des modèles

Cet usage du RDD mobilise des mesures nombreuses et des suivis temporels pour comprendre et prédire la qualité de l’eau dans une AAC. Les mesures de RDD sont associées à d’autres connaissances : fonctionnement hydrologique (temps de réponse du sol et de la nappe), pédoclimat, pratiques agricoles sur le long terme. Les agriculteurs sont assez peu actifs dans cet usage. Les RDD peuvent servir à l’étape de compréhension “générique” qui peut être extrapolée à d’autres AAC, de même qu’au développement de modèles de prédiction de la qualité de l’eau (étape propre à la recherche). Il est indispensable de mobiliser des chroniques de mesures sur le long terme. Il est ici souhaitable de pouvoir mutualiser des bases de données pour la modélisation (calibration, validation). Pour une utilisation dans les AAC, ces modèles doivent être génériques et validés, afin d’asseoir leur crédibilité auprès des utilisateurs des modèles ou de leurs résultats. Ils doivent avoir des variables d’entrée accessibles et des formalismes simples, transparents et appropriables par les utilisateurs, et prendre en compte des conditions locales (si possible représentatives et contrastées). Les RDD peuvent ainsi être utilisés pour renseigner un modèle ou l’évaluer dans une AAC donnée et si besoin pour réaliser une étape de calibration du modèle afin de l’utiliser localement. C’est l’usage privilégié des structures de recherche mais aussi des instituts techniques et bureaux d’étude. Les utilisateurs doivent avoir une bonne caractérisation initiale des systèmes ainsi que des répétitions de mesures dans le temps et l’espace. Si le modèle est utilisé pour la prédiction, il est utile de co-construire les scénarios (Ballot et al., 2022).

8. Compréhension des liens entre RDD et pratiques agricoles (usage agronomique)

Cet usage rejoint pour partie le précédent, dans la mesure où il a également comme finalité la compréhension de processus, ceux-ci étant ici relatifs à des connaissances agronomiques. C’est pourquoi les connaissances associées aux mesures de RDD sont de l’ordre notamment du diagnostic agronomique (azote absorbé par les couverts d’interculture ou culture en place lors du prélèvement du RDD, jours normalisés…). Les mesures sont utilisées dans des observatoires ou pour développer, calibrer, valider des modèles agronomiques. La bancarisation des données est nécessaire pour valoriser les mesures de façon optimale. Les facteurs de réussite relatifs à cet usage du RDD sont notamment liés à la qualité des données acquises : maîtrise de la chaîne des opérations (en limitant les opérateurs différents), protocoles rigoureux, personnel formé et motivé, qualité du prélèvement et de l’analyse, communication entre acteurs, implication des acteurs locaux, prise en compte d’effets mesurables (plan statistique adapté à la qualité des mesures, à la variabilité). A l’inverse, un budget trop limité, des prestataires peu fiables, le manque d’implication des agriculteurs et techniciens, le manque de connaissance des conditions particulières et les pédoclimats peuvent rendre les résultats de mesures inutilisables.

Autres usages

Les usages du RDD identifiés dans cet article ne sont pas exhaustifs. D’autres membres du groupe de travail REH/APL ont un usage du RDD que nous n’avons pas approfondi dans cet article (car nous avons choisi de traiter des usages visant à la reconquête de la qualité de l’eau dans les territoires). C’est le cas de l’équipe travaillant sur le modèle NIT-DRAIN dont l’usage de RDD estimés permet de prédire les concentrations en nitrate dans les eaux de drainage (Chelil et al., 2022) ou de l’équipe travaillant sur le modèle CHN à Arvalis qui utilise les mesures de reliquats, dont les RDD, pour paramétrer des outils d’aide à la décision et fournir des références pour le raisonnement de la fertilisation minérale.

Analyse transversale des usages du RDD

Après l’analyse de différents usages du RDD et leurs spécificités, nous avons réalisé une analyse transversale de ces usages pour en dégager les traits communs et divergents.

Les acteurs

L’analyse des matrices intérêt/influence des différents acteurs de chaque dispositif dégagent plusieurs tendances (figure 3).

 

Figure 3. Matrice de qualification de l’influence et de l’intérêt des quatre principales structures actrices vis-à-vis des dispositifs RDD analysés. Chaque croix correspond au positionnement a priori des acteurs dans chaque dispositif, à partir du retour d’expérience de chaque personne interrogée.

Les agriculteurs (figure 3a) ont la plupart du temps une influence importante : c’est dans leurs parcelles que sont réalisés les RDD, les dispositifs reposent donc sur leur mobilisation. Dans les usages obligatoires ou expérimentaux, leur intérêt est souvent assez faible, de même que lorsque les pilotes des dispositifs RDD sont les collectivités territoriales, à moins que les RDD soient associés à des PSE (dispositifs incitatifs). Les agriculteurs peuvent jouer un rôle moteur (en mobilisant d’autres collègues agriculteurs par exemple). L’intérêt des agriculteurs semble positivement influencé par plusieurs facteurs :

 

  • le fait que les RDD soient associés à d’autres mesures, tels que les RSH, permettant de calculer le bilan prévisionnel,
  • le fait que les RDD soient associés à d’autres actions, autour de la gestion des couverts d’interculture par exemple,
  • associés à une restitution individuelle réalisée par l’animateur.rice avec un temps dédié,
  • le fait que les résultats de REH fassent l’objet d’une restitution collective entre eux et les animateur.rice.s.

Les agences de l’eau (figure 3b) ont souvent une influence déterminante car elles assurent la majorité du financement des dispositifs RDD (80 % dans de nombreux cas), quel qu’en soit l’usage. Leur intérêt global est unilatéralement fort car motivé par la reconquête de la qualité de l’eau, mais leur intérêt pour les dispositifs RDD, au sens ici de leur implication, est variable. Il peut être plus faible quand ce n’est pas ce type d’action qui aurait été souhaité initialement ou quand ce sont de puissantes collectivités qui gèrent les dispositifs (plus faible intérêt corrélé à la plus faible influence qu’elles ont sur ce type de territoire). A l’opposé il peut être très fort mais pas toujours en faveur du dispositif dans des contextes de tensions entre les différents acteurs à propos des actions relatives à la qualité de l’eau et de leurs finalités.

Les collectivités territoriales (ici agglomérations, communauté de communes, syndicats d’eau, etc.) (figure 3c) ont une influence décisive dans la mesure où ce sont les commanditaires des dispositifs RDD (la fourniture d’eau potable relevant de leur périmètre de compétences). Un autre niveau d’influence qui recoupe l’intérêt, est le temps d’un salarié de la collectivité dédié au pilotage ou l’animation des dispositifs RDD ; ce qui ne veut pas forcément dire que la structure suit activement les résultats. Cela dit, les collectivités peuvent démontrer leur intérêt pour les dispositifs même si l’animation est confiée à une autre structure. Dans le cas où l’animation du dispositif est portée par la collectivité, la proximité aux agriculteurs est plus variable que lorsque c’est une structure agricole qui anime. Certaines personnes enquêtées mentionnent l’implication des élus des collectivités comme moteur de la mobilisation des agriculteurs et soutien à l’animation des dispositifs, y compris quand l’animateur.rice appartient à une autre structure.

Les Chambres d’agriculture (figure 3d) ont des influences et intérêts très différents entre dispositifs selon qu’elles soient pilotes et/ou animatrices des dispositifs RDD, ou a contrario si le dispositif RDD est piloté et animé indépendamment par la collectivité, sans interaction avec la Chambre d’agriculture du territoire. Dans certains cas où le pilotage est assuré par la collectivité, les Chambres d’agriculture sont intéressées par les résultats de RDD qu’ils mobilisent pour l’animation sur les questions d’azote ou pour le conseil individuel aux agriculteurs sur la gestion de l’azote. Enfin, dans d’autres cas, les Chambres d’agriculture peuvent avoir une influence dans des contextes de situations conflictuelles entre acteurs, par leur opposition aux dispositifs RDD qu’ils estiment être stigmatisants vis-à-vis des agriculteurs.

Les laboratoires, y compris leurs préleveurs, ont une place importante dans un dispositif RDD car en contact direct avec les agriculteurs et garant de la qualité des mesures de RDD.

En Wallonie, les structures sur lesquelles nous avons focalisé l’analyse n’existent pas en tant que telles. C’est le Service Public de Wallonie qui finance et pilote le contrôle associé au dispositif. PROTECT’eau, structure neutre et indépendante, pilote l’accompagnement des agriculteurs associé au dispositif. Elle travaille en collaboration étroite avec les deux partenaires scientifiques, l’Université Catholique de Louvain et Gembloux Agro-Bio Tech, qui établissent les valeurs de référence et garantissent la validité scientifique du dispositif, ainsi qu’avec les préleveurs qui ont un contact privilégié avec les agriculteurs.

Facteurs favorables et défavorables aux usages des RDD

Les facteurs favorables

Les liens que les animateurs ou pilotes des dispositifs entretiennent avec les agriculteurs du territoire sont mentionnés très largement par les acteurs interrogés comme facteurs clés dans leur usage du RDD. Ces liens se caractérisent souvent par des restitutions individuelles et personnalisées et parfois par des restitutions collectives fédératrices.

Dans les facteurs mentionnés par les usagers du RDD comme force des dispositifs, on retrouve d’autres leviers d’ordre humain. Parmi eux, l’expérience de l’animateur (d’autant plus s’il est en poste depuis plusieurs années) ressort comme déterminant. En lien également avec les animateurs, le fait qu’il y ait sur le territoire une personne dédiée à plein temps à l’animation et l’accompagnement des agriculteurs autour de l’enjeu qualité de l’eau ressort dans plusieurs dispositifs comme clé. Un autre facteur humain cité : les acteurs agricoles locaux du conseil, de la vente, de la recherche et développement qui se fédèrent dès le début pour lancer la dynamique RDD. En lien avec cette notion d’acteurs fédérés autour des dispositifs enquêtés, on retrouve la bonne relation entre les parties prenantes. L’implication des élus des collectivités, des acteurs locaux de l’administration et aussi de certains agriculteurs “leaders” et moteurs sont des facteurs de réussite.

Plusieurs leviers financiers ressortent également comme forces de certains dispositifs, notamment :

  • ceux qui n’ont pas de limitation budgétaire pour les mesures et l’accompagnement autour du RDD,
  • ceux dans lesquels les RDD sont financés ou
  • ceux dans lesquels les RSH sont aussi financés, en plus des RDD (les financements des reliquats étant des leviers très appréciés des agriculteurs).

En lien avec les leviers financiers, les PSE sont vus comme une opportunité d’usage du RDD.

Des leviers scientifiques qui crédibilisent les résultats et fédèrent véritablement l’ensemble des parties prenantes ont été mentionnés comme clé dans les dispositifs enquêtés :

  • l’accompagnement de l’INRAE dans le traitement des RDD,
  • les échanges avec des experts ou
  • l’expertise scientifique au centre de certains dispositifs.

 

Les freins qui ressortent des usages des RDD

De nombreux freins à l’usage du RDD ont été mentionnés par les usagers interrogés :

  • des freins d’ordre humain, mentionnant des positionnements ou conflits avec certains acteurs du territoire qui impactent l’engagement des agriculteurs ou freinent certaines initiatives ;
  • le turn-over important des animateurs BAC de certaines chambres d’agriculture ou de collectivités ;
  • le manque de compétences agricoles au sein de nombreuses collectivités ou
  • la solitude de l’animateur dans le portage du dispositif RDD dans les cas où un manque d’implication de la gouvernance de la collectivité porteuse est observé.

On dénombre aussi des problèmes de communication venant freiner l’usage du RDD. Les animateurs se trouvent souvent désarmés face à la remise en cause fréquente des agriculteurs dans leur rôle sur la qualité de l’eau. Certains mentionnent un malaise pour communiquer avec les agriculteurs sur les résultats ; d’autres porteurs de projet regrettent leur manque de pédagogie envers les agriculteurs ou l’absence de restitution collective qui aurait dû être organisée par la collectivité. Certains membres des comités de pilotage sur les BAC eux-mêmes remettent en cause le lien entre RDD et qualité de l’eau, ce qui freine la communication sur les résultats auprès des agriculteurs. Il est évoqué aussi les difficultés à dynamiser ces comités de pilotage BAC.

Les difficultés d’animation et de mobilisation des agriculteurs sont également des freins aux dispositifs RDD, mentionnés par les acteurs interrogés. Quand il ne s’agit pas d’une faible mobilisation des agriculteurs en réunion, il s’agit de difficultés à maintenir une dynamique collective sur le long terme ou encore un étiolement de la participation des agriculteurs aux réunions collectives. Ce manque de motivation peut s’expliquer par un manque de renouvellement du programme d’action ou du cahier des charges appliqué sur le territoire. Des difficultés à fédérer les agriculteurs autour du RDD et un faible intérêt des agriculteurs pour ce reliquat, voire un doute quant à sa fiabilité et son utilité, sont également exposés.

Des freins logistiques aux usages du RDD ont également été mentionnés. Parmi eux ressortent :

  • des difficultés d’échantillonnage des parcelles ;
  • des incertitudes autour des protocoles de prélèvements ;
  • des erreurs de prélèvements ;
  • une grosse charge de travail pour les laboratoires ;
  • un temps de réaction trop long de certains laboratoires pour obtenir les résultats et
  • un temps de réaction trop long avant déclenchement des prélèvements.

La taille du territoire peut également représenter un frein logistique. En effet, la taille du territoire peut être synonyme de :

  • plus de temps à passer dans l’interprétation des résultats et le suivi des agriculteurs,
  • plus d’imprécisions liées par exemple au recalcul des résultats nécessaires quand les prélèvements s’étalent dans le temps,
  • plus d’imprécisions aussi en cas d’extrapolation quand la surface est trop importante.

Les difficultés d’interprétation sont très souvent citées comme frein à l’usage du RDD. Parmi elles, des difficultés d’ordre scientifique, en lien avec l’interprétation, sont mentionnées :

  • variabilité de résultats entre laboratoires ;
  • valeurs extrêmes inexpliquées ;
  • couplage avec l’hydrologie complexe (lien difficile à établir entre les flux d’eau et d’azote sur la profondeur d’enracinement et ces mêmes flux au-delà de cette zone d’exploration racinaire, jusqu’à la nappe) ;
  • limites des modèles (pour estimer les flux d’eau et d’azote et expliquer les valeurs de RDD) ou
  • incertitudes liées à l’azote minéral réellement lixivié du fait de la minéralisation hivernale et donc des pertes post RDD.

Par ailleurs, de réelles incertitudes sur les mesures existent et sont augmentées dans les sols superficiels (variabilité spatiale) et dans les sols caillouteux car la charge en cailloux est toujours difficile à définir. Ces incertitudes sont d’autant plus problématiques pour des usages coercitifs, se traduisant par des amendes, ou des usages incitatifs, se traduisant par des primes.

Le nombre de parcelles suivies peut aussi représenter un handicap à l’interprétation des données :

  • pour les dispositifs dépassant les 1000 parcelles suivies, un référentiel comparatif (établi à partir de parcelles de référence ou de statistiques) est mis en place et semble nécessaire pour interpréter les données ;
  • pour les dispositifs suivant moins de 100 parcelles, une analyse au cas par cas est mise en place et semble nécessaire pour interpréter les données ;
  • pour les dispositifs suivant un nombre de parcelles intermédiaire, les difficultés d’interprétation se justifient par un nombre pas assez suffisant pour réaliser des statistiques significatives mais trop important pour une analyse au cas par cas.

Des freins financiers ont également été soulignés à travers le coût des mesures pour l’agriculteur quand il est amené à les financer lui-même ou à travers le coût de l’animation en tant que telle pour la collectivité, notamment quand elle est déléguée à un prestataire. Le manque de temps, associé à un manque de financement suffisant pour financer les actions d’animation, est aussi mentionné.

En lien avec ces freins financiers, certains usagers interrogés voient comme une menace pour l’avenir de la dynamique RDD de leur territoire, les arrêts ou baisses de budget accordés initialement par les agences de l’eau ; les aides aux financements des RDD étant souvent vues comme une force des dispositifs.

Enfin, d’autres menaces ont également été mentionnées :

  • le fait que l’évolution de la qualité de l’eau n’était pas visible sur le temps de ces dispositifs ;
  • le fait que les leviers de réduction des RDD étaient parfois antagonistes avec les leviers de réduction des herbicides ;
  • l’intégration du RDD dans la réglementation vue comme un réel danger pour l’avenir du RDD en France et enfin,
  • l’observation d’une moindre cohésion entre acteurs du territoire depuis que des marchés publics ont été mis en place en lieu et place des aides directes à l’animation par les agences de l’eau (plus de concurrence induite par le marché public et moins de souplesse dans l’animation avec un cahier des charges précis à respecter, limitant l’innovation).

Trajectoires d’évolution

On dénombre trois dispositifs qui se sont arrêtés, huit dispositifs qui sont toujours en cours et trois dispositifs qui se caractérisent par une évolution marquante depuis leur déclenchement.

La fin des trois dispositifs arrêtés relève d’autres facteurs que leur efficacité sur la qualité de l’eau. En effet, sur deux des trois dispositifs, une amélioration significative de la qualité de l’eau a été observée. Les facteurs qui justifient l’arrêt des dispositifs sont :

  1. financier (faute de moyen pour continuer),
  2. politique (fin du programme d’action et renouvellement de stratégie) ou
  3. multiples avec des freins logistiques, des difficultés de communication, des résultats jugés non probants, etc.

Les évolutions marquantes de certains dispositifs sont motivées par des raisons financières. L’arrêt des aides directes à l’animation par l’agence de l’eau a généré une simplification d’un des dispositifs, qui est désormais financé par la collectivité sur ses fonds propres pour l’un d’eux, et la mise en place de marchés publics avec un cahier des charges restructurant le dispositif initial pour un autre. Un dernier dispositif a fortement évolué à travers la mise en place d’un PSE basé sur le RDD, venant redynamiser l’animation autour de la reconquête de l’eau sur le territoire. Cependant, la dynamique collective s’est vue affectée par la mise en place de système de paiement moins fédérateur entre agriculteurs.

Certains dispositifs viennent de démarrer, d’autres viennent d’être renouvelés, d’autres encore n’ont pas d’échéance prévue en soi. Ces dispositifs étant récents, il n’est pas possible à ce stade de conclure sur les raisons expliquant leur renouvellement ou l’absence d’échéance. Le dispositif wallon, le plus ancien et toujours en cours, est bien accepté par l’ensemble des parties prenantes. Les campagnes de prélèvements et l’évaluation des résultats sont l’objet d’une amélioration continue depuis le début du dispositif.

Les trajectoires d’évolution des différents dispositifs ne permettent pas de conclure sur l’évolution de la qualité de l’eau. Beaucoup d’acteurs soulignent que les dispositifs RDD, même les plus anciens, sont trop récents pour pouvoir observer un impact significatif sur la qualité des eaux souterraines, du fait de leur temps de réponse. Même si la concentration en nitrate au captage n’est pas un indicateur qui permet d’évaluer l’efficacité des actions agricoles récentes sur la qualité de l’eau, le RDD est lui un indicateur qui le permet (« l’eau émise par les champs est deux fois moins chargée au bout de cinq ans [d’accompagnement des agriculteurs à partir du RDD], mais on n’a pas de réponse de la nappe à ce jour puisque le délai de réponse est de 10 à 15 ans »). Par ailleurs, certaines rares configurations hydrogéologiques (réponse rapide de la nappe) permettent de mettre en évidence l’impact favorable des dispositifs RDD sur la qualité de l’eau (« Le temps de réponse est plus long que le temps depuis lequel on mesure des APL. Cependant sur certains bassins qui ont une nappe plus superficielle, il a été montré que l’amélioration des APL avait conduit à une amélioration de la qualité de l’eau »).

Rôle du RDD

Au travers des différents usages analysés, nous avons vu les différents rôles que pouvait avoir le RDD dans les dispositifs dans lesquels il était central. Il permet de :

  • sensibiliser les acteurs agricoles à l’impact des pratiques sur la qualité de l’eau (usage 2),
  • servir de d’indicateur de la teneur en nitrate permettant d’approcher la qualité de l’eau (usage 4)
  • prédire la qualité de l’eau d’une AAC et comprendre les processus agronomiques associés à la gestion de l’azote (usages 7, 8)
  • calibrer des modèles agronomiques et scientifiques (usages 7, 8)
  • faire évoluer les pratiques agricoles vis-à-vis de la qualité de l’eau (usage 1, 3),
  • fournir un fil conducteur et orienter les actions à entreprendre pour reconquérir la qualité de l’eau (usage 3)
  • évaluer les programmes d’action et vérifier la conformité des pratiques des agriculteurs (usage 5)
  • structurer des PSE (usage 6)
  • être un vecteur de lien et un créateur de dialogue avec les agriculteurs (usage 1, 2)

Dans ces usages, le RDD est un objet intermédiaire tel que le définit Vinck (2009). Il est vu tantôt comme un objet de représentation des acteurs, et plus précisément des interactions entre eux (usage 1, 2, 3), tantôt comme un objet de médiation à travers les compromis que ces acteurs ont construits (usage 5 et 6) et les connaissances partagées qui découlent de son usage (usage 4, 7 et 8). L’objet intermédiaire est aussi un facilitateur, il permet l’émergence de solutions (usage 1 et 3). Tout comme nous l’avons analysé avec le RDD, l’objet intermédiaire peut être sujet à controverse, il permet une mobilisation collective et est aussi un objet de rupture, traduisant un changement de pratiques, de raisonnement, de posture (Vinck, 2009).

Conclusion

Le séminaire REH/APL a été l’occasion d’analyser des retours d’expérience de personnes impliquées dans des dispositifs mobilisant le RDD, qui s’inscrivent dans des actions territoriales visant la reconquête de la qualité de l’eau.

Le RDD est un indicateur qui permet de fournir un résultat intermédiaire, correspondant à l’impact des pratiques à relativement court terme sur la quantité de nitrate qui est susceptible d’être lixiviée lors de la période de drainage suivant la mesure du RDD. En ce sens, il présente un fort potentiel pour des dispositifs d’incitations financières de type PSE ou pour des démarches d’accompagnement des agriculteurs orientées vers des objectifs de résultats à atteindre. Ce travail a mis en évidence les multiples usages de ce RDD, usage se définissant par un cadre d’action, un ensemble d’acteurs et un (ou plusieurs) objectif(s) qui lui est(sont) spécifique(s). Certaines de ces finalités peuvent aller au-delà de qualité de l’eau pour lesquels ils ont été conçus (ex : créer du lien avec les agriculteurs).

Il est possible d’avoir plusieurs usages du RDD, néanmoins, les retours d’expérience d’usages multiples au sein d’un même dispositif montrent la difficulté à atteindre l’ensemble des finalités si toutes sont visées à la fois. Ainsi, nous proposons d’utiliser ce travail sur les usages pour aider les porteurs et autres acteurs de dispositifs RDD à identifier l’usage qu’ils visent en priorité afin de se focaliser sur les propriétés qui lui sont propres et favoriser l’atteinte des objectifs.

L’analyse transversale de ces usages a ensuite mis en évidence les rôles que pouvaient avoir le RDD : sensibiliser les acteurs agricoles, faire évoluer les pratiques agricoles, les évaluer, prédire la qualité de l’eau, et bien d’autres. Le RDD est en fait souvent un objet intermédiaire entre les acteurs des territoires agissant pour la qualité de l’eau.

Parmi d’autres facteurs, l’implication de différents acteurs (selon les usages) ressort d’ailleurs comme déterminante pour la mise en place, la pérennisation et l’atteinte des objectifs des dispositifs RDD. Enfin, nous avons identifié avec les personnes impliquées des freins et des leviers à la mise en place de ces dispositifs, qui sont autant de clés de réussite ou de points de vigilance à intégrer pour le déploiement d’autres dispositifs.

 

Remerciements :

  • aux personnes interrogées lors des entretiens semi-directifs : S. Andrianarisoa, R. Ballot, N. Beaudouin, M. Bonifazi, L. Delsalle, J. Gaillard, M. Gratecap, D. Hanocq, F. Nataf, V. Perrin, R. Reau, M. Thirard, C. Vandenberghe et D. Wouez ;
  • à l’ensemble des participants au séminaire qui ont contribué activement au succès des ateliers participatifs proposés et
  • à A. Ronceux pour sa relecture assidue de l’article.

Bibliographie

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Chelil S., Henine H., Dodinet P., Chaumont C., Tourbebize J., 2022. Estimation d’un REH équivalent en système drainé et prédiction de la concentration en nitrate dans les eaux de drainage agricole. In : Vandenberghe C. & Delsalle M., eds.  Retours d’expérience autour du REH / RDD / APL. Gembloux, Belgique : Presses agronomiques de Gembloux.

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  1. http://www.rmt-fertilisationetenvironnement.org/moodle/

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