11 La retraite nous fait-elle du bien ?

Prendre sa retraite marque-t-il une transition vers un style de vie différent ? Bien souvent, ce passage vers la retraite est entouré de flou ou d’inconnues. Motivante ou redoutée, elle n’est pour beaucoup pas suffisamment préparée. Sommes-nous encouragés à adopter des habitudes plus saines, ou au contraire sombrons-nous dans une routine délétère pour notre santé ?

 

Contexte

En Belgique, 36.462 salariés ou indépendants ont pris leur pension entre 2019 et 20203. Les pensionnés de tout âge représentent environ 19 % de la population totale belge.

 

Martina Celidoni et Vincenzo Rebba, les auteurs d’une étude parue en 20171, tentent de déterminer si le passage à la retraite change de quelque manière que ce soit les habitudes des nouveaux retraités en termes de santé. Pour ce faire, les auteurs observent, à travers des données de SHARE, les comportements des participants en termes de consommation d’alcool et de tabac, mais également d’activité physique2 ou encore de visites effectuées chez un médecin généraliste ou chez un spécialiste. Ainsi, leur intérêt porte sur les déterminants de l’état de santé futur des personnes, autrement dit leurs comportements, et non directement leur état de santé.

Les résultats obtenus par les auteurs tiennent compte de quelques spécificités : sexe, plus haut diplôme acquis et richesse nette du ménage4. Ils utilisent également les données de l’enquête qui leur permettent de connaître les conditions dans lesquelles le dernier emploi rémunéré s’est déroulé, ainsi que le statut socioprofessionnel des parents lorsque le répondant SHARE avait 10 ans5.

Tous ces éléments sont des facteurs qui, selon les auteurs, pourraient avoir une influence sur la façon dont nous nous adaptons à un nouveau train de vie ou à une nouvelle situation, au moment du passage à la retraite.

La manière de s’adapter à ce changement est bien entendu différente pour chacun. Mais les résultats de l’étude concluent à un effet général assez positif : les nouveaux retraités s’adapteraient à leur situation en effectuant davantage d’activités physiques et, pour les fumeurs, en fumant moins, notamment. De plus, cette tendance moyenne est encore plus forte pour les personnes ayant fait des études dans l’enseignement supérieur.

Le TABLEAU 14 résume ces résultats pour l’ensemble des dix pays étudiés, dont fait partie la Belgique6. Selon ces résultats, chaque caractéristique personnelle favorise une modification du comportement lié à la santé lors du passage à la retraite. Ces adaptations sont bien entendu des tendances moyennes7.

Tableau 14 : présence d’un effet significatif d’une caractéristique personnelle sur les comportements liés à la santé, lors du passage à la retraite
Note : pour le tabagisme, l’activité physique et la consommation d’alcool, l’étude présente le comportement en sens inverse : la probabilité de fumer davantage, la probabilité de rester inactif (ou de ne pratiquer aucune activité physique vigoureuse) et boire tous les jours de l’alcool, après le passage à la pension. Source : Adaptation du tableau 4, p. 819, M. CELIDONI et V. REBBA (2017). SHARE (2004-2011).

Ainsi, être fraichement retraité d’un statut d’ouvrier diminue notamment la probabilité de fumer, alors qu’aucun changement significatif en ce sens n’est trouvé chez les anciens employés. Ceci n’exclut pas qu’un employé arrête de fumer à son passage à la retraite, ou que tous les ouvriers vont arrêter de fumer. Il s’agit d’une moyenne pour deux catégories d’emploi englobant beaucoup d’individus. Pour être plus précis sur ces effets, il faudrait peut-être également réaliser ces calculs au niveau des secteurs d’activité, voire par métier.

Quel que soit le sexe ou le niveau de diplôme, tout individu semble bénéficier en général du passage à la retraite en termes de pratique d’une activité physique. En effet, sur le court ou moyen terme du moins, la probabilité de ne pratiquer aucune activité physique baisse. La seule différence existe en termes d’intensité : pour les détenteurs d’un diplôme de l’enseignement supérieur, cette tendance positive est deux fois plus forte.

En plus de mesurer ces relations pour l’ensemble des dix pays SHARE repris dans cette étude, les auteurs observent qu’au moins une caractéristique du système des soins de santé semble influencer ces tendances de manière positive. En l’occurrence, l’obligation de s’adresser à son médecin généraliste, pour avoir son avis et son accord, avant de prendre rendez-vous avec un médecin spécialiste.

 

Accès aux médecins spécialistes

Passer par son médecin généraliste est obligatoire pour accéder aux services d’un spécialiste au Danemark, en Italie, aux Pays-Bas, en Espagne et en Suède. Ce n’est pas le cas en Belgique, ni en Autriche, en France, en Allemagne ou en Suisse.

 

Dans les pays où c’est le médecin généraliste qui décide si le passage chez un spécialiste est opportun ou non, les résultats montrent qu’il est encore plus probable que les nouveaux retraités soient plus actifs qu’avant leur retraite. En d’autres mots, le médecin généraliste a ici un rôle central et décisif qui l’amène à informer davantage ses patients de bénéfices à tirer de comportements favorables, dans un sens large, au maintien d’une bonne santé. Le spécialiste fournit les soins demandés et, en revanche, son intervention et ses conseils tendront à se limiter à son champ d’expertise particulier.

 

Ce thème vous intéresse ? Nous vous proposons quelques statistiques complémentaires pour continuer la lecture.

Ces statistiques sont tirées de la vague 6 de SHARE, dont les données ont été collectées en 2014-2015.

 

Les graphiques ci-dessous reprennent quelques statistiques sur les comportements en termes de consommation d’alcool et d’activité physique au sein de la population âgée de 50 ans et plus.

Le GRAPHIQUE 39 présente la variation en termes de consommation de verres d’alcool en comparant les habitudes des 65-69 ans vis-à-vis des 60-64 ans. Sans faire la distinction explicite entre les retraités et les non-retraités, nous savons que les 65-69 ans sont moins actifs professionnellement que les 60-64 ans, ce qui rend la comparaison indicative.

Les répondants à SHARE déclarent dans un premier temps s’ils ont consommé de l’alcool dans les sept derniers jours. Si c’est le cas, ils donnent le nombre de verres d’alcool consommés sur la même période. Sont donc exclus de la statistique tous ceux qui ont consommé 0 verre d’alcool.

Graphique 39 : variation du nombre d’unités d’alcool consommées sur 7 jours, entre les 65-69 ans et 60-64 ans
Source : SHARE (2014-2015).

En moyenne, les 65-69 ans consomment de l’alcool de l’ordre de 4 % de plus que la classe d’âge inférieure, les 60-64 ans, ceci en 2015 et pour l’ensemble des pays SHARE. Mais ce que l’on peut observer également est qu’il existe une grande disparité entre les pays, de + 24 % en Israël à – 24 % en Estonie. En Belgique, si la moyenne générale est à la baisse (- 1 %), francophones et néerlandophones diffèrent totalement : + 10 % de consommation et – 11 %, respectivement.

Il est intéressant de noter que si, en revanche, nous comparions les classes d’âges 65-69 ans avec les 55-59 ans, soit une classe d’âge plus jeune, tant les francophones que les néerlandophones de 65-69 ans consomment moins d’alcool que les 55-59 ans.

Le GRAPHIQUE 40 représente les différences de comportement dans la pratique d’une activité physique vigoureuse, mais cette fois-ci en suivant les mêmes individus au cours du temps, avant et après leur passage à la retraite. Pour ce faire, nous avons repris les individus ayant participés aux vagues 4 (2010-2011) et 6 (2014-2015) et qui, entre ces deux vagues, ont pris leur retraite.

Si le pays se situe en haut de la droite diagonale qui sépare le graphique en deux, les mêmes individus de ce pays, une fois retraités, sont plus nombreux à pratiquer une activité physique vigoureuse une fois par semaine. C’est le cas notamment en Espagne, en Pologne ou au Danemark où, pour ce dernier, la différence est assez importante puisque s’ils étaient moins de 60 % à pratiquer une activité physique vigoureuse au moins une fois par semaine lorsqu’ils étaient actifs en 2010-2011, les Danois et Danoises sont près de 80 % à en pratiquer une fois à la retraite en 2014-2015.

La Belgique se situe relativement proche de la diagonale, indiquant une évolution peu significative de pratiques d’activité physique vigoureuse lors de leur transition vers la retraite.

Graphique 40 | proportion d’individus pratiquant une activité physique vigoureuse régulière
Suivi des non-retraités en 2010-2011 (vague 4) qui sont devenus retraités en 2014-2015 (vague 6). Activité physique vigoureuse au moins une fois par semaine. Source : SHARE (2014-2015).

 

Ce qu’il faut retenir

Le passage à la retraite n’est peut-être pas si négatif que certains pourraient le croire. Au contraire, les observations et calculs des auteurs sont optimistes puisqu’ils concluent qu’au moins pendant quelques années, la retraite est plutôt favorable en ce qu’elle ferait émerger des comportements liés à une meilleure santé.

Globalement, ces résultats sont aussi encourageants en ce qu’ils interviennent après les nombreuses vagues d’informations des années 2000, à l’initiative de l’Union européenne, promouvant le vieillissement actif comme moyen de rester en bonne santé. Sans pouvoir y conclure un lien de cause à effet, nous devons néanmoins le noter.

Le travail d’information n’est néanmoins jamais fini. Les résultats obtenus par les auteurs de l’étude revue dans ce chapitre pourraient intéresser les décideurs. Et ce surtout dans le but d’affiner les mesures favorisant des comportements individuels ayant des effets bénéfiques prouvés sur la santé dans le long terme.

 

L’apport de SHARE pour ce sujet

  • Caractère longitudinal de l’étude : avoir des informations concernant 32.424 individus sur un laps de temps de huit ans a permis aux auteurs d’observer les changements de comportement des individus ayant transité de la vie active à la retraite au cours de cette période.

  • Son caractère international : s’appuyant sur les données de quatre vagues successives, les auteurs comparent dix pays, dont la Belgique, et mettent en lumière l’importance de certaines différences institutionnelles.

  • Les auteurs contribuent à la littérature scientifique en exploitant des données de l’enquête SHARE, notamment des informations individuelles rétrospectives sur les conditions de travail pendant la vie active et sur la situation socioéconomique familiale pendant leur enfance.

  • En étudiant la transition vers la retraite en termes de comportements ayant une incidence directe sur l’état de santé, les auteurs fournissent de l’information utile pour l’élaboration de politiques publiques. Aux décideurs la tâche d’élaborer des mesures qui favorisent des styles de vie et des comportements plus sains, en particulier chez les personnes ayant dépassé les 50 ans8.

 

1 M. Celidoni et V. Rebba, « Healthier lifestyles after retirement in Europe? Evidence from SHARE », The European Journal of Health Economics, 2017, 18, pp.  805-830.

2 Selon l’Organisation mondiale de la santé, la cigarette, l’abus d’alcool et l’inactivité sont trois facteurs qui contribuent à plus du quart des maladies dans les pays développés.

3 Ce chiffre correspond aux nouveaux pensionnés venant du régime salarié et indépendant, et non aux anciens fonctionnaires. Source : Rapports annuels 2019 et 2020, Office national des pensions, https://www.sfpd.fgov.be/fr/centre-de-connaissances/statistiques/statistiques-salaries#annuelle.

4 Par richesse nette, nous entendons le patrimoine financier (compte en banque, épargne, actions, etc.), additionné au patrimoine non financier, le plus souvent l’habitation principale, duquel on soustrait les dettes éventuelles (crédit hypothécaire ou autre).

5 Les conditions de travail reprennent plusieurs informations : le type de travail (cadre, ouvrier, compétences requises), la charge de travail et si celui-ci était physiquement exigeant. Le statut socioéconomique des parents est mesuré de manière indirecte et approximative par le nombre de livres présents dans la maison quand le répondant avait l’âge de 10 ans.

6 Les pays étudiés sont : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Suède et Suisse.

7 De plus, les auteurs mettent en garde les lecteurs d’interpréter leurs résultats comme des tendances à long terme. Il s’agit au mieux de tendances à court et moyen terme, après le passage à la retraite. En effet, les habitudes peuvent changer, quelques années après le passage à la retraite.

8 Au-delà des quelques indicateurs repris dans cette étude – fumer, boire de l’alcool, faire de l’activité physique, aller voir son médecin généraliste ou un spécialiste –, d’autres comportements pourraient être favorisés : suivre un régime alimentaire sain, lire et se maintenir informé, etc. Malheureusement, à ce stade et étant donné le temps limité de l’interview, l’enquête SHARE ne permet pas de s’étendre sur davantage d’aspects de la vie des répondants. Néanmoins, il est prévu à moyen terme de diversifier les méthodes d’enquêtes et la périodicité des vagues de manière à faciliter la collecte d’informations complémentaires.

Licence

Symbole de Licence Creative Commons Attribution 4.0 International

La vie après 50 ans Copyright © 2021 by Xavier Flawinne et Sergio Perelman is licensed under a Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, except where otherwise noted.

Partagez ce livre