9 La maison de repos : passage obligé dans la dernière étape de vie ?

À son origine, l’enquête SHARE répond à l’appel lancé par la Commission européenne visant à améliorer les connaissances sur le processus de l’allongement de la vie et du vieillissement de la population1. Depuis la quatrième vague de l’enquête, SHARE couvre par la même occasion une facette encore plus méconnue de ce processus : l’entrée des personnes (très) âgées en maison de repos (et de soins).

Qu’est-ce qui pousse les personnes âgées à entrer en maison de repos ? Quelle est l’expérience des Belges et des Européens en la matière, et est-elle différente ? C’est à ces questions qu’ont tenté de répondre Anne Laferrère et ses coauteurs dans une étude parue en 20132, résumée ci-dessous.

 

Maison de repos

Une maison de repos est définie de la manière suivante dans l’enquête SHARE : « une maison de repos fournit au minimum tous les services suivants à ses résidents : distribution de médicaments, assistance et surveillance personnelle 24h/24 (pas nécessairement par une infirmière) et mise à disposition d’une chambre et de repas ».

 

Peu de personnes âgées décident d’entrer en maison de repos de manière planifiée. En général, elles préféreraient rester le plus longtemps chez elles, tant qu’elles conservent un minimum d’autonomie. C’est l’âge, l’apparition d’un handicap et l’indisponibilité de soins informels qui seraient les principaux déterminants de l’entrée en maison de repos.

Nous entrons pourtant dans une période où la demande de places dans les maisons de repos augmente et continuera très probablement d’augmenter dans les prochaines décennies par l’arrivée progressive des nombreux « papy-boomers »3, conséquence de l’allongement de la vie. Au même moment, le potentiel d’aide informelle devrait diminuer, conséquence de la baisse du nombre de naissances, mais aussi d’une plus grande participation des femmes sur le marché du travail, notamment.

Pour traiter du sujet des maisons de repos, il faut tout d’abord connaître le contexte institutionnel, principal déterminant de l’offre des services de soins de longue durée dans chaque pays. Ces pays offrent-ils les mêmes possibilités de soins formels (par exemple en nombre de places disponibles en maisons de repos), permettant de pallier la perte d’autonomie des personnes âgées dépendantes ?

 

L’aide informelle

L’aide informelle est une aide qui n’est pas rémunérée ou formalisée par un contrat de travail. C’est une aide apportée la plupart du temps par l’entourage familial. Elle vient souvent compléter les services fournis par une aide professionnelle (soins personnels, aide-ménagère, etc.), voire dans d’autres cas s’y substitue4. La recherche dans ce domaine montre que les femmes (épouse/partenaire, enfant) endossent plus souvent ce rôle que les hommes.

 

Il existe une grande variabilité dans la disponibilité de places en maisons de repos et dans leur usage effectif parmi les pays européens. D’après les chiffres de l’OCDE (2012) concernant les 65 ans et plus, repris dans le TABLEAU 11, c’est en Italie et en Pologne que l’on retrouve le moins de personnes institutionnalisées (2 % des 65+), et en Suède qu’il y en a le plus (8 % des 65+). La Belgique, comme la Suisse et les Pays-Bas, talonne la Suède avec 7 % de sa population des 65 ans et plus institutionnalisés en maison de repos (et de soins).

L’enquête SHARE contient des informations destinées aux chercheurs s’intéressant à la thématique des maisons de repos et du grand âge. D’une part, l’enquête ne s’arrête pas aux portes des institutions, les personnes en maison de repos sont interrogées avec un questionnaire adapté. D’autre part, lorsqu’un individu ayant participé à l’enquête décède, l’intervieweur réalise un dernier entretien avec un proche du défunt pour poser une série de questions sur la fin de vie de la personne concernée.

Tableau 11 : pourcentage de la population des 65 ans et plus en maison de repos (et de soins)
Source : OCDE (2012).

Les auteurs s’intéressent aux différences qu’il peut y avoir entre les pays européens dans la façon dont les maisons de repos sont vues par la population. Celles-ci sont-elles perçues comme des lieux de vie de long terme, plutôt comme des lieux de fin de vie, ou quelque chose entre les deux ?

Pour apporter une première réponse à ce questionnement, les auteurs se sont intéressés aux éventuels déménagements en maison de repos parmi les participants à l’enquête entre 2006 et 2011 (vagues 2 et 4). Ils observent ensuite la proportion de personnes toujours en vie ou décédées au cours de la même période. Les auteurs font prudemment la suggestion que si l’une des proportions est significativement supérieure à l’autre au sein d’un pays, nous pourrions alors avoir une indication de l’utilité attendue des maisons de repos par ses habitants. Une forte proportion de personnes décédées contre une faible proportion de personnes toujours en vie, durant la même période, tendrait à indiquer que les habitants perçoivent les maisons de repos comme un lieu de fin de vie principalement, et inversement5. Ces proportions sont données sur le GRAPHIQUE 31.

Graphique 31 : proportion des 65+ ayant déménagé en maison de repos entre 2006 et 2011
Les pays sont classés en fonction de l’écart existant entre les proportions de personnes toujours en vie et celles décédées. Les déménagements en maison de repos sont suivis entre 2006 et 2011 ; la personne, observée en 2011, peut être décédée ou toujours en vie. Source : Adaptation du Graphique 22.1, p. 254, A. LAFERRÈRE et al. (2013). SHARE (2006-2011).

Au vu de ces observations, les auteurs concluent que l’usage qui est fait de la maison de repos est différent selon le pays. Il semblerait qu’en Italie, en Pologne, en Allemagne, et moins fortement en Suède, au Danemark et en France, la maison de repos fait davantage office de résidence destinée à la fin de vie des individus.

En effet, parmi les personnes venant d’entrer en institution dans ces pays-là, il y a relativement davantage de personnes décédées que de personnes toujours en vie. Ce serait moins le cas dans les autres pays, y compris en Belgique où l’usage qui est fait de la maison de repos semble être mixte.

Concernant les éléments déclencheurs du passage en maison de repos, les auteurs montrent dans leur étude que, dans la plupart des cas, ce n’est pas un élément en particulier qui en est la cause, ils sont au contraire multiples.

Ainsi, une mauvaise perception de son propre état de santé, un état de dépression, des maladies sévères ou encore des limitations motrices ne sont pas des éléments suffisants, pris séparément.

Ce sont, en revanche, les limitations dans les activités de la vie quotidienne et leur accumulation qui déclencheraient l’entrée en maison de repos. Ce ne sont donc pas les mauvaises conditions de vie mais plutôt leurs conséquences dans la vie de tous les jours qui sont les facteurs principaux d’impossibilité de vivre de façon autonome.

De plus, le fait d’avoir à disposition de l’aide des membres de la famille ou une aide professionnelle à domicile permet de retarder l’entrée en maison de repos, voire de l’éviter totalement, selon certains cas.

 

Limitations dans les activités de la vie quotidienne

Ces limitations font référence à des difficultés rencontrées par la personne à réaliser certaines tâches essentielles pour mener une vie autonome. Nous retrouvons par exemple : s’habiller, se laver, aller aux toilettes, sortir du lit, faire les courses, ou encore se faire à manger. Les personnes qui éprouvent des difficultés à réaliser ces tâches sont qualifiées de « dépendantes », ou à risque de perte d’autonomie, selon l’intensité.

 

Enfin, les caractéristiques des individus nécessitant des soins ne sont pas les mêmes si l’on compare les pays ayant une offre relativement bonne de lits disponibles en maisons de repos, avec ceux qui en offrent peu (selon les chiffres du TABLEAU 11). Les auteurs compilent une série de données de la vague 4 de l’enquête (2011) que nous résumons sur le GRAPHIQUE 32. Celui-ci concerne les personnes de 75 ans et plus étant soit à haut risque de devoir entrer en maison de repos car elles accumulent cinq limitations ou davantage dans les activités de la vie quotidienne, et les personnes qui y habitent déjà.

Les pays étudiés sont divisés en deux catégories : le premier groupe reprend les pays ayant une offre faible de places en soins résidentiels (maison de repos, de revalidation, etc.), tandis que le deuxième groupe reprend les pays ayant une offre structurée, c’est-à-dire développée et largement étendue. Nous pouvons observer que les personnes étudiées vivent en moyenne différemment selon qu’elles se situent dans le premier ou deuxième groupe de pays. La population étudiée sur ce graphique est celle des 75 ans et plus en situation de dépendance, soit à domicile, soit déjà en maison de repos.

Graphique 32 : caractéristiques individuelles, selon le niveau d’offre de places en maison de repos
La population étudiée sur ce graphique est la catégorie des 75 ans et plus, en situation de dépendance. Source : Adaptation du tableau 22.3, A. LAFERRÈRE et al. (2013). SHARE (2006-2011).

Les personnes vivant dans les pays ayant une offre plus structurée vivent plus souvent seules ou uniquement avec le partenaire (par exemple, 2 % des personnes étudiées vivent avec au moins un enfant, contre 35 % pour l’autre groupe de pays). Ces personnes ont également moins de contact avec des membres de la famille (23 % ont des contacts journaliers avec un ou plusieurs membres de la famille, contre 51 % pour l’autre groupe de pays), et la même tendance est observable pour les contacts avec un enfant hors ménage.

Ces personnes ont donc moins de contact avec des membres de la famille que d’autres qui vivent dans des pays avec une offre faible de soins en résidentiel. Mais elles semblent également plus heureuses. Deux statistiques sur ce graphique montrent que ces personnes sont davantage satisfaites de leur vie en général (40 % contre 30 % pour l’autre groupe de pays), avec un écart plus large concernant la présence d’un sentiment de bonheur (45 % contre 22 %). Les personnes vivant déjà en maison de repos enregistrent des scores encore plus élevés.

Ces observations, combinées aux précédentes, amènent les auteurs à émettre deux hypothèses : d’une part, les soins informels dans les pays possédant une offre faible de soins en résidentiel ne sont peut-être pas aussi efficaces que les soins professionnels fournis dans les autres pays et, d’autre part, le fait de s’occuper d’un parent malade entrave peut-être le bien-être de ces personnes lorsqu’elles-mêmes vieillissent. Cette étude ne peut cependant ni confirmer ni infirmer ces hypothèses.

 

Ce thème vous intéresse ? Nous vous proposons quelques statistiques complémentaires pour continuer la lecture.

Ces statistiques sont tirées de la vague 6 de SHARE, dont les données ont été collectées en 2014-2015.

 

Quelques exploitations intéressantes des données de SHARE sur les personnes résidant en maison de repos sont possibles à partir des dernières données disponibles. Cependant, nous nous limitons aux données belges pour éviter toute conclusion sur un système institutionnel étranger dont les différences avec la Belgique nécessiteraient d’être davantage investiguées.

Les deux premières observations que nous faisons sont assez simples et relativement évidentes : les résidents en maisons de repos sont en général assez âgés et en grande majorité des femmes. Les femmes, avec une espérance de vie plus grande que les hommes, représentent en effet environ 72 % des résidents, aussi bien parmi les répondants francophones que néerlandophones. Le GRAPHIQUE 33 reprend la distribution par âge des résidents, hommes et femmes confondus dans les deux populations.

Graphique 33 : distribution par âge des résidents en maison de repos
Source : SHARE (2014-2015), Belgique.

La majorité des résidents en maisons de repos sont âgés de plus de 80 ans. En effet, les moins de 80 ans représentent 20 % et 16 % des résidents, respectivement pour chaque groupe linguistique. Par ailleurs, leur âge moyen est identique tant pour les Belges francophones que néerlandophones : 86 ans.

Qu’en est-il de la santé des personnes en maison de repos ? Si une partie des résidents se trouve en institution pour pallier un manque d’autonomie, ce n’est pas forcément le cas pour l’ensemble d’entre eux. Et par rapport au reste de la population ?

Le GRAPHIQUE 34 décrit les différences entre les personnes vivant dans leur propre logement (maison, appartement, etc., seules ou accompagnées) et les personnes vivant en maison de repos.

Graphique 34 : part des belges à avoir des difficultés à effectuer des tâches de la vie quotidienne
Source : SHARE (2014-2015), Belgique francophone, 65 ans et +.

Ces différences portent sur le nombre de difficultés que les personnes rencontrent à accomplir des tâches de la vie quotidienne (voy. le dernier encadré à ce propos). Elles sont importantes : parmi les 65+, les personnes vivant en maison de repos sont plus de 80 % à souffrir d’au moins trois difficultés, limitant donc leur indépendance. En comparaison, les personnes vivant dans leur propre logement sont un peu plus de 30 % à être confrontées à la même situation, lorsque l’on compare les mêmes catégories d’âge de la population.

Un autre constat intéressant est le profil assez similaire, en termes cette fois de nombre de maladies chroniques, entre les hommes et les femmes.

Graphique 35 : proportion de belges francophones affectés par deux maladies chroniques au minimum
Source : SHARE (2014-2015), Belgique francophone, 65 ans et +.

Le GRAPHIQUE 35 montre en effet deux choses : d’une part, plus de deux tiers des Belges francophones en maison de repos, hommes ou femmes, sont atteints par deux affections ou maladies chroniques au minimum. Ces affections ou maladies chroniques peuvent être du diabète, de l’hypertension artérielle, un cancer, etc.

D’autre part, outre ce trait commun des personnes en maison de repos, les hommes et les femmes vivant dans un logement privé ne sont pas exactement affectés de la même manière. En effet, pour les femmes, il n’existe presque aucune différence en termes de nombre de maladies chroniques, qu’elles soient dans un logement privé ou dans une maison de repos, tandis que pour les hommes, il existe une différence de l’ordre de 12 %. Les femmes déclarent donc relativement plus d’affections ou maladies chroniques que les hommes, en moyenne.

 

Ce qu’il faut retenir

Les auteurs de l’article mettent en lumière une réalité fort différente entre pays européens concernant les maisons de repos, et plus largement sur le contexte environnemental et social des personnes âgées dépendantes ou à risque de dépendance.

Les pays européens y sont divisés en deux groupes : ceux possédant une bonne offre de lits en maisons de repos, et ceux dont l’offre est faible. Ces différences sont a fortiori institutionnelles : là où les services pour personnes âgées sont peu développés, le tissu familial et l’entraide le sont en moyenne davantage, alors que là où l’État fournit ou encourage une offre formalisée de soins pour personnes âgées, les individus vivent plus souvent seuls.

Paradoxalement, l’étude permet également d’effleurer un thème à approfondir : les personnes recevant des soins formels (professionnels) semblent en moyenne plus satisfaites de leur vie que celles qui dépendent de soins informels (de l’entourage familial principalement). Il y a lieu sans doute aussi de s’intéresser au rôle que peut jouer la norme sociale à la fois sur le développement du secteur institutionnel et sur le souhait des personnes âgées, et de leurs enfants, du maintien au domicile ou non en cas de dépendance.

 

L’apport de SHARE pour ce sujet

  • Caractère longitudinal de l’étude : les auteurs utilisent les vagues 2, 3 et 4 de l’enquête (2006-2011), en se focalisant sur les 8.949 répondants n’étant pas (encore) résidents d’une maison de repos et de soins en vague 2 et leur évolution suivant les vagues.

  • Caractère international de l’étude : douze pays sont étudiés, dont la Belgique. L’étude effectue une comparaison détaillée entre individus en situation de dépendance dans différents pays, ceux qui tendent à organiser davantage d’aide professionnelle structurée, et ceux qui tendent à laisser la famille ou l’aide informelle s’y substituer.

  • Les chercheurs se sont focalisés sur des questions de dépendance (limitations dans les activités de la vie quotidienne) et de soins résidentiels.

 

1 Voy. à ce sujet les conclusions du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, à l’adresse http://www.europarl.europa.eu/summits/lis1_fr.htm.

2 A. Laferrère, A. Van den Heede, K. Van den Bosch et J. Geerts, « Entry into institutional care: predictors and alternatives », in A. Börsch-Supan, M. Brandt, H. Litwin et G. Weber (eds), Active ageing and solidarity between generations in Europe: First results from SHARE after the economic crisis, Berlin, De Gruyter, 2013, pp. 253-264.

3 La génération que l’on nomme « papy-boomers » reprend exactement les mêmes personnes de la génération des « baby-boomers », née entre 1945 et 1975. Ils sont simplement observés à des âges différents. Les « papy-boomers » sont en règle générale les « baby-boomers » au moment où ils prennent leur pension, soit autour de 65 ans.

4 Voy. à ce sujet É. Bonsang, « Does informal care from children to their elderly parents substitute for formal care in Europe? », Journal of Health Economics, jan. 2009, 28(1):143-54.

5 Les observations dépendent également des différences en termes de taux de participation à SHARE entre les pays. De plus, l’entretien de fin de vie, réalisé par un proche de la personne décédée, est plus difficile à obtenir. Ces différentes proportions montrent donc également, dans une certaine mesure, des différences de succès dans cette réalisation.

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La vie après 50 ans Copyright © 2021 by Xavier Flawinne et Sergio Perelman is licensed under a Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, except where otherwise noted.

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