2.4. En conclusion : pas « un » facteur unique, mais une constellation de facteurs en interaction

Comme nous venons de le voir, un grand nombre de variables vont influencer le développement bilingue et déterminer le devenir langagier de l’enfant. À ces variables viennent s’ajouter, au fur et à mesure de l’existence et des interactions avec autrui, d’autres variables qui vont rendre le tableau final bien plus complexe qu’on n’aurait pu l’imaginer au départ. Sachdev et Bourhis (2001) ont tenté de schématiser les différentes variables affectant le développement bilingue et/ou multilingue ainsi que les interactions entre ces différentes variables. Ils en relèvent de trois ordres :

  • les variables sociétales issues des relations entre les groupes linguistiques ;
  • les variables sociolinguistiques directement liées à la richesse des réseaux linguistiques de la personne et déterminant les normes et les règles sociales de la langue ;
  • les processus psychosociaux liés à l’individu et ses rapports avec les groupes auxquels il appartient.

Comme on peut le constater dans la figure suivante, les choses sont assez complexes et permettent de comprendre comment deux personnes, apparemment similaires et comparables, peuvent développer des compétences bilingues totalement différentes.

Nous ne nous engagerons pas dans une description longue et fastidieuse de ce modèle, nous nous contenterons d’en reprendre les points principaux afin de compléter les propos développés dans ce chapitre.

 

Figure 5 : Modèle psychosocial du bilinguisme/multilinguisme d’après Sachdev & Bourhis (2001).

 

Le bilingue n’est pas seulement un enfant qui apprend une langue et vit dans une famille particulière, mais c’est également une personne qui est amenée ou sera amenée à vivre en société ; une société qui acceptera et valorisera… ou non, sa langue d’origine influençant ainsi la manière dont il.elle verra et vivra sa condition de bilingue. Nous avions déjà brièvement abordé ce point dans la section 2.3 du Chapitre 1 lorsque nous avons développé les notions de bilinguismes additif et soustractif proposées par Lambert (1974). Le modèle de Sachdev & Bourhis (2001) va beaucoup plus loin.

Les processus psychosociaux en jeu dans le bilinguisme constituent le point central de ce modèle. Sans en détailler chacun des aspects, ces processus renvoient à la notion d’interlocuteur et au positionnement du bilingue vis-à-vis de celui-ci : sa motivation à communiquer en s’ajustant à l’interlocuteur, l’identification sociale aux groupes linguistiques, l’adhésion aux croyances et aux stéréotypes à propos des différentes communautés linguistiques (par exemple : les Allemands sont autoritaires, les Anglais sont rigides, les Français sont romantiques, etc.), le désir de se différencier (divergence) de l’interlocuteur d’une autre communauté linguistique. À ces facteurs psychosociaux viennent s’ajouter des facteurs relatifs au contexte et aux relations intergroupes, indépendants de la personne elle-même ainsi que des facteurs sociolinguistiques.

Les variables liées au contexte intergroupe (par exemple : l’acceptation de la communauté linguistique minoritaire par la communauté dominante, les politiques de promotion du bilinguisme et d’éducation bilingue mises en place par le pays, etc.) vont contribuer à créer un climat de communication et d’échange favorable et équilibré entre les communautés linguistiques (ce que Lambert, 1974, définit comme le bilinguisme additif) ou, au contraire, défavorable et marginalisant (défini par le même Lambert comme le bilinguisme soustractif). Un climat positif permettra au bilingue d’entretenir des relations harmonieuses et non hiérarchisées avec les membres des différentes communautés linguistiques, d’élargir son réseau d’interlocuteurs et dès lors d’intégrer efficacement les normes et les règles de fonctionnement de la langue.

En définitive, ce modèle permet de replacer le bilingue dans une réalité sociale, de comprendre la complexité du bilinguisme et la diversité des variables qui peuvent l’influencer.