5.3. Les alternatives à l’enseignement traditionnel des langues

L’enseignement bilingue se pose comme une alternative à l’enseignement traditionnel des langues. Il s’agit, au sens de Groux (1996) d’un système d’enseignement dans lequel l’instruction est donnée consécutivement ou simultanément dans deux langues. Si, en Belgique, l’immersion linguistique scolaire est la forme la plus connue d’enseignement bilingue, elle ne représente pas la seule forme d’enseignement bilingue.

En pratique, l’enseignement bilingue se présente comme :

  • l’enseignement complet ou partiel ;
  • d’une ou plusieurs disciplines non linguistiques ;
  • dans une langue seconde ou une langue étrangère.

À partir de ce principe général, plusieurs déclinaisons sont possibles ; la solution finale dépendant des réponses apportées à cinq questions ; réponses pouvant sensiblement différer selon que l’on met l’accent sur la méthode ou sur la nature de la langue (cf. Figure 25).

Les différents types d’enseignement bilingue sont répartis en plusieurs catégories selon que la structure d’apprentissage est monolingue ou bilingue, et vise des élèves monolingues ou bilingues (Baker, 2011, 2014).

Selon les objectifs, avoués ou non, d’une communauté en matière d’enseignement des langues, on privilégiera tel ou tel modèle de référence selon qu’on se situe dans une visée efficace, militante ou mixte.

 

Figure 25 : Questions de base permettant de modéliser l’éducation bilingue.
Tableau 20 : Structures d’enseignement des langues en fonction du type d’élèves (monolingues vs bilingues).
Tableau 21 : Spécifications des modèles d’enseignement.

Si nous reprenons les deux tableaux ci-dessus, on peut illustrer les choses de la manière suivante :

  1. le modèle efficace mettra la priorité sur le choix de la méthode d’enseignement bilingue, c’est-à-dire sur celle dont le rendement en matière de développement linguistique de L2 sera maximalisé par le fait de l’intensité de l’enseignement (nombre d’heures consacrées à L2) et de sa qualité (l’enseignant est un natif de la langue cible). L’immersion totale sera dès lors le maître-choix ;
  2. le modèle militant fera prioritairement le choix d’une langue avant de penser à la méthode qui pourra permettre de développer cette langue de manière optimale. Ce modèle n’est pas répandu en Europe, mais on le trouve dans certaines grandes villes des États-Unis où les parents font le choix de scolariser leur enfant dans une école de langue d’origine (langue minoritaire) tels que le japonais ou encore l’hébreu ;
  3. le modèle mixte ou combiné permet de concilier l’exigence du choix de la langue et du choix de la méthode. Deux types particuliers d’immersion se distinguant par le type d’élèves visés (monolingue ou bilingue) collent à ce modèle : (1) l’immersion partielle dans laquelle des enfants monolingues L1 sont scolarisés dans une structure bilingue dispensant des cours en L1 et en L2 et (2) l’immersion réciproque dans laquelle des enfants parlant une langue A (la langue officielle de la communauté) et d’autres parlant une langue B (une langue non officielle, mais largement représentée dans la communauté) sont scolarisés ensemble dans une structure bilingue qui dispense la moitié des cours en LA et l’autre moitié en LB. Cette seconde pratique est assez répandue dans les états du sud des États-Unis dans lesquels la communauté hispanique est relativement importante.

Le croisement entre les trois types de modèles repris dans le Tableau 20 et les structures d’enseignement reprises dans le Tableau 21 est évidemment purement indicatif, mais il permet de mieux comprendre les politiques éducatives développées autour de l’enseignement bilingue.

Dans son guide du bilinguisme destiné aux parents et aux enseignants, Colin Baker (2014) décrit les formes les plus courantes d’enseignement bilingue. Nous allons brièvement les passer en revue (pour plus de détails, le lecteur intéressé se réfèrera à Baker, 2014) avant de nous attarder dans la section suivante sur l’immersion linguistique scolaire qui représente la forme d’enseignement bilingue la plus connue et pratiquée en Belgique francophone.

Les écoles d’immersion réciproque[1]

Comme nous l’avons brièvement évoqué ci-dessus, il s’agit d’écoles dans lesquelles l’enseignement se déroule en deux langues. Idéalement, 50 % du temps d’enseignement est consacré à LA et 50 % à LB. L’objectif étant, comme dans l’immersion simple, que les enfants soient bilingues et bilettrés au sortir de l’enseignement obligatoire. Cependant, contrairement à l’immersion traditionnelle, dans l’immersion réciproque, les enfants sont issus de communautés de langues maternelles différentes. Ainsi, dans les états du sud des États-Unis dans lesquelles la communauté hispanique est importante, la moitié des élèves est issue de la communauté anglophone (LA) et l’autre moitié de communauté hispanophone (LB). Le succès de ce type d’enseignement repose sur le respect d’une part, de la proportion de cours réservée à LA et à LB et d’autre part, de la proportion d’élèves issus de chacune des communautés.

Notons que le type de matière dispensée dans chacune des langues a également son importance. Sans tomber dans les clichés, mais en se référant au poids subjectif des matières telles que les mathématiques et les sciences dans nos sociétés occidentales (considérées comme plus indispensables pour la réussite future que des matières comme l’éducation physique et sportive ou encore l’éducation artistique), les dispenser uniquement dans la langue dominante en laissant les matières « moins essentielles » à la langue minoritaire, donne à ces dernières un caractère plus « accessoire » qui impactera sans nul doute l’investissement des élèves dans l’apprentissage de cette langue.

Les écoles internationales

Les écoles internationales sont principalement implantées dans les grandes villes. Elles proposent un enseignement essentiellement privé et indépendant des pouvoirs organisateurs officiels du pays dans lequel elles sont implantées. Leur politique d’admission est très sélective et les frais d’inscription relativement élevés. Elles sont répertoriées par le Council of International Schools (CIS). En 2021, le réseau compte 748 écoles réparties dans 117 pays. Cinq écoles sont localisées en Belgique.

Sur le plan linguistique, l’anglais est généralement la langue d’enseignement et la langue véhiculaire. Selon l’organisation des écoles et leur adossement à une école nationale ou à une autre école internationale, la seconde langue peut être, soit enseignée comme une langue (objet de l’enseignement) à partir de douze ans, soit être un outil d’enseignement grâce auquel on enseigne certaines parties du curriculum scolaire. Ces écoles accueillent des enfants de cadres de multinationales, de diplomates ou de personnes géographiquement mobiles. L’intérêt de ces écoles est que les enfants peuvent avoir une continuité d’enseignement et de programme scolaire, quel que soit le pays dans lequel ils sont amenés à résider temporairement. Ces écoles n’ont pas pour objectif de développer un enseignement bilingue, mais la langue maternelle des élèves étant dans la majorité des cas différente de la langue d’enseignement (l’anglais), l’éducation de ces enfants est minimalement bilingue.

Les écoles européennes[2]

Les écoles européennes ont, contrairement aux écoles internationales, un objectif clair de promotion de multilinguisme et de multiculturalisme. L’ambition de ces écoles est de produire des enfants qui parlent, lisent et écrivent plusieurs langues de l’Union européenne, mais également de développer chez eux une identité européenne. Ces écoles sont réellement des écoles multilingues, différentes communautés linguistiques s’y côtoyant et échangeant entre elles. Les enseignants sont tous bilingues (ou multilingues) et natifs d’une langue de l’Union européenne.

Si au début de la scolarité, les enfants reçoivent un enseignement dans leur langue maternelle de manière à l’enrichir et la développer, l’introduction d’une seconde langue dans le cursus scolaire se fait très tôt. Pendant les deux premières années de scolarité, L2 est apprise comme une langue sans qu’aucune matière ne soit donnée dans cette langue. De la troisième à la cinquième année de scolarisation, les cours d’éducation physique sont donnés dans cette langue. Au terme de la scolarité primaire, environ 25 % du curriculum scolaire sont dispensés en L2 ; ce pourcentage augmentant progressivement pendant la scolarité secondaire. L’organisation du temps scolaire est conçue de telle manière que les enfants de différentes langues maternelles puissent échanger entre eux et avoir des activités en commun.

Les écoles de langue d’origine ou de langue d’héritage

On parlera d’école de langue d’origine lorsqu’au sein d’une école, l’enseignement est donné dans la langue maternelle ou d’origine des élèves. L’objectif de ces écoles est de développer un bilinguisme total ‘langue dominante (du pays ou de la communauté)–langue d’origine (langue minoritaire)’, mais surtout de protéger les langues ethniques à l’école et empêcher qu’elles ne soient étouffées et absorbées par la langue dominante.

Exemple : dans les états canadiens du Manitoba et d’Alberta, des programmes en ukrainien sont proposés aux enfants issus de l’immigration ukrainienne. L’ukrainien, parlé à la maison, est utilisé pendant 50 % du temps à l’école ; l’anglais étant utilisé dans les 50 % restants.

Les écoles de langue d’origine sont principalement des écoles élémentaires. Les programmes développés renvoient clairement à l’éducation d’enfants de langues minoritaires par le biais de leur langue minoritaire dans une société de langue dominante.

L’éducation bilingue transitoire

Ce type d’enseignement est également assez répandu aux États-Unis. Il consiste à offrir aux enfants non anglophones (principalement issus de l’immigration) un enseignement temporaire dans leur langue maternelle afin de ne pas les submerger d’emblée dans un enseignement anglophone. La transition par ces classes est d’un an ou deux avant une intégration complète dans une école « traditionnelle ». Le but est de permettre aux enfants de devenir rapidement compétents dans la langue dominante (l’anglais) tout en continuant à progresser dans les apprentissages scolaires. Sans entrer dans les détails du concept, il faut néanmoins admettre que l’objectif de bilinguisme affiché par les écoles de transition n’est pas nécessairement atteint et que le risque n’est pas nul de voir un glissement progressif des enfants vers un monolinguisme anglais.

L’immersion linguistique scolaire

Parmi les différentes formes d’enseignement bilingue, l’immersion linguistique scolaire est la plus connue et la plus largement répandue en Belgique francophone. Elle trouve ses racines dans une expérience québécoise menée à St Lambert (Montréal) en 1965 sous l’impulsion d’un groupe de parents anglophones insatisfaits de l’enseignement des langues, et du français en particulier. Un triple objectif animait alors les parents des 26 élèves de cette première classe d’immersion : faire en sorte que les élèves anglophones (1) deviennent des locuteurs, des lecteurs et des scripteurs compétents en français, (2) atteignent le même niveau d’exigence scolaire dans toutes les matières, y compris en anglais langue maternelle que les élèves monolingues scolarisés en anglais et (3) puissent apprécier les traditions et la culture tant francophones qu’anglophones du Canada. En d’autres termes, l’objectif principal de cette expérience était qu’au sortir de la scolarité obligatoire, les élèves soient bilingues et biculturels.

Depuis cette première expérience, l’immersion linguistique scolaire s’est répandue et diversifiée. L’appellation est aujourd’hui un terme générique représentant plusieurs réalités selon :

 

 

 

 

 

 

    1. l’âge d’introduction de la langue-cible (L2) dans le cursus scolaire ;

 

Figure 26 : Variantes de l’immersion linguistique selon l’âge d’introduction de la langue cible dans le cursus scolaire.

Dans le cadre de l’immersion précoce, l’enseignement peut être soit totalement soit partiellement donné en L2 (cf. les concepts d’immersion totale et d’immersion partielle ci-dessous). Dans les immersions moyennes et tardives, l’enseignement est de facto donné partiellement en L2, une partie du cursus scolaire étant dispensé en L1.

Comme l’illustre la Figure 26, tout élève arrivant dans l’enseignement immersif possède un certain bagage en L1 (sa langue maternelle) ; bagage variable en fonction du moment d’introduction de L2 dans le cursus scolaire. En d’autres termes, certains enfants seront toujours dans le processus d’acquisition de leur langue maternelle lorsque L2 sera introduite (c’est le cas de l’immersion précoce), d’autres seront déjà compétents en L1 dont ils seront en train de maîtriser les structures complexes (c’est le cas de l’immersion moyenne) et enfin d’autres maîtriseront totalement les aspects oraux de leur langue maternelle (c’est le cas de l’immersion tardive).

 

 

 

 

  1. le temps quotidien consacré aux apprentissages en L2.
Figure 27 : Variantes de l’immersion linguistique selon le temps consacré à l’enseignement en langue cible dans le cursus scolaire.

Dans le cadre d’une immersion totale, les deux premières années de scolarisation sont totalement dispensées en L2. À partir de la 3ème année d’immersion, un petit pourcentage d’heures de scolarisation est consacré à de la stimulation orale en L1.

 

Figure 28 : Pourcentages d’heures consacrés à la langue d’enseignement (L2) et à la langue maternelle (L1) dans l’enseignement par immersion totale telle qu’historiquement pratiquée dans les écoles d’immersion au Québec.

Dans le cadre d’une immersion précoce, le rôle des parents dans la stimulation de la langue maternelle orale sera donc essentiel, et ce d’autant plus si l’enfant est scolarisé dans une immersion totale au cours de laquelle les deux premières années de scolarisation sont entièrement consacrées à L2 (voir Figure 28 ci-dessus). Autrement dit, dans l’enseignement par immersion, les parents ne doivent pas être des enseignants de L2, mais bien des soutiens de L1.

En ce qui concerne l’immersion partielle, un soutien en L1 orale est fourni via l’école par les enseignants de L1. Cela ne dispense pas pour autant les parents d’une stimulation de l’enfant en L1 dont ils restent le référent principal. Dans le cadre d’une immersion partielle, les pourcentages d’heures consacrés à l’enseignement en L1 et en L2 varient au cours du cursus scolaire. Ainsi, dans le cadre d’une immersion partielle ‘75 %-25 %’, une inversion progressive de la proportion de L1 et de L2 sera d’application au cours de la scolarité.

 

Figure 29 : Pourcentages d’heures consacrées à la langue d’enseignement (L2) et à la langue maternelle (L1) dans l’enseignement par immersion partielle de type 75 %-25 %.

L’immersion linguistique scolaire constitue donc une approche alternative à l’enseignement traditionnel des langues étrangères et répond aux critères de l’enseignement bilingue tels qu’énoncés par Groux (2006). Par ailleurs, elle permet de contourner les problèmes majeurs de l’enseignement traditionnel des langues, à savoir :

  • le manque de précocité : l’immersion précoce commence dès la scolarité maternelle ;
  • le manque d’intensité : pendant les premières années, l’immersion totale représente 100 % du temps scolaire passé en L2 et l’immersion partielle entre 75 et 50 % (soit entre 27 et 19 heures par semaine) ;
  • l’aspect traductif et l’excès de réflexivité : en immersion, l’enseignement se fait en L2, l’accent est donc mis sur l’aspect fonctionnel de la langue qui est utilisée comme un moyen d’enseignement et non comme un objet d’enseignement.

En Belgique francophone, l’immersion linguistique scolaire est pratiquée depuis 1989, d’abord à titre expérimental, avant de devenir en 1998 une forme d’enseignement reconnue. En 2020-2021, elle était proposée dans 125 écoles (145 implantations) de la Fédération Wallonie-Bruxelles, tous réseaux confondus. L’immersion scolaire totale n’étant pas pratiquée en Belgique, les écoles offrent la possibilité de suivre un enseignement par immersion de type ‘50 %-50 %’ ou de type ‘75 %-25 %’ (comme illustré ci-dessus). La première école d’immersion linguistique créée en Belgique francophone a vu le jour en 1989 au Lycée L. de Waha à Liège et proposait, comme c’est toujours le cas actuellement, une immersion de type ‘75 %-25 %’ en anglais. Quelques années plus tard, l’école communale de Frasnes-lez-Anvaing dans le Hainaut fut la première école à proposer, sur le même modèle, une immersion en néerlandais, suivie par l’Athénée de Seraing en Province de Liège pour une immersion en allemand.


  1. Pour plus de détails sur le principe de l’immersion réciproque, le lecteur intéressé peut se référer à Tankersley, 2001.
  2. Pour plus d’information sur les écoles européennes, le lecteur intéressé pourra se référer au site du Bureau du Secrétaire Général des Écoles Européennes (https://www.eursc.eu/fr).