19 Le bénévolat : sacrifice ou opportunité ?

Qu’est-ce qui motive une personne à faire du bénévolat ? Si le déclic peut provenir d’une multitude de facteurs tels que le développement personnel, une baisse du temps de travail, ou encore à la suite d’un changement de situation d’une personne de son entourage, le bénévolat apporterait une hausse de la qualité de vie qui pourrait devenir à elle seule une motivation suffisante pour passer le cap.

 

Le bénévolat

Terme bien connu, le bénévolat est une activité non rémunérée qui peut être réalisée d’une manière formelle, au travers d’organisations non gouvernementales ou d’associations de toutes sortes, ou de manière informelle, pour une cause particulière ou directement auprès de personnes ne vivant pas dans son propre foyer.

 

Mais le tableau dressé par la littérature scientifique n’est pas suffisamment clair. Le bénévolat améliore-t-il la vie des personnes qui le pratiquent, ou ceux-ci sont-ils à l’origine plus enclins à y participer, car en meilleure santé et bénéficiant déjà d’une meilleure qualité de vie ? Distinguer entre la cause et l’effet ou, en d’autres termes, identifier le sens de la causalité, n’est pas simple et mobilise les chercheurs dans de nombreuses disciplines, comme nous avons pu le constater à plusieurs reprises tout au long de cet ouvrage.

Dans une étude parue en 20181, Thomas Hansen et ses coauteurs se sont intéressés au bénévolat et à ses conséquences éventuelles sur la qualité de vie. Ces auteurs montrent qu’il existe un lien causal entre la pratique d’une activité bénévole et le degré de satisfaction retiré de la vie.

Cette étude innove en combinant plusieurs angles d’analyse qui sont peu souvent présents dans la littérature. Premièrement, elle bénéficie des données de SHARE pour onze pays européens2, et ajoute des informations similaires d’une enquête réalisée en Norvège3. L’utilisation des deux premières vagues de SHARE (2004-2006) et de l’étude norvégienne permet aux auteurs de rassembler 18.559 répondants âgés de plus de 50 ans et de se concentrer sur les éventuels changements intervenus au niveau individuel au cours du temps, aussi bien dans leur participation que dans l’intensité de leurs activités bénévoles.

La comparaison des habitudes en termes de bénévolat et de bénéfices potentiels sur le bien-être entre les pays, c’est-à-dire réfléchir à la composante culturelle, est le premier élément intéressant. Nous verrons que ce contexte national peut être fort hétérogène, parfois encourageant le bénévolat et d’autres fois rendant les personnes indifférentes à la pratique.

Deuxièmement, les auteurs observent comment les variations des parcours de vie peuvent affecter l’association entre bénévolat et qualité de vie. Par exemple, comment l’âge ou le statut sur le marché du travail peuvent affecter la participation au bénévolat dans la population, ou les bénéfices retirés de ce bénévolat.

Troisièmement, ils observent le niveau d’intensité du bénévolat, c’est-à-dire la fréquence à laquelle la personne pratique son activité, que ce soit une fois par mois, par semaine, plus souvent, etc. Les bénéfices sur la santé sont-ils proportionnels à l’intensité du bénévolat ? Ces bénéfices disparaissent-ils lorsque la personne arrête ?

Le GRAPHIQUE 77 indique le montant de dépenses sociales par habitant et le pourcentage de personnes ayant déclaré pratiquer une activité de bénévolat dans les douze derniers mois. Le montant des dépenses sociales par habitant est pour les auteurs une bonne mesure de l’effort réalisé par le pays pour couvrir les besoins de la population qui nécessitent des prestations particulières. Au plus ces dépenses sont élevées, au plus l’État met des moyens pour rencontrer les besoins de personnes fragilisées.

 

Dépenses sociales

Ce type de dépenses couvre les prestations, biens et services ciblés sur les ménages à faible revenu, les personnes âgées, handicapées, malades, les chômeurs ou les jeunes. Un programme « social » se caractérise par une redistribution des ressources entre les ménages ou une participation obligatoire.

Source : https://data.oecd.org/fr/socialexp/depenses-sociales.htm

C’est la Grèce qui dépense le moins dans ces matières (6.905 $ en moyenne par habitant) et la Norvège qui dépense le plus (12.890 $) pour l’année 2016. La Belgique se situe dans la moyenne haute, à 11.123 $ par habitant. Du côté du taux de bénévolat dans le pays, on observe un gradient nord-sud. L’Italie, la Grèce et l’Espagne ont les taux les plus faibles, et le Danemark, la Norvège et les Pays-Bas les taux les plus élevés.

Graphique 77 : dépenses sociales par habitant et taux de bénévolat
Population générale, non spécifique aux 50+. Dépenses sociales par habitant en dollars. Le taux de bénévolat est calculé sur l’ensemble de la population de 18 ans et plus et tient compte des personnes ayant déclaré faire une activité de bénévolat au moins une fois par mois. Sources : Adaptation du Tableau 1, T. HANSEN et al. (2018), p. 5. Dépenses sociales : OECD (2016) Taux de bénévolat : European Values Survey (2016).

Les auteurs notent que si les pays du nord enregistrent une proportion plus importante de bénévoles, par rapport aux trois pays du sud représentés dans l’étude, les bénévoles de ces derniers pays y pratiquent en revanche de manière plus intensive. En effet, une activité bénévole journalière est plus fréquente dans le sud de l’Europe, tandis qu’une activité hebdomadaire ou mensuelle l’est davantage dans le nord.

Graphique 78 : bénévolat : estimation du bien-être par classe d’âge
La longueur respective des barres représente la variation de l’estimation du bien-être. Par exemple, le bien-être estimé des personnes âgées entre 50 et 64 ans sous le statut « Bénévole régulier » se situe entre 7,7 et 7,9 sur une échelle de 10. Le bien-être estimé des personnes de 65 ans et plus qui pratiquent plus fréquemment qu’avant une activité de bénévolat se situe entre 7,9 et 8,1. Le bien-être est estimé ici au travers d’une seule question posée aux répondants : « Sur une échelle de 0 à 10, où 0 signifie que vous êtes totalement insatisfait(e) et 10 que vous êtes totalement satisfait(e), comment jugeriez-vous votre vie ? ». Elle donne donc une mesure de la satisfaction retirée de la vie, l’un des aspects du bien-être. Source : Adaptation des graphiques 1, 2, T. HANSEN et al. (2018), p. 9.

Les GRAPHIQUES 78 et 79 résument les principaux résultats de cette étude. Ils indiquent les variations du niveau de satisfaction (une échelle qui varie entre 0 et 10), soit selon le statut de bénévolat, soit de son intensité, par groupe d’âge (2) et par niveau moyen de dépenses sociales par habitant (3).

Sur le GRAPHIQUE 78, nous pouvons voir la représentation graphique des résultats des auteurs pour deux groupes d’âge : les 50-64 ans et les 65 ans et plus. Outre une différence significative dans le niveau de bien-être, plus élevée parmi les plus âgés, des différences significatives sont aussi observables parmi les individus exerçant des activités bénévoles, et ce indépendamment du statut ou de l’intensité.

Les auteurs concluent que le lien entre le niveau satisfaction et le bénévolat régulier existe, mais uniquement pour les bénévoles de plus de 65 ans.

 

 

Graphique 79 : bénévolat : estimation du bien-être par catégorie de dépenses sociales du pays
Source : Adaptation des graphiques 5 et 6, T. HANSEN et al. (2018), p. 10.

Le GRAPHIQUE 79 indique, de manière générale et assez intuitivement, que le niveau de bien-être est plus élevé dans les pays dans lesquels le niveau de dépenses sociales est le plus élevé. En revanche, c’est dans les pays où le niveau de dépenses sociales est le plus bas que la pratique du bénévolat aurait un effet plus marqué sur le bien-être, en particulier parmi ceux qui démarrent une activité de ce type et qui le font de manière plus intensive.

Une corrélation positive existe donc entre le fait d’exercer des activités bénévoles et le sentiment de bien-être. Le doute reste néanmoins sur le sens de la causalité : est-ce parce qu’on devient bénévole qu’on est plus satisfait de la vie, ou parce qu’on est satisfait de la vie que l’on devient bénévole ? Les auteurs ne tranchent pas cette question, les informations disponibles ne le permettant pas, mais tentent de tirer une conclusion en interprétant l’ensemble des résultats sous ces deux hypothèses contradictoires.

S’il s’agit d’un lien causal, un effet qui serait davantage observable dans les pays à faibles dépenses sociales et à faible taux de bénévolat serait explicable par le fait que les bénévoles, peu nombreux dans ces pays, se sentent probablement plus utiles. Dans les pays où l’État ne comble pas suffisamment les besoins des populations fragiles, celles-ci resteraient sans aide sans apport du bénévolat. Et, selon l’hypothèse avancée par les auteurs, les personnes qui pratiquent le bénévolat de manière régulière, en particulier dans ces pays, reçoivent davantage de retours positifs du fait de leur activité. Un effet bénéfique qui se traduirait par une meilleure estime de soi, une plus forte intégration sociale et un meilleur état de santé général. Ces éléments sont sans doute exacerbés dans les pays où le taux de bénévoles est faible et où l’aide publique l’est également. Cette hypothèse justifierait un effet de long terme du bénévolat sur le niveau de satisfaction, avec des résultats économétriques qui vont dans ce sens.

Les résultats économétriques présentés par les auteurs vont dans ce sens, mais peuvent aussi être influencés par un biais de sélection s’il s’avère que ce sont au départ les personnes les plus heureuses (satisfaites de leur vie) et en meilleure santé qui sont majoritairement les plus attirées par le bénévolat.

Alors, lien causal ou non ? S’il est très difficile de trancher cette question, les auteurs tablent sur une association des deux, justifiée par la combinaison de leurs résultats avec ceux de la littérature scientifique sur ce thème. Il semble donc bien que l’on puisse s’attendre à quelques effets bénéfiques du bénévolat sur notre satisfaction de vie et, de là, sur d’autres aspects tels que la santé qui lui est intimement liée.

 

Ce thème vous intéresse ? Nous vous proposons quelques statistiques complémentaires pour continuer la lecture.

Ces statistiques sont tirées de la vague 6 de SHARE, dont les données ont été collectées en 2014-2015.

 

Le bénévolat est une pratique plus ou moins courante selon les pays, les régions et les catégories sociales. Les graphiques présentés ci-dessous concernent exclusivement le taux de bénévolat parmi les 50 ans et plus en Europe et en particulier en Belgique.

Sur le GRAPHIQUE 80, nous présentons le taux de bénévolat par pays, estimé à partir de l’enquête SHARE. On peut y voir une forte ressemblance avec la distribution présentée au GRAPHIQUE 77, à la différence qu’il s’agit ici uniquement de la population âgée de 50 ans et plus, que l’activité bénévole aurait pu être exercée tout au long de l’année précédente et qu’un nombre plus important de pays sont représentés. Cette mesure n’est pas non plus conditionnée à l’intensité ou la fréquence de l’activité bénévole, qui interviendra après.

Graphique 80 : taux de bénévolat
Source : SHARE (2014-2015), 50 ans et +.

Comme mentionné auparavant, les pays du nord et du sud n’ont pas les mêmes proportions de bénévoles actifs dans leur pays. Les pays du sud et de l’est ont systématiquement des taux de bénévolat inférieurs à ceux observés dans les pays du nord, du centre et de l’ouest de l’Europe. En Belgique ces taux sont relativement élevés comparés à l’ensemble des pays, aussi bien parmi les francophones que les néerlandophones, 26 % et 28 % respectivement, au sein de la population âgée de 50 ans et plus.

Graphique 81 : taux de bénévolat, âge et éducation
Source : SHARE (2014-2015), 50 ans et +.

Le GRAPHIQUE 81 reprend le taux de bénévolat en fonction de l’âge et du niveau d’éducation. Nous pouvons y voir que ce taux atteint son pic dans la tranche d’âge 60-69 ans, à 33 % soit à un tiers de cette population en Belgique, qui pratique donc une activité bénévole de manière plus ou moins régulière.

Le niveau d’éducation quant à lui semble être fortement corrélé à l’activité de bénévolat. Les écarts observés entre les niveaux d’éducation sont importants en Belgique et pour la moyenne des pays SHARE.

Au plus ce niveau d’éducation est élevé, au plus nous trouverons davantage de personnes pratiquant une activité de bénévolat.

Graphique 82 : taux de bénévolat par statut socioéconomique
Source : SHARE (2014-2015), 50 ans et +.

Le taux de bénévolat est décomposé selon le statut socioprofessionnel des 50 ans et plus sur le GRAPHIQUE 82. De manière générale et si nous regardons la moyenne SHARE, les personnes à la retraite et les personnes toujours actives (employé[e] ou indépendant[e]) sont proportionnellement plus nombreuses à faire du bénévolat.

Ceci est également observable pour la Belgique francophone. En Belgique néerlandophone, c’est parmi les personnes au foyer, mais aussi paradoxalement parmi les personnes au chômage, que nous observons les taux de bénévolat les plus élevés.

Enfin, le GRAPHIQUE 83 complète notre analyse sur le bénévolat en comparant les pays selon le pourcentage des bénévoles qui pratiquent de manière régulière, au moins une fois par mois.

Graphique 83 : taux de bénévolat régulier
Sur ce graphique, le terme « régulier » fait référence aux personnes pratiquant du bénévolat au moins une fois par mois. Le taux est calculé en prenant comme base les personnes pratiquant du bénévolat, quelle que soit leur régularité. Source : SHARE (2014-2015), 50 ans et +.

Aucune tendance claire ne peut être dégagée de ce graphique. Il nous montre néanmoins qu’une proportion importante des bénévoles âgés de 50 ans et plus donnent de leur temps à ces activités de manière assez régulière, 55 % d’entre eux pour le cas de la Belgique, par exemple.

 

Ce qu’il faut retenir

Il pourrait exister un lien de cause à effet entre la pratique d’une activité bénévole de façon régulière et le niveau de satisfaction que l’on retire de la vie. Cette relation serait même observée sur le long terme, puisque les résultats montrent qu’un niveau de satisfaction plus élevé est également constaté chez les anciens bénévoles.

 

L’apport de SHARE pour ce sujet

  • >Son caractère international : les auteurs exploitent les données sur deux vagues de SHARE, entre 2004 et 2006, et combinent onze pays européens. De plus, cette étude exploite la comparabilité des données de SHARE par rapport aux autres études existantes, en l’occurrence les données de l’enquête norvégienne NorLAG.

  • Les auteurs font le lien entre les questions portant sur la santé mentale et sur les relations interpersonnelles, plus spécifiquement le bénévolat. Ils parviennent à identifier une association positive entre la satisfaction retirée de la vie et le fait de pratiquer du bénévolat de manière régulière.

 

1 Th. Hansen, M. Aartsen, Br. Slagsvold et Chr. Deindl, « Dynamics of Volunteering and Life Satisfaction in Midlife and Old Age: Findings from 12 European Countries », Social Sciences, 2018, 7, 78.

2 Ces pays sont : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Italie, Pays-Bas, Suède et Suisse.

3 Cette enquête, NorLAG, rassemble un peu moins de 2.000 participants de 40 ans et plus en Norvège entre 2002 et 2008, sur deux vagues, et pose des questions sur le bénévolat qui sont assez proches de celles posées dans le cadre de SHARE.

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La vie après 50 ans Copyright © 2021 by Xavier Flawinne et Sergio Perelman is licensed under a Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, except where otherwise noted.

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