6 Votre entourage peut-il influencer votre propre état de santé ?

Dans la vie de tous les jours, adopter un comportement à risque pour la santé tel que fumer, boire trop d’alcool ou avoir un mauvais régime alimentaire, a de fait un impact de long terme sur la vie d’un individu. Ces relations ont été étudiées dans la littérature scientifique et sont en général bien connues du public.

La question posée dans ce chapitre est celle-ci : les habitudes des citoyens d’un pays peuvent-elles déteindre sur vous et, que vous adoptiez vous-même un comportement à risque ou non, l’état de santé des autres personnes peut-il influencer le vôtre ? Cette question, parmi d’autres, est celle que Tereswa García-Muñoz et ses coauteurs ont décidé de se poser en s’appuyant sur les données de SHARE dans leur étude parue en 20181.

La consommation de tabac, d’alcool, et l’obésité sont en effet des facteurs qui contribuent de façon importante aux problèmes de santé chroniques autrement appelés maladies « non transmissibles » : cancers, maladies cardiovasculaires, diabète ou encore cholestérol, pour ne citer que les plus connus. La prévalence de ces affections non transmissibles a également un coût important pour le système de sécurité sociale. Divers chapitres de cet ouvrage parlent de manière détaillée des causes, des conséquences et des possibles remèdes à ces affections ou maladies chroniques.

Dans le cadre de l’étude mentionnée ici, l’obésité est considérée comme un comportement à risque pour la santé, au même titre que le tabagisme ou la consommation excessive d’alcool ; or dans la réalité ce n’est pas tout à fait exact. L’obésité est davantage le résultat d’une accumulation de facteurs, une conséquence d’un mode de vie ou de facteurs biologiques, et donc plutôt un état. À ce stade, les données de SHARE ne permettent pas d’analyser les conséquences sur la santé d’un mauvais comportement alimentaire. Il n’y a donc pas dans cette étude de distinction entre une obésité résultant de mauvaises habitudes alimentaires et une obésité qui n’en résulterait pas. Dans les deux cas cela dit, l’obésité reste un facteur de risque aggravant pour la santé.

Ces trois éléments – consommation de tabac, alcool, et obésité – sont prégnants dans toutes les sociétés occidentales, et de plus en plus également dans les pays dits en voie de développement. Selon l’OMS, le nombre de personnes en situation d’obésité aurait triplé depuis 1975. En 2016 dans le monde, 13 % des adultes de 18 ans et plus étaient obèses, et 39 % en surpoids2. Il existe bien entendu des différences, faibles parfois mais d’autres fois assez importantes. Les Hongrois, les Belges et les Suédois ne semblent, par exemple, pas avoir les mêmes habitudes en la matière. Le TABLEAU 9 donne les statistiques de consommation de tabac, d’alcool et le taux d’obésité au niveau du pays.

Nous pouvons voir que la Hongrie accumule les facteurs de risque parmi les plus élevés : selon les chiffres de ce tableau, plus d’un quart de la population hongroise fume de façon quotidienne et plus d’un quart de la population est obèse. Leur consommation d’alcool est, dans la moyenne, au même niveau que celui des Belges. D’ailleurs, la Belgique se place au niveau de la moyenne des pays repris, et la Suède est le pays ayant les statistiques traduisant le comportement moyen le plus sain.

Tableau 9 : tabagisme, alcool et obésité
Pays classés en fonction du pourcentage de fumeurs, du plus petit au plus grand. Statistiques de l’OCDE pour les personnes de 15 ans et plus. Source : Adaptation du Tableau 3, T. GARCÍA-MUÑOZ et al. (2018), OCDE, Panorama des statistiques de l’OCDE 2014, Économie, environnement et société.

Ces différences ne sont pas nécessairement aléatoires. Les habitudes en termes de santé ne sont pas innées et sont façonnées en partie par l’éducation à la maison, à l’école, et ailleurs. Les auteurs de l’étude tentent de déterminer si ces comportements varient de manière systématique entre les pays et pourraient donc être associés à des facteurs culturels.

En effet, les habitudes peuvent s’acquérir dès l’enfance par l’école ou le cercle familial ; elles dépendent également de l’efficacité des politiques mises en place par les institutions, selon les priorités qu’elles se donnent en termes de prévention et d’information, ou encore de l’environnement spécifique à un pays ou une région.

Cela dit, l’évolution de la manière dont sont perçus certains comportements à risque est souvent culturelle et trouve son origine dans l’histoire du pays. Pour illustrer ceci, les auteurs donnent l’exemple de deux groupes de pays qui perçoivent différemment la consommation d’alcool : dans les pays scandinaves on la perçoit généralement de manière négative, liée à la violence ; à l’opposé, dans les pays méditerranéens, on la voit plutôt jouer un rôle social, à connotation positive.

Deux associations sont donc analysées ici : la première est l’association entre certaines caractéristiques ou habitudes individuelles et notre état de santé. Autrement dit la façon dont notre propre comportement influence notre état de santé. La deuxième est l’association entre le comportement des autres personnes et notre propre état de santé.

De la même manière que les auteurs utilisent SHARE pour connaître les habitudes et les caractéristiques individuelles, ils puisent également dans SHARE l’estimation de l’état de santé individuel. Comme précisé dans d’autres chapitres de cet ouvrage, pour ces auteurs, l’état de santé tel que perçu par l’individu lui-même est également considéré comme étant un indicateur assez précis de l’état de santé réel.

Graphique 19 : effets significatifs de caractéristiques ou habitudes individuelles, sur l’état de santé autoévalué (moyenne share, effets relatifs au groupe de référence)
Source : Adaptation du Tableau 2, T. GARCÍA-MUÑOZ et al. (2018) SHARE (2010-2011), 50 ans et +.

Le GRAPHIQUE 19 illustre les résultats statistiques présentés par les auteurs pour la première des deux associations présentées ci-dessus, c’est-à-dire l’association entre différentes caractéristiques ou différents comportements individuels et l’état de santé autoévalué. Les associations négatives sont en rouge et les positives en bleu.

Seules les associations statistiquement significatives sont présentées et elles indiquent l’importance des déviations par rapport au groupe de référence. Par exemple, le fait d’être âgé de 81 ans ou plus est associé négativement avec l’état de santé (autoévalué), et indique que ce groupe a 23 % de risque de déclarer un moins bon état de santé, par rapport au groupe de référence, dans ce cas constitué des individus âgés entre 50 et 60 ans. L’intérêt de ce graphique est de donner le signe de la relation, et son intensité par rapport au groupe de référence.

Nous pouvons voir que certains facteurs influencent l’état de santé plus que d’autres. Ainsi, un indice de masse corporelle (IMC) élevé et l’âge avancé sont les caractéristiques qui impactent le plus la santé autoévaluée. Le fait de fumer ou d’avoir fumé par le passé est également associé négativement à l’état de santé, bien que d’une façon moins importante. De manière intéressante, le fait de boire de l’alcool, même au-delà des recommandations maximales de l’OMS, est associé à un meilleur état de santé (autoévalué).

Les auteurs ne sont pas surpris par cette association positive entre meilleure santé et consommation modérée d’alcool, car elle a déjà souvent été notée dans la littérature scientifique. Plus inquiétant, ils notent également un effet positif de la consommation excessive d’alcool sur la santé. Ils concluent qu’il doit exister un effet culturel positif suffisamment important pour compenser les effets négatifs de cette consommation excessive en termes de santé.

De manière plus détaillée, le GRAPHIQUE 20 illustre les résultats statistiques obtenus par les auteurs montrant l’association entre le tabagisme actif et l’état de santé, pays par pays. Alors que dans le cas du Portugal cette association apparaît positive, c’est en Belgique que l’association avec la santé est la plus négative. À noter qu’il ne s’agit pas ici de tirer des conclusions sur la relation de long terme entre comportements individuels et état de santé, mais plutôt d’observer cette association à un moment donné (ici en 2010-2011), de surcroît liée à la subjectivité de l’autoévaluation.

Au-delà du tabagisme actif, fumer est toujours associé négativement à la santé autoévaluée, que les personnes fument toujours ou aient arrêté. Cependant, l’effet négatif estimé par les auteurs est assez faible, contrairement à ce que l’on pourrait penser des effets du tabac sur la santé. Pour les auteurs, ce résultat va dans le sens de la littérature scientifique existante, qui l’explique comme une forme d’acceptation des risques du tabagisme sur la santé de la part des fumeurs eux-mêmes. De plus, cette association varie en intensité entre les pays, ce qui montre le rôle important que la culture peut avoir dans la perception des risques de la consommation de tabac.

À l’opposé, la consommation d’alcool est associée positivement à la santé subjective, tant pour les buveurs modérés que pour les gros buveurs. Pour les premiers, une fois de plus, la littérature scientifique connaît ce phénomène et les auteurs ne font que le confirmer avec les données de SHARE. Il semblerait que la boisson modérée soit en effet associée positivement à la santé autoévaluée, car elle procurerait selon certaines études des effets positifs tant en termes médicaux que sociaux.

Graphique 20 : santé autoévaluée et tabagisme actif (coefficients de régression)
Ces coefficients sont interprétés par les auteurs comme correspondant à l’effet d’une variable explicative sur la variable dépendante dans le modèle estimé. Dans le cas présent, il s’agit de l’effet du tabagisme actif sur l’état de santé autoévalué. Nous ne sommes pas intéressés ici par la valeur de ces coefficients, mais plutôt par leur signe et leur intensité. Source : Adaptation du Graphique 1, T. GARCÍA-MUÑOZ et al. (2018). SHARE (2010-2011).

De la même manière que la consommation de tabac, l’effet qu’a la consommation d’alcool sur la santé autoévaluée varie significativement entre les pays étudiés, ce qui va dans le sens d’une différenciation liée à la culture. De plus, l’association entre cette fois le niveau de consommation moyen du pays avec la santé autoévaluée est négative. Ce qui veut dire que plus cette moyenne de consommation est élevée, plus la perception de son état de santé sera réduite, pour les buveurs mais également pour les abstinents. L’effet, bien que significatif, reste toutefois assez faible. Les auteurs tirent le constat que dans ces pays où la consommation moyenne par habitant est faible, ceux-ci sont davantage conscientisés des conséquences potentiellement négatives d’un excès d’alcool sur la santé, mais également sur plusieurs autres pans de la vie, dont les conséquences sont davantage visibles.

Enfin, contrairement aux deux éléments précédents, l’association négative de l’excès de poids sur la santé subjective ne semble pas varier selon les pays, ce qui tendrait à indiquer que l’obésité est plutôt un phénomène généralisé. La seule différence notable entre les pays est l’association entre le pourcentage d’individus obèses et la santé autoévaluée moyenne. En effet, la relation devient positive au plus ce pourcentage augmente : dans les pays où il y a davantage d’individus en surpoids, la santé est perçue plus positivement. Les auteurs confirment que notre perception dépend en partie de nos relations sociales : les contacts avec des personnes en surpoids peuvent changer notre perception des risques associés à l’obésité, en les minimisant. Ils citent un article3 qui apporte des arguments en faveur de l’existence d’une « dynamique sociale de l’épidémie d’obésité », qui se traduit en des changements sociétaux universels promouvant inactivité, consommation alimentaire, et la normalisation des grandes tailles.

Les auteurs concluent en recommandant des mesures visant à freiner ces consommations mauvaises pour la santé. Des campagnes d’information et de prévention, d’une part, mais également des mesures plus restrictives pour accompagner les choix des individus, tels que des taxes sur le tabac, l’alcool, et les aliments trop riches ou trop industriels, d’autre part. Nous avons vu au CHAPITRE 3 que des mesures d’augmentation du prix du tabac, entre autres, avaient réussi à diminuer le nombre de fumeurs et avaient ainsi amélioré la santé des personnes.

 

Ce qu’il faut retenir

Fumer, boire de l’alcool, ou se trouver en situation d’obésité n’apportent pas d’effets positifs pour la santé. Ces effets négatifs sont bien connus. Cependant, au-delà de l’effet direct de ces substances ou de l’obésité sur les risques additionnels de développer des maladies chroniques, des éléments culturels semblent apporter des effets complémentaires qui nuancent ces résultats.

Les auteurs montrent que plus la proportion de buveurs est élevée, plus la santé individuelle s’en trouvera dégradée. Cette conséquence négative sur la santé individuelle concernant un comportement agrégé, que l’individu lui-même le pratique ou non, est similaire pour la consommation de tabac. Avec une précision importante : il ne s’agit pas nécessairement ici d’effets visibles engendrés par les consommateurs sur les non-consommateurs (violences dues à l’alcool, tabagisme passif, etc.), mais d’un effet plutôt indirect de la consommation des autres sur sa propre perception de son état de santé.

Enfin, concernant l’obésité, un phénomène culturel n’a pas pu être identifié. Les auteurs concluent qu’il s’agit plutôt d’une tendance mondiale où ses effets sur la santé n’auraient pas de frontières et seraient systématiquement négatifs.

Ces résultats sont très intéressants. Il n’est pas neuf de montrer que les comportements individuels affectent positivement ou négativement l’état de santé. Cependant, il est moins courant de tirer des conclusions à partir de comportements agrégés. Comme le suggère le titre de ce chapitre, le comportement de votre entourage peut éventuellement affecter votre santé. Indirectement bien sûr !

Cependant, il faut souligner le fait que cette étude ne s’appuie que sur la vague 4 (2010-2011) de SHARE. Elle ne peut donc pas se prononcer sur ces effets, produits des comportements individuels ou de groupe, sur la santé de la population dans le long terme.

 

L’apport de SHARE pour ce sujet

  • Caractère international : seize pays ont été étudiés par le groupe de chercheurs, en prenant comme point focal les années 2010-2011 (vague 4).

  • L’étude est singulière, non pour avoir tenté de distinguer les effets de certaines caractéristiques individuelles, y compris des comportements, sur la santé, mais pour avoir observé un grand nombre de populations différentes et de déterminer si oui ou non un effet culturel sur la santé est possible en ce qui concerne la consommation d’alcool, de tabac, et de l’obésité. Les auteurs montrent que c’est bien en partie le cas.

 

1 T. García-Muñoz, Sh. Neuman et Tz. Neuman, « Behavioral Health Risks Factors: The Interaction of Personal and Country Effects », International Journal of Behavioral Medicine, 2018, 25, pp. 183-197.

3 R. A. Hammond, « Social influence and obesity », Current Opinion in Endocrinology, Diabetes and Obesity, 2010, vol. 17, n° 5, pp. 467-471.

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La vie après 50 ans Copyright © 2021 by Xavier Flawinne et Sergio Perelman is licensed under a Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, except where otherwise noted.

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