Postscriptum : Premiers résultats de l’enquête SHARE-Covid en 2020
La pandémie de SARS-CoV-2 n’arrête pas de perturber la vie quotidienne des Européens depuis le début de l’année 2020. Distanciation physique, confinement total ou partiel, obligation vaccinale… nombreuses sont les voies prises par les gouvernements européens pour tenter de freiner et, espérons-le, stopper l’épidémie. Même en échappant à la contamination au Covid-19 et à ses nouveaux variants, la population de tout âge vit au rythme des décisions publiques qui ont des conséquences diverses, visibles et moins visibles.
Mais ce sont sans doute les populations âgées et très âgées qui sont les plus affectées et paient de ce fait le plus lourd tribut. Outre les conséquences dramatiques de la pandémie auprès de ces catégories d’âge, et parmi elles en particulier les personnes dépendantes résidant en institutions, la pandémie a eu pour conséquence de bouleverser la vie de tous les jours des 50 ans et plus. Il est difficile à ce stade de dire s’il s’agit de bouleversements temporaires ou définitifs. Ce n’est que dans quelques années, quand de nouvelles vagues de l’enquête SHARE seront disponibles, que de nouvelles recherches sur les diverses thématiques abordées dans cet ouvrage pourront nous éclairer.
Cela dit, pour avoir un premier aperçu des effets de la pandémie sur les 50 ans et plus, et à la suite de l’interruption du déroulement de la vague 8, l’équipe SHARE a décidé de lancer une enquête à distance, par voie téléphonique, auprès des répondants. Ce questionnaire a été totalement consacré à l’épidémie de Covid-19 et à ses conséquences. La collecte de données a eu lieu entre les mois de juin et juillet 2020 dans l’ensemble des pays.
Cette période correspond aux mois d’été pendant lesquels, en Belgique mais aussi dans la plupart des pays couverts par l’enquête, on bénéficiait d’un déconfinement partiel. Autrement dit, il était possible d’avoir davantage de contacts sociaux, bien que ceux-ci devaient rester limités. Cet élément est à garder à l’esprit lorsque nous observons les statistiques présentées ci-après.
Il y aurait beaucoup d’éléments à développer dans ce chapitre, mais nous n’en retiendrons que quelques-uns, à notre avis les plus importants. Nous nous intéressons ici notamment aux conséquences de la première vague de la pandémie sur la santé, l’emploi et les conditions de vie, des sujets également traités auparavant dans cet ouvrage.
Le contenu de ce chapitre se base sur les données préliminaires de l’enquête SHARE-Covid, réalisée durant l’été 2020. Les analyses qui suivent, résultats et conclusions doivent donc être pris avec une certaine prudence.
L’impact direct de la covid-19 en europe
Pour commencer, nous nous penchons sur l’aspect le plus visible de la pandémie : les contaminations. Sans répliquer les statistiques nationales de propagation du virus, nous observons la proximité de celui-ci au travers de divers éléments, et son impact dans la vie des personnes de 50 ans et plus.
Le GRAPHIQUE 89 nous montre la proportion des personnes qui ont rapporté avoir eu des symptômes de la Covid-19 et/ou qui connaissent quelqu’un dans leur entourage qui les a eus. Dans l’enquête SHARE-Covid, la personne interrogée peut mentionner toute personne qu’elle considère proche, que ce soit un membre de la famille (dans ou hors du ménage), un ami, un voisin, un professionnel de la santé, etc.
Parmi les pays dans lesquels le virus semble avoir circulé jusqu’en juin-juillet 2020 de manière prononcée, et ce sur la base de la perception de leur population de 50 ans et plus, se trouvent la Suède, la Belgique et la France. Ces trois pays enregistrent respectivement 46 %, 29 % et 27 % de leur population de 50 ans et plus ayant rapporté avoir eu des symptômes de la Covid-19 ou qui connaissent quelqu’un en ayant souffert (sans nécessairement avoir été testé pour la présence du virus). Nous voyons sur ce graphique qu’un écart important existe entre certains pays dont la population semble peu touchée par la Covid-19, notamment à l’est de l’Europe, y compris la Grèce, et les autres qui semblent davantage concernés.
En regardant plus en détail les réponses données, mais pas rapportées ici, on constate que de manière générale les cas de symptômes observés sur ce graphique le sont principalement parmi les membres de la famille, faisant ou non partie du foyer du répondant. En Belgique par exemple, un membre de la famille a été cité par 63 % des sondés comme étant l’une des personnes ayant souffert de symptômes, tandis que 39 % ont cité un proche en dehors de leur cercle familial (amis, collègues, personnel soignant, etc.), et 12 % déclarent avoir elles-mêmes développé des symptômes de la Covid-19. Au total, dans le cas de la Belgique, environ 3 % des personnes sondées par SHARE au début de l’été 2020 ont déclaré avoir elles-mêmes eu des symptômes similaires, sans avoir nécessairement été testées positives à la Covid-19.
Graphique 89 : symptômes de la covid-19 : proportion de personnes touchées personnellement ou dont l’entourage l’a été
Avec ou sans symptômes, l’accès aux hôpitaux pour recevoir des soins était, en Belgique du moins, certes plus compliqué pendant le premier pic de l’épidémie et les mois qui l’ont suivi, mais le recours aux soins urgents pouvait néanmoins avoir lieu. Cela étant, un nombre important de rendez-vous médicaux a été annulé ou n’a pas pu être programmé, précisément à cause de la pandémie.
Les raisons d’un report de soins dans le contexte de l’épidémie peuvent venir de trois situations : l’annulation du rendez-vous par le patient par peur de contracter le virus sur le lieu de la prise en charge, son annulation par le médecin ou par l’hôpital dans le cas de soins jugés non urgents, ou enfin le refus par ces derniers d’un nouveau rendez-vous médical. Ces trois raisons, mentionnées dans l’enquête SHARE-Covid, résument la majorité des situations de report de soins durant la pandémie.
Graphique 90 : report de soins et proximité de la covid-19
Le GRAPHIQUE 90 met donc en relation la proximité du virus, c’est-à-dire le fait que le répondant ou son entourage a été touché par la Covid-19 d’une façon ou d’une autre3, et les reports de soins médicaux. Cette relation peut être intéressante car le report de soins peut venir non seulement d’une stratégie des hôpitaux mais aussi d’une crainte du répondant de se faire contaminer dans les lieux de soins.
Comme sur le GRAPHIQUE 89, nous observons davantage de pays de l’est de l’Europe à gauche, indiquant une proportion plus faible de la population des 50 ans et plus dans ces pays ayant été peu affectés par la Covid-19 durant la période étudiée. Ce qui nous intéresse est la tendance entre cette proportion et la proportion de personnes ayant eu ses soins reportés, quelle que soit la raison. Cette tendance est positive, indiquant éventuellement (ce sera à vérifier par une étude approfondie) un effet négatif de la crise sur les soins reçus et aussi, très probablement, sur la santé des personnes concernées.
Dans tous les cas, quel que soit le motif à la base du report du soin, il est dans notre cas consécutif à la crise. C’est le Luxembourg (61 % des 50 ans et plus), le Portugal (61 %) et les Belges francophones (51 %) qui semblent avoir été les plus impactés à ce niveau-là. Au sein de la Belgique, les néerlandophones, bien qu’environ au même niveau de proximité de la Covid-19 que les francophones, ont en moyenne subi moins de report de soins. Notons qu’au moins un quart des 50 ans et plus ont vu leurs soins reportés dans 24 pays sur les 27.
Une autre relation intéressante à investiguer concernant les effets directs de la pandémie peut être établie avec l’évolution de l’état de santé mentale de la population des 50 ans et plus. Lors de cette enquête SHARE-Covid, réalisée pour rappel par téléphone, une question a été posée sur le fait de se sentir déprimé et, le cas échéant, si un changement a été ressenti par rapport à avant le début de la pandémie4. Nous observons, sur le GRAPHIQUE 91, les personnes qui se disent être davantage déprimées depuis le début de la pandémie, selon leur proximité à la Covid-19.
Graphique 91 : proximité de la covid-19 dans la vie des personnes et sentiment d’être davantage déprimé
Nous pouvons apercevoir sur ce graphique une réponse différente à la proximité de la Covid-19 à travers les pays. En Hongrie par exemple, alors que « seuls » environ 10 % des 50 ans et plus ont été à proximité de la Covid-19 (GRAPHIQUE 90), l’écart en termes de dépression entre ces derniers et ceux n’ayant pas été à proximité du virus est le plus important. Les Hongrois ayant été à proximité du virus sont en effet bien davantage déprimés que ceux qui n’ont pas connu une telle proximité avec la Covid-19 (82 % des premiers se disaient déprimés, contre 44 % des autres). En revanche, la proportion de Danois ayant été à proximité de la Covid-19 était de 64 % mais la différence entre les deux groupes n’est pas importante (3 % de différence).
La réponse psychologique de la population des 50 ans et plus peut donc varier considérablement. Le contexte sanitaire pourrait être plus favorable dans un pays et pourtant, l’effet sur le moral des personnes y être supérieur, et inversement. Bien entendu, plusieurs éléments peuvent influencer ces résultats, tels que le type de mesures prises pour contrer l’épidémie, les habitudes comportementales liées à la culture ou encore d’autres spécificités que l’enquête ne permet pas de prendre en compte à ce stade5.
Avec ces premiers résultats, nous pouvons dire que la Covid-19 a eu des effets directs qui, s’ils sont vérifiés par une étude future plus élaborée, ont impacté la vie des personnes de 50 ans et plus.
- Néanmoins, cet impact a été différent selon les pays d’Europe. Les pays de l’Est semblent avoir été moins affectés lors de cette première vague que les autres régions.
- Nous observons une baisse de soins médicaux qui ne concernent pas la Covid‑19. À tout le moins, l’enquête SHARE-Covid confirme le fait qu’un très grand nombre de rendez-vous ont été reportés à cause de la pandémie. Ces reports peuvent avoir un effet négatif sur la santé globale.
- Bien que la relation ne soit pas nette, la proximité de la Covid-19 dans l’entourage des personnes peut avoir sur elles des effets négatifs, notamment en termes de santé mentale, ici illustrée par le sentiment de déprime.
État de santé avant et après confinement
L’état de santé autoévalué est un indicateur largement accepté comme reflétant l’état de santé réel, comme nous avons pu le constater au long de cet ouvrage. Dans SHARE, le répondant est invité à décrire son état général de santé en choisissant parmi cinq propositions : excellente, très bonne, bonne, acceptable ou médiocre.
Le GRAPHIQUE 92 reprend les personnes qui déclaraient avoir une santé acceptable ou médiocre avant la pandémie et distingue parmi celles-ci la proportion trouvant leur santé soit dégradée soit améliorée depuis. Pour simplifier davantage le graphique, la catégorie de personnes estimant que leur état de santé n’a pas bougé depuis l’arrivée de la pandémie n’est pas représentée. Cette catégorie peut en effet se déduire des deux premières.
Parmi les personnes ayant un état de santé acceptable voire médiocre déjà avant la pandémie, les choses ne se sont en moyenne pas améliorées, sauf au Pays-Bas et en Suède où il y a relativement davantage de personnes en meilleure santé depuis l’arrivée de la pandémie.
Ces deux pays se sont notamment distingués en ne souhaitant pas établir de confinement mais optant plutôt, au début de la crise du moins, pour une stratégie d’immunité collective. C’est en Belgique et au Luxembourg que l’état de santé des personnes qui ne se jugeaient pas en bon état de santé déjà avant l’arrivée de la pandémie s’est le plus dégradé, avec une proportion de plus de 25 %.
Graphique 92 : personnes en état de santé acceptable ou médiocre avant et variation depuis la pandémie
Cependant, bien que la moyenne tende vers une détérioration de l’état de santé dans tous les pays sauf aux Pays-Bas et en Suède, nous devons noter une proportion significative d’amélioration de plus de 10 % des personnes de santé acceptable ou médiocre avant la pandémie en Allemagne, en Suisse et en France, et de plus de 15 % en Finlande et pour les néerlandophones de Belgique. Ces derniers enregistrent une amélioration trois fois supérieure à leurs compatriotes francophones.
Ces résultats soulignent une grande disparité de l’effet de la pandémie sur la santé. Il est néanmoins inquiétant qu’une dégradation supplémentaire soit ressentie par tant de personnes de 50 ans et plus qui se déclaraient déjà en mauvaise santé avant la pandémie.
Le GRAPHIQUE 93 revient sur le report des soins médicaux, concernant cette fois la relation qu’il peut entretenir avec une détérioration de l’état de santé. Nous retrouvons le déclin de l’état de santé en abscisse (plus on se déplace vers la droite, plus la proportion de personnes déclarant avoir leur santé détériorée dans le pays est grande) et, en ordonnée, la proportion de personnes ayant vu leurs soins de santé reportés.
Graphique 93 : relation entre le report de soins et le déclin de l’état de santé
Comme sur le GRAPHIQUE 90, nous retrouvons une relation positive. Plus le pays a une proportion de soins reportés élevée, plus la proportion de personnes trouvant sa santé dégradée l’est également.
Enfin, nous nous intéressons à la santé mentale des répondants. Au lieu de la batterie de questions faisant partie de l’entretien SHARE classique, le questionnaire SHARE-Covid traite uniquement de quatre de ses éléments constitutifs : les sentiments de nervosité, de déprime et de solitude, ainsi que des éventuels problèmes de sommeil. Pour chacun de ces éléments, une question est aussi posée au répondant afin de savoir s’il/elle perçoit sur ce plan un changement par rapport à la période avant pandémie.
Le TABLEAU 25 présente le sentiment d’être davantage déprimé(e) et le déclin de l’état de santé depuis la pandémie, ainsi que la relation, autrement dit la corrélation6, entre les deux pour les personnes âgées de 50 ans et plus. Les pays y sont ordonnés en fonction du taux de corrélation, qui s’avère être positif et significativement différent de 0 dans tous les cas. Nous voyons que la relation entre le sentiment d’être davantage déprimé(e) et le déclin de l’état de santé est la plus forte notamment en Lituanie, Suède, Croatie et Portugal. Cette relation plus forte indique qu’un accroissement du sentiment de déprime et une baisse de l’état de santé sont intervenus, depuis la crise, conjointement plus souvent dans ces pays-là par rapport aux autres.
En Belgique, la relation est similaire entre francophones et néerlandophones (respectivement 0,23 et 0,26), malgré un plus fort sentiment d’être davantage déprimé(e) depuis le début de la pandémie parmi ces derniers.
Tableau 25 : accroissement du sentiment de déprime et déclin de l’état de santé depuis le début de la pandémie
La santé autoévaluée est un indicateur très pertinent de l’état de santé global d’une personne. L’enquête SHARE-Covid permet d’observer un déclin de l’état de santé des personnes de 50 ans et plus depuis l’arrivée de la pandémie, particulièrement chez les personnes déjà en mauvaise santé avant, durant la période étudiée du moins.
La proportion de personnes qui déclarent être davantage déprimées ou davantage nerveuses a augmenté depuis le début de la pandémie, évolution assez attendue, et confirmée malheureusement par l’enquête SHARE-Covid. Par ailleurs, on observe que ce sentiment va de pair, est corrélé positivement et significativement, avec le déclin de l’état de santé déclaré par les répondants.
Sans pouvoir nous prononcer à ce stade sur le sens de cette relation, il est néanmoins évident que la crise sanitaire, à peine quelques mois après son déclenchement, a eu un impact considérable à la fois sur le moral et sur l’état de santé ressenti par la population âgée de 50 ans et plus.
Répercussions socioéconomiques
Les diverses mesures de confinement prises par les autorités ont eu également un impact sur l’emploi et les conditions de vie de la population. L’enquête SHARE-Covid permet de faire un premier état des lieux concernant la population âgée de 50 ans et plus dans l’ensemble des pays participants.
Sur le GRAPHIQUE 94 nous nous intéressons à l’évolution de l’emploi au sein de la population des 50-64 ans. Nous réduisons ainsi la question de l’emploi à la catégorie d’âge qui est la plus à même de contenir des personnes actives professionnellement, dans la population SHARE. Ce faisant, nous voyons quel impact la crise sanitaire et les mesures visant à la contenir ont eu sur la proportion de personnes ayant dû arrêter leur activité professionnelle, même pour une période limitée, et ce pour une raison liée à la crise7. Ce graphique met en rapport le taux d’emploi avant la crise et la proportion des personnes qui ont dû interrompre ou arrêter leur activité suite au confinement, parmi les 50-64 ans.
Graphique 94 : taux d’emploi avant la crise et perte d’activité liée à la covid-19
Ce graphique montre que ce pourcentage varie radicalement selon les pays : 5 % des 50-64 ans actifs professionnellement ont subi une interruption en Pologne et aux Pays-Bas, alors que ce taux monte à près de 40 % en France. Parmi les pays les plus affectés, nous retrouvons notamment ceux ayant opéré un confinement strict pendant plusieurs mois et, comme en Belgique, un déconfinement progressif qui englobe la période étudiée de juin et juillet.
Une relation négative semble se dessiner entre la proportion de travailleurs âgés de 50 à 64 ans ayant eu une interruption, temporaire ou définitive, de leur activité professionnelle et le taux d’emploi d’avant la pandémie. En effet, plus le taux d’emploi dans le pays est faible, plus la perte due à la crise sanitaire est proportionnellement élevée sur ce graphique. Il faudra sans doute analyser cette relation de plus près par la suite. Notamment, une hypothèse à vérifier sera de savoir si la pandémie aura été accompagnée par des interruptions définitives de l’activité, par exemple des mises à la retraite anticipée, plus dans certains pays que d’autres, spécifiquement dans les pays où le taux d’emploi dans cette tranche d’âge se situait déjà auparavant à un faible niveau.
Bien entendu, comparer les pertes d’emploi entre les pays d’Europe doit être sujet à caution, car la structure de l’emploi est parfois diamétralement différente d’un pays à l’autre. Ainsi, alors qu’en Belgique par exemple le tourisme a peu de poids dans l’économie, globalement parlant (cela varie bien entendu très fortement à l’intérieur du pays), c’est une source plus importante de revenus en Grèce, notamment. C’est peut-être pourquoi nous trouvons la Grèce, la France, ou d’autres pays dans lesquels le tourisme a une place importante, parmi les pays où la perte d’emploi a été la plus sévère.
Plus concrètement encore, la perte de l’activité professionnelle a forcément un impact sur le portefeuille des ménages concernés, malgré parfois une compensation financière des gouvernements nationaux et locaux. Dans le contexte européen, il est fort difficile de se faire une idée de l’importance de ces compensations et donc de faire des comparaisons. Néanmoins, la CARTE DE L’EUROPE 4 suivante montre une baisse du revenu mensuel des ménages des 50 ans et plus, actifs professionnellement au moins avant le début de la crise financière, du plus foncé pour la baisse moyenne la plus importante au plus clair pour la plus faible.
Carte de l’Europe 4 : intensité de la baisse du revenu mensuel du ménage depuis le début de la crise sanitaire
C’est surtout dans les pays du sud de l’Europe qu’on constate les baisses les plus importantes dans le revenu de ces ménages : plus de 20 % de baisse en Grèce et en Roumanie, entre 15 et 19 % pour le Portugal, l’Espagne, l’Italie et la Slovaquie. La Belgique, comme la plupart des pays du centre et du nord de l’Europe, se trouve dans la catégorie des 5 à 9 % de baisse, sans différence significative entre les deux parties linguistiques. Parmi tous les pays repris, il n’y a que la Tchéquie qui enregistre en moyenne une hausse du revenu moyen des ménages (4 %).
Du côté des ménages où les personnes sont plutôt inactives professionnellement (qui s’y identifient en tout cas comme telles), les écarts sont bien moins significatifs. En effet, bien qu’une baisse soit presque systématiquement observée dans l’ensemble des pays, elle est limitée en moyenne de 0 à 5 % par rapport à avant la crise. Les ménages inactifs de plus de 50 ans étant principalement composés de retraités, il semble attendu qu’une perte de revenu soit minime.
Ces baisses de revenus, aussi bien parmi les ménages constitués de personnes toujours actives professionnellement que ceux exclusivement composés de personnes inactives, auraient pu être plus prononcées8. Tout dépend des politiques publiques mises en œuvre par les États, eux-mêmes liés à leurs capacités financières.
Pour ce qui concerne les pays faisant partie de l’Union européenne, en particulier de la zone euro, la décision de la Commission européenne dans son rapport du 20 mars 2020 de suspendre en partie, et sous conditions, les obligations budgétaires du pacte de stabilité et de croissance a donné à ces pays la possibilité de pallier, au moins partiellement, les difficultés des ménages face à la crise.
En Belgique, comme dans d’autres pays, les autorités nationales et locales prévoyaient des compensations financières, notamment pour aider les travailleurs qui ont été obligés d’arrêter leur activité professionnelle.
Comme nous pouvons le voir sur le GRAPHIQUE 95, la proportion de personnes ayant reçu de l’aide (de la part des autorités mais éventuellement aussi de la famille, de l’employeur, ou d’autres sources) varie extrêmement au travers des pays SHARE. Plus de 50 % des personnes de 50 ans et plus ayant dû interrompre leur activité ont déclaré avoir reçu une aide en Grèce, en Belgique et en Slovénie.
Graphique 95 : individus ayant subi une interruption ou une perte d’activité, % recevant des aides
Comme indiqué, l’aide financière reçue peut provenir de sources multiples. Selon les personnes interrogées, elle venait en majorité des autorités nationales, pour près de 80 % des cas en moyenne mais avec des variations importantes, de moins de 10 % en Bulgarie et en Hongrie à plus de 90 % en Grèce et au Danemark. En Belgique, la moyenne s’établissait à 78 %. À noter que l’aide financière dont nous parlons ici a été reçue soit par le répondant ayant dû interrompre son activité professionnelle, soit par tout autre membre du ménage.
L’observation faite au GRAPHIQUE 95 doit donc également se faire à la lumière des mesures appliquées pour combattre la pandémie. Nous avons observé des réponses différentes aux Pays-Bas et en Suède, où peu de mesures ont été imposées à la population durant la première vague, au contraire de la Belgique et de la France par exemple. La Suède et les Pays-Bas connaissent une proportion assez faible de personnes ayant reçu une aide. Cela s’explique sans doute par le fait qu’une perte d’emploi, même si liée à la Covid-19, n’était pas une conséquence des mesures gouvernementales.
Les ménages des 50 ans et plus sont-ils pour autant en plus grande difficulté financière depuis le début de la pandémie quand on la compare à la situation observée il y a quelques années ? Ce n’est en tout cas pas ce qui se dégage du GRAPHIQUE 96. Ce graphique met en rapport la proportion de ménages ayant déclaré avoir des difficultés « à joindre les deux bouts » à la vague 7 de SHARE (2016-2017), sur l’axe horizontal, avec cette même proportion en 2020, quelques mois après l’apparition de la pandémie, sur l’axe vertical9.
Les pays représentés en haut de la droite coupant le graphique en deux (courbe à 45°) connaissent une plus grande proportion de ménages en difficulté, par rapport à la situation quelques années auparavant. C’est le cas de la Slovaquie, du Portugal ou de la Grèce par exemple. Mais de manière générale les variations observées sur ce graphique ne correspondent pas à une dégradation de la situation des ménages de 50 ans et plus. C’est le cas notamment en Belgique. Nous constatons une proportion plus importante de ménages francophones de 50 ans et plus, par rapport aux ménages néerlandophones, déclarant des difficultés à joindre les deux bouts lors des deux vagues de l’enquête, mais en moyenne leur situation s’est améliorée entretemps, comme cela est aussi le cas des ménages néerlandophones.
Graphique 96 : difficultés financières avant et depuis la pandémie
Cette amélioration relative dans le ressenti des ménages face aux difficultés financières (à joindre les deux bouts) est à première vue en contradiction avec la baisse des revenus des ménages illustrée sur la CARTE DE L’EUROPE 4 présentée auparavant dans ce chapitre. Cela dit, les informations reprises sur cette carte concernent uniquement les ménages dans lesquels une personne au moins était toujours active avant la pandémie, tandis que le GRAPHIQUE 96, en revanche, reprend l’ensemble des ménages SHARE, dont les revenus sont principalement constitués de pensions, publiques et privées, qui n’ont pas été affectées jusqu’ici par la crise sanitaire. Enfin, il faut aussi noter que le lien entre ces deux indicateurs des conditions de vie n’est pas direct. En effet, les variations subies par le ménage au niveau de ses revenus n’affectent nécessairement pas de la même manière son ressenti à propos des éventuelles difficultés à joindre les deux bouts. Ainsi, par exemple, le coût de la vie pendant le confinement aura sans doute diminué du fait de la réduction de certaines dépenses, autrement incompressibles comme les frais de transport ou de vêtements, sans oublier de loisirs divers y compris de vacances.
Même si, comme nous l’avons observé, l’effet économique de la crise sanitaire sur la population des 50 ans et plus a fortement varié à travers l’ensemble des pays étudiés, de manière générale les conditions de vie de cette tranche de la population ne semblent pas avoir été affectées de manière significative, en tout cas jusqu’au moment du déroulement de notre enquête au cours de l’été 2020.
À titre de conclusion
Les conséquences de la pandémie sur la santé ou sur les conditions de vie peuvent être importantes aujourd’hui, et resteront sous une forme ou une autre dans nos vies pendant de nombreuses années, tant cette crise a touché la population de tout âge. Rappelons que le vieillissement est un processus qui commence tôt.
Seule une étude longitudinale et plus approfondie nous permettrait d’aller plus loin sur l’ensemble des points évoqués dans ce chapitre. Les résultats d’une telle étude remettraient-ils cependant en question les observations et suggestions apportées dans les vingt chapitres précédents ? Bien que certaines des nouvelles habitudes prises à la suite de la pandémie vont sans doute perdurer dans le temps, nous ne le pensons pas.
Il serait même bon d’être davantage conscient du rôle que peuvent toujours jouer les conditions de vie à la petite enfance sur la santé à l’âge adulte, des effets bénéfiques de l’exercice physique, ou d’un maintien d’une vie sociale, pour ne nommer que ceux-ci. Il est vrai que durant cette pandémie, le rôle de ces facteurs sur la santé et les conditions de vie, en principe bénéfiques, aura été mis à rude épreuve.
Mais malgré les confinements ou les mesures visant à étouffer le virus, nous devrions avoir à notre disposition les moyens de ne pas perdre ces bénéfices. Cela passera peut-être par des changements d’habitudes. L’enquête SHARE compte poursuivre ses observations pour savoir comment la population de 50 ans et plus aura vécu cette crise et quels seront les changements qui s’opéreront dans leur vie future.
Les informations tirées de l’enquête SHARE-Covid de juin et juillet 2020 seront en effet complétées par une nouvelle vague d’enquêtes du même type, et auprès du même échantillon, prévue pour la fin du printemps 2021. Celle-ci sera suivie par la vague 9 de l’enquête, en face-à-face si la situation sanitaire le permet, qui commencera au dernier trimestre 2021.
Les informations collectées lors de ces enquêtes seront ensuite mises en relation avec les informations individuelles collectées lors des vagues précédentes de SHARE, y compris les vagues rétrospectives (SHARELIFE, 3 et 7). Ces données longitudinales devraient aider à comprendre, au moins en partie, les effets de long terme de la crise sanitaire sur différents aspects de la vie de la population âgée. Elles devraient aussi pouvoir servir à mesurer l’impact des certaines mesures prises au niveau des pays européens pendant la crise sanitaire. Nous espérons d’ici là que la situation sera devenue bien plus facile à gérer et que nos vies seront à nouveau le plus possible entre nos mains.
1 Ces lignes ont été écrites au courant des mois de novembre et décembre 2020.
2 A. Börsch-Supan, « Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe (SHARE) Wave 8 », 2020. Release version: 0. SHARE-ERIC. Preliminary data set.
3 Ces pourcentages tiennent compte des répondants ayant dans leur entourage proche, y compris dans leur propre ménage, des personnes ayant développé des symptômes, mais également le cas de personnes ayant été testées, que le résultat ait été positif ou négatif, hospitalisées ou décédées à cause de la pandémie.
4 Étant donné la nature de l’enquête SHARE-Covid, nous ne disposons pas ici d’une échelle mesurant l’état éventuel de dépression comme pour les vagues précédentes de SHARE. Mais ce sera à nouveau le cas lors de la prochaine édition.
5 Nous devrions pouvoir en savoir plus lorsque des informations contextuelles seront disponibles et pourront être intégrées dans l’analyse. Nous pensons surtout ici à l’étendue des mesures de confinement et à leurs impacts social et économique.
6 Un coefficient de corrélation peut varier entre -1 et 1. Au Tableau 25, nous voyons qu’il est systématiquement positif pour chacun des pays.
7 La perte d’emploi ou de l’activité ne doit pas forcément être définitive, il peut s’agir d’une interruption dont on ne connaît pas dans certains cas l’issue finale (chômage temporaire ou arrêt d’une activité indépendante pendant quelques semaines). La question posée est : « En raison de la crise du corona virus, avez-vous perdu votre emploi, été mis en chômage partiel ou dû fermer votre entreprise ? ».
8 De manière générale, le revenu des personnes âgées retraitées est constitué essentiellement de pensions des régimes d’assurance publics et privés. À notre connaissance, ni le versement ni le montant de ces pensions n’auront été affectés par la crise jusqu’ici, et cela dans aucun des pays étudiés.
9 Il faut noter que dans les deux cas, celui de la vague 7 en 2016-2017 et de la vague Covid en 2020, la question posée s’intéresse à des périodes différentes, les derniers douze mois dans le premier cas et les derniers cinq mois dans le deuxième cas.