5.2. De réforme en réforme… apprendre une langue à l’école

  • Dag Wim !
  • Dag Mevrouw !
  • Is Jan thuis ?
  • Ja, Jan is thuis.

Cet échange marquera à tout jamais mon premier cours de néerlandais en 3ème secondaire fin des années 1970. Il faisait écho aux mêmes répliques, entendues en anglais cette fois, apprises deux ans plus tôt lors de mon entrée dans l’enseignement secondaire dit « rénové ». Si mes connaissances et mes compétences en anglais ont depuis bien évolué, côté néerlandais, il faut bien l’avouer l’appréciation de mon enseignante de l’époque reste de mise… « peut mieux faire ! ».

De la « grammaire-traduction » à l’enseignement bilingue

De réforme en réforme, diverses méthodes d’enseignement des langues étrangères se sont succédé dans nos écoles. De la méthode traditionnelle « grammaire-traduction » en passant  par la méthodologie directe, audio-visuelle ou encore l’approche communicative, toutes ont essayé de développer une certaine connaissance des langues étrangères chez les enfants et les jeunes adolescents sans vraiment atteindre l’objectif ultime d’une vraie compétence communicationnelle. Cependant, comme le souligne Pérès (2013), ce n’est pas parce que de nouvelles méthodologies apparaissent que les anciennes disparaissent.

Au début du XXème siècle, l’enseignement des langues est dominé par une vision très littéraire et académique de la langue. Cette approche plutôt traditionnelle est inspirée de l’enseignement du latin et du grec. Elle vise un savoir plutôt académique et livresque basé sur l’apprentissage du vocabulaire et des règles de grammaire de la langue-cible. Les fondements de cette méthodologie sont davantage la lecture et la traduction de textes littéraires que la pratique orale de la langue à des fins de communication qui, dans les faits, ne constitue pas l’objectif principal de l’apprentissage.

La première méthodologie spécifique à l’enseignement des langues vivantes émerge début des années 1900 (Puren, 1989 ; Puren & Galisson, 1988). Il s’agit d’une méthodologie directe préconisant un enseignement de la langue dans la langue sans avoir recours à la langue maternelle. Les exercices de traduction sont abandonnés. Une des figures de proue de cette méthodologie sera Charles Schweitzer professeur agrégé à Paris ; il est l’auteur de manuels destinés à l’apprentissage des langues[1]. Cette méthode, imposée dans l’enseignement des langues en France en 1901, n’a cependant pas recueilli le succès qu’elle aurait pu avoir. Basée sur une pratique de la langue nécessitant une très bonne maîtrise de la langue orale par les enseignants, elle n’était pas nécessairement populaire à l’époque.

La méthodologie active succèdera à la méthodologie directe et constituera en quelque sorte un compromis entre cette dernière et la méthode traditionnelle. Le recours à la langue maternelle est partiellement réintroduit notamment lors des activités d’apprentissage du vocabulaire. Même si l’expression des élèves est sollicitée dans la méthode, il y a encore peu de liberté dans l’oral. Le support utilisé est encore extrêmement livresque et l’expression orale est intimement liée au contenu des textes.

Début des années 1960, on verra l’émergence d’une méthode qui, pendant plus de 20 ans, sera considérée comme révolutionnaire. Contrairement aux méthodes plus traditionnelles, elle avait pour objectif l’apprentissage de la communication quotidienne. Cette méthode appelée méthodologie structuro-globale audio-visuelle (SGAV) avait été élaborée début des années 1950 par Peter Guberina, linguiste croate de l’université de Zagreb, et Paul Rivenc, linguiste français du Centre de Recherche et d’Étude pour la Diffusion du Français (CREDIF). Cette méthode reposait  sur l’idée que la langue est un moyen d’expression et sert à communiquer. Elle proposait un apprentissage de la langue axé sur la compréhension du sens global de la structure ; des éléments audios et visuels étant utilisés pour faciliter l’apprentissage (Cornaire, 1998). D’ailleurs, quand  on y réfléchit, beaucoup de produits commerciaux d’apprentissage des langues étrangères sont dérivés de cette méthode audio-visuelle. Cette méthode fera également l’objet de beaucoup de critiques, notamment en raison du peu de place laissée à la créativité de l’apprenant. En effet, les exercices de production sont principalement axés sur la répétition de phrases toutes faites fournies par les supports enregistrés. Ce qui explique sans doute que « Dag Wim ! Dag Mevrouw » soit, du moins en ce qui me concerne, resté 40 ans après !

L’approche communicative se développera à partir des années 1970 en réaction à cet apprentissage par répétition d’une langue étrangère proposé par la SGAV. Désormais, la langue est à la fois outil de communication et outil d’interaction sociale (Pérès, 2013). L’apprentissage est basé sur le sens et le contexte de communication. La forme grammaticale de l’expression et sa justesse, objectifs pendant des décennies de l’enseignement des langues, côtoient désormais des objectifs davantage fonctionnels et communicationnels : il faut pouvoir connaître les règles d’utilisation de la langue (la compétence sociolinguistique), construire une expression cohérente et compréhensible au-delà de la simple phrase (la compétence discursive), et être autonome dans un acte de parole en contournant les obstacles et les difficultés d’expression par des stratégies appropriées (la compétence stratégique).

L’enseignement bilingue en général, et par immersion en particulier (qui fera son apparition en Belgique, plus précisément à Liège en 1989), s’appuiera sur ces différentes exigences. Ces dernières approches de l’enseignement des langues étrangères seront développées plus loin dans ce chapitre.

Depuis un siècle beaucoup d’apprenants, mais peu de « bilingues scolaires »

En 2001, Comblain et Rondal relevaient quatre raisons potentiellement à l’origine de ce qu’ils qualifiaient d’échec de l’apprentissage scolaire des langues par les méthodes dites traditionnelles : (1) le manque de précocité, (2) le manque d’intensité, (3) l’excès de réflexivité et (4) l’aspect trop traductif. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Focus 5 : le manque de précocité

Pendant des décennies, la majorité des élèves n’a été confrontée à l’enseignement systématique d’une langue étrangère qu’aux alentours de douze ans, c’est-à-dire à l’entrée de l’enseignement secondaire (la troisième et la quatrième langue, facultatives quant à elles, n’apparaissant qu’au cours du second cycle de l’enseignement secondaire), faisant de l’apprentissage scolaire des langues étrangères une situation d’apprentissage séquentiel tardif si nous nous référons aux concepts développés dans le premier chapitre de cet ouvrage.

Ce serait faire preuve d’une très grande malhonnêteté de dire que les choses n’ont pas changé, rendant ainsi l’enseignement obligatoire des langues étrangères un peu moins tardif. À l’origine de ce changement, deux événements : dans un premier temps, la pression exercée dès 1989 sur les responsables politiques et les pouvoirs organisateurs par l’apparition des écoles d’immersion linguistique en Wallonie, et dans un second temps l’article 7 du Décret du 13 juillet 1998  portant sur « l’organisation de l’enseignement maternel et primaire ordinaire et modifiant la règlementation de l’enseignement » de la Ministre de l’Enseignement obligatoire de l’époque, Laurette Onkelinx. Cet article (modifié successivement  le 17 juillet 2003 et le 3 février 2006) dit ceci : « Sans  préjudice à l’article 10 de la loi du 30 juillet 1963 concernant le régime linguistique dans l’enseignement, l’apprentissage à communiquer dans une langue moderne autre que le français comprend au moins deux périodes hebdomadaires en cinquième et en sixième primaire ».  Ce même décret précise que dans la région Bruxelles-Capitale la langue moderne autre que le français doit être le néerlandais. En Région wallonne, une plus grande latitude est laissée puisque l’établissement scolaire a le choix entre le néerlandais, l’allemand et l’anglais. Le choix opéré par l’élève ne peut être modifié entre la 5ème et la 6ème primaire. Dans l’enseignement secondaire, l’apprentissage d’une langue seconde reste, quant à lui, fixé à quatre périodes hebdomadaires. Dans l’enseignement maternel, des éveils aux langues sont autorisés (hors enseignement immersif).

Suite à ce décret, l’obligation d’enseigner une langue étrangère était donc ramenée de douze ans (1ère année du cycle secondaire) à dix ans (5ème année primaire).  En octobre 2022, sous l’impulsion de la Ministre de l’Enseignement obligatoire, Caroline Désir, la règlementation en matière d’apprentissage des langues étrangères dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles a de nouveau été modifiée. À partir de 2027, l’apprentissage du néerlandais (ou de l’allemand dans certaines régions de Wallonie) sera obligatoire dès la 3ème année primaire insufflant ainsi une nouvelle dynamique à l’enseignement des langues en Belgique Francophone : recentrage sur les langues nationales (de proximité) dans l’enseignement primaire et avancement de l’âge de l’obligation. En termes de précocité c’est une belle avancée même si cela ne rend pas l’apprentissage significativement plus précoce pour la cause. À l’heure actuelle, dans l’enseignement obligatoire, seule l’immersion linguistique débutant en maternelle remplit cette condition de précocité.

Cependant, comme nous l’avons développé précédemment, il n’est pas nécessaire d’être enfant pour apprendre une langue étrangère. Le principe de précocité s’il est important, en ce sens qu’il est la clé d’un apprentissage naturel et fonctionnel au cours d’une période de la vie marquée par une sensibilité cérébrale particulière aux stimulations langagières, il n’est pas la seule condition d’un apprentissage fructueux.

Focus 6 : le manque d’intensité

L’intensité constitue également une condition nécessaire à un apprentissage optimal des langues étrangères. En effet, maîtriser une langue est un processus long qui s’étale, même en ce qui concerne la langue maternelle, sur plusieurs années. L’enfant doit d’abord apprendre à discriminer et à produire les sons de sa langue maternelle pour pouvoir ensuite les combiner en mots qui permettront de produire des phrases. C’est un travail de tous les instants, l’enfant y passant la majorité de son temps de veille depuis la naissance. Ce processus de base prend environ cinq ans pour qu’après une syntaxe plus élaborée puisse se développer permettant ainsi de faire de la langue un outil d’apprentissage et d’argumentation.

Dans le cadre de l’apprentissage scolaire des langues étrangères, peu de temps est consacré à l’apprentissage et à l’utilisation de la langue.  Si on considère qu’une période de cours compte 50 minutes de présence en classe, les élèves de l’enseignement primaire sont exposés à 1 h 40 d’enseignement d’une langue étrangère par semaine et les élèves du secondaire à 3 h 20 ! Par ailleurs, si on considère les impératifs des programmes scolaires d’une part et la surpopulation des classes d’autre part,  il est illusoire de penser que chaque élève dispose de 3 h 20 de pratique effective d’une langue seconde par semaine. De ce point de vue, rien n’a fondamentalement changé en deux décennies !

Focus 7 : l’excès de réflexivité et l’aspect trop traductif

Il y a vingt ans, nous soulignions avec Jean Rondal la trop grande importance accordée à l’apprentissage de la grammaire dans l’enseignement d’une langue étrangère au détriment de la capacité à communiquer. Les méthodologies d’enseignement utilisées oscillaient entre la grammaire-traduction et l’approche communicative. Nous constations dans l’enseignement traditionnel[2] des langues une certaine tendance à oublier l’aspect fonctionnel de la langue ;  l’objectif de l’apprentissage d’une langue ne devant pas être de connaître des règles sans pouvoir les appliquer ou de connaître des mots sans pouvoir les combiner adéquatement en phrases, mais bien de communiquer. Découle de cet excès de réflexivité, un autre défaut majeur de l’enseignement des langues qui réside dans son aspect trop traductif. Au-delà de ce qu’on pourrait appeler les thèmes et les versions (en référence à l’enseignement du latin, par exemple), on constate une tendance assez forte à utiliser la langue maternelle comme médium d’enseignement de la langue seconde. Cette manière de procéder place l’apprenant dans une situation de bilinguisme dit subordonné dans laquelle la construction d’une production (orale ou écrite) se fait d’abord en langue maternelle avant d’être transposée en langue seconde. Dans ces conditions, la compréhension et l’expression en langue seconde restent fortement dépendantes de la capacité à traduire le message en langue maternelle. Par ailleurs, notons que la traduction, au sens professionnel du terme, n’implique pas une simple transposition d’un message d’une langue à l’autre, mais justement un détachement de la forme à traduire pour en garder la signification qui sera exprimée dans une autre langue. En d’autres termes, traduire ce n’est pas un exercice de correspondance mot à mot d’une LA vers une LB. C’est une activité particulière requérant un haut niveau d’expertise et de maîtrise de la langue. Commencer l’apprentissage d’une langue étrangère par la traduction revient à commencer à escalader une montagne par le sommet !

Les pratiques scolaires actuelles favorisent-elles le bilinguisme ?

Bien sûr, en vingt ans, les choses ont changé et les méthodes d’enseignement scolaire des langues étrangères ont évolué vers davantage de pratique des langues et des objectifs fonctionnels de communication. Une question se pose : est-ce suffisant ? Et, dans l’affirmative, pourquoi finalement cela ne marche-t-il pas significativement mieux qu’avant ?

Pour répondre à la question, le plus simple est de se pencher sur les socles de compétences en matière d’apprentissage scolaire des langues étrangères en Fédération Wallonie-Bruxelles tels qu’ils sont définis dans le « Référentiel de langues modernes »[3] (2016) issus du « Pacte pour un Enseignement d’excellence »[4] de 2015.

Dans la section relative à l’utilité des cours de langues modernes, outre les objectifs généraux de l’enseignement tels que définis par le décret « Missions »[5] de 1997, deux objectifs spécifiques sont repris : (1) la prise de conscience de sa propre culture et la capacité de la situer par rapport aux autres et (2) l’utilisation des langues modernes comme un facteur d’intégration européenne et mondiale.

Pour atteindre ces objectifs, le référentiel de compétences fixe un cadre dans lequel l’enseignement des langues doit s’ancrer tout en précisant que ce dernier « s’inscrit tant dans la continuité des démarches de ces dernières décennies que dans la dynamique internationale actuelle en matière d’apprentissage des langues » (p. 9 du Référentiel de compétences).

Focus 8 : le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR)

Qu’entend-on par « dynamique internationale » ? En fait, c’est très simple. Le Référentiel de compétences s’inspire du cadre Européen Commun de Référence pour les langues édité par le Conseil de l’Europe en 2001  (complété en 2018 et en 2020). Il reprend notamment les six niveaux de l’échelle de maîtrise des langues étrangères du CERC (niveaux internationalement reconnus pour évaluer la connaissance et la maîtrise d’une langue).

Figure 23 : Échelle de connaissance et de maîtrise des langues du CECR.

Le CECR offre une base commune pour l’élaboration de programmes de langues vivantes en Europe en permettant (1) de fixer des objectifs d’enseignement et d’apprentissage, (2) d’organiser les curriculums, (3) de concevoir des manuels pédagogiques et (4) de comparer des tests et des examens en différentes langues en fournissant une base pour la reconnaissance mutuelle des certifications en langues afin de favoriser la mobilité éducative et professionnelle. Il décrit de manière assez précise ce que les apprenants d’une langue doivent apprendre, les compétences et les savoir-faire indispensables afin de pouvoir communiquer efficacement.

Le CECR rompt avec la philosophie des modèles antérieurs d’apprentissage des langues en se détachant des quatre compétences traditionnellement visées, à savoir : (1) écouter, (2) parler, (3) lire et (4) écrire. Il trouve ses fondements, et ce n’est pas purement cosmétique ou une question de terminologie, dans l’usage qui est fait de la langue dans la vie quotidienne. Les activités d’apprentissage ne doivent donc plus viser des savoir-faire académiques, mais la maîtrise de modes de communication variables selon les contextes d’utilisation et passant par : (1) la réception, (2) la production, (3) l’interaction et (4) la médiation.

La réception et la production s’envisagent à la fois dans la modalité orale (l’écoute et le monologue de type argumentatif, par exemple) qu’écrite (la lecture et l’écriture), mais aussi dans une modalité audio-visuelle dans le cas de supports télévisuels. Dans ces deux cas, il s’agit d’activités solitaires n’impliquant aucun partenaire contrairement à l’interaction qui implique au moins deux partenaires co-construisant un échange. La médiation, quant à elle, recouvre les actes impliquant une dimension sociale permettant de créer un espace d’échange, de communication et de transmission d’informations. Ainsi, pour chaque niveau de l’échelle de connaissance et de maîtrise (Figure 23), on peut décliner des objectifs à atteindre pour chacun des modes de communication attestant de la maîtrise du niveau.

Tableau 17 : Niveaux communs de compétences du CERC – Échelle globale (d’après le CERC, 2020).
Focus 9 : le Référentiel de compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles

La Belgique, comme bon nombre de pays européens, a repris les niveaux établis par le CERC pour les décliner en objectifs à atteindre  en fonction du niveau scolaire et du nombre d’heures par semaine dévolu à l’apprentissage d’une langue étrangère. Le tableau qui suit résume ces objectifs pour l’apprentissage de la 1ère langue étrangère (pour une déclinaison complète de ces objectifs pour les 2ème et 3ème langues étrangères ainsi que pour l’enseignement de qualification et l’enseignement professionnel, le lecteur intéressé se réfèrera aux documents officiels repris sur le site www.enseignement.be).

Tableau 18 : Niveaux attendus au terme de l’enseignement obligatoire ordinaire en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Le niveau attendu au terme de la scolarité obligatoire est donc celui d’un « utilisateur indépendant » capable de comprendre l’essentiel d’un texte complexe, concret ou abstrait ainsi qu’une discussion sur des sujets familiers, de s’exprimer de manière claire sur des sujets familiers, de se débrouiller dans la plupart des situations rencontrées en voyage et d’exposer brièvement une idée ou un projet.  Sans sur-interpréter ces objectifs, il est clair que la finalité des cours de langues modernes dans l’enseignement obligatoire vise la communication et la capacité d’échanger avec autrui. En ce sens, le référentiel de compétences ne constitue pas une innovation par rapport aux 50 dernières années puisque ses objectifs étaient déjà ceux affichés par la SGAV, la méthode active et l’approche communicationnelle. Ce en quoi le référentiel innove, c’est dans la proposition d’une sorte de guide au travers d’unités d’acquis d’apprentissage[6] dont le contenu permet à l’élève d’exercer ses compétences en construction tout au long de son cursus de formation. Les notions-clés du processus d’apprentissage : connaissance, application et transfert.

Figure 24 : Dimensions de la progression au sein d’une unité d’acquis d’apprentissage (d’après le Référentiel de compétences de la FWB, 2017).

Ces trois dimensions sont en interaction dans le processus d’apprentissage ; les connaissances n’étant pas ici un donné de base, mais se (re)construisant et se (re)configurant tout au long des activités par le biais de l’application et du transfert. Au final, le processus d’apprentissage vise un niveau « méta » de la connaissance défini comme la capacité à mobiliser et expliquer ses connaissances et à justifier les conditions dans lesquelles elles peuvent être utilisées. Concrètement : je sais quand je dois utiliser ‘since’ ou ‘for’ en anglais pour signifier ‘depuis’ et pourquoi je dois le faire. Comment y arriver ? Ni le Référentiel de compétences ni le CERC ne donnent de pistes méthodologiques précises à ce sujet. Le Référentiel de compétences compile des fiches au travers desquelles des activités et des supports sont proposés pour chacune des dimensions et chacun des niveaux de compétence. Quant au CERC, outil européen rappelons-le, il n’ambitionne pas de promouvoir une méthodologie plutôt qu’une autre. Il se veut « aussi exhaustif que possible, ouvert, dynamique et non dogmatique. C’est pour cela qu’il ne peut prendre position d’un côté ou de l’autre dans les débats théoriques actuels sur la nature de l’acquisition des langues et sa relation à l’apprentissage ; pas plus qu’il ne saurait préconiser une approche particulière de l’enseignement » (CERC, p. 21).

Question 24 : l’enseignement scolaire des langues aujourd’hui… pari gagné ?

En 1998, un slogan accompagnait, le Décret portant sur « l’organisation de l’enseignement maternel et primaire ordinaire et modifiant la règlementation de l’enseignement » : « Tous bilingue en 2001 » (au terme de la scolarité obligatoire). Pari gagné ? Pas vraiment ! Alors pourquoi de réforme en réforme, le même constat d’échec ? Certes, depuis 1998, les choses ont changé, la conception de l’apprentissage d’une langue étrangère est passée d’une vision formelle axée sur les connaissances à une vision fonctionnelle basée sur des objectifs de communication. Les objectifs sont clairement définis, les seuils de compétences à atteindre clairement établis, mais une question demeure : concrètement comment y arriver ? Car, au niveau des méthodes, rien n’est vraiment suggéré dans le Référentiel de compétences ou dans le CECR. Mais, en définitive, est-ce tant les méthodes qui posent problème que la manière dont on conçoit le cours de langue étrangère dans un cursus scolaire et le moment auquel il devient obligatoire dans ce même cursus ? Si, en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’enseignement des langues étrangères est maintenant obligatoire à dix ans au lieu de douze antérieurement, cela ne constitue pas une avancée majeure en termes de précocité de l’apprentissage. Le nombre d’heures passées à apprendre une langue reste anecdotique par rapport à ce qu’il devrait être pour espérer une certaine efficacité. Si on considère ces deux dimensions, précocité et intensité, en les mettant en rapport avec le nombre de semaines d’enseignement, le résultat est sans appel : notre enseignement des langues étrangères commence toujours trop tard et est toujours trop peu intensif !

 

 

 

Tableau 19 : Temps consacré à l’apprentissage d’une langue étrangère dans l’enseignement obligatoire. 1 Sources : Circulaire n° 5331 du 30/06/2015 Organisation de l’enseignement maternel et primaire ordinaire année scolaire 2015-2016  et Circulaire n° 5352 du 23/07/2015 Circulaire générale relative à l’Organisation de l’enseignement secondaire ordinaire et à la Sanction des études.

Le nombre moyen d’élèves par classe étant de 25[7], si chaque élève doit s’exprimer au cours d’une période de cours, le temps passé à parler et échanger en classe est réduit à peau de chagrin. Deux minutes dans le meilleur des cas, huit minutes sur une semaine, trois heures sur un an… dix-huit heures sur six ans, soit moins d’une journée. Dans ces conditions, le meilleur enseignant du monde, armé de la meilleure volonté du monde, ne peut arriver à faire acquérir une langue étrangère à un enfant ! Enfin, si sur le papier, l’enseignement a perdu la dimension essentiellement réflexive et traductive qui a prévalu au XXème siècle, l’évaluation de la maîtrise des langues est quant à elle toujours bien axée sur la traduction et le savoir métalinguistique ; et la sanction de la « faute » de forme prévaut toujours sur l’évaluation de l’efficacité fonctionnelle de la communication.  Que l’enseignement des langues étrangères s’inscrive dans la continuité des politiques éducatives ancestrales n’est peut-être pas une garantie de succès. Dans beaucoup de domaines, et on ne voit pas pourquoi l’apprentissage des langues ferait exception, reproduire les mêmes comportements en espérant que le résultat va changer n’a jamais été une stratégie payante !

 


  1. Par exemple : « Enseignement direct de la langue anglaise » (1904 ) ; « English reader with conversation exercises » (1903), « English reader for beginners in the higher forms » (étude de la seconde langue dans les sections B et D du second cycle, 1908).
  2. Il faut entendre « traditionnel » dans le sens « habituel ».
  3. http://www.enseignement.be/index.php?page=24737&navi=295
  4. http://www.enseignement.be/index.php?page=28280
  5. Brièvement, les objectifs généraux de l’enseignement sont : 1. promouvoir la confiance en soi et le développement personnel ; 2. amener l’élève à s’approprier les savoirs et acquérir des compétences lui permettant de prendre une place active dans la société ; 3. préparer les élèves à devenir des citoyens responsables ; 4. assurer l’émancipation sociale de tous et l’égalité des chances.
  6. Une unité d’acquis d’apprentissage (UAA) représente un ensemble cohérent d’acquis d’apprentissage (ce que l’élève sait, comprend et est capable de réaliser au terme d’un processus d’apprentissage) susceptibles d’être évalués.
  7. Les minima et maxima varient selon les niveaux d’enseignement (de 24 à 32), on considérera par facilité que la moyenne se situe régulièrement autour de 25 élèves par classe.