Avant-propos
Cet ouvrage est consacré à la population de 50 ans et plus en Europe et au portrait que lui fait depuis de nombreuses années l’enquête SHARE (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe ou Enquête sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe). Plus précisément, il s’agit ici d’une succession de portraits qui nous permettent d’observer la façon dont les personnes vieillissent, au-delà de leur 50e anniversaire, et de distiller les quelques enseignements qui en découlent. Auparavant, cet avant-propos nous permet de contextualiser l’enquête SHARE dont nous parlons et nous nous servons tout au long de cet ouvrage.
Le projet ayant donné naissance à l’enquête SHARE a été lancé au début des années 2000 par une équipe de chercheurs européens soucieux de pouvoir répondre à des questions devenues urgentes, posées par l’accroissement du nombre de personnes âgées dans la population.
En effet, une augmentation rapide et soutenue de l’espérance de vie a été amorcée au début des années 1970, principalement au bénéfice des personnes nées entre 1945 et 1975, autrement appelées les générations du « baby-boom ». Comme conséquence de cette évolution, l’espérance de vie aura augmenté en Belgique de dix ans en moins d’un demi-siècle : de 71 ans en 1970, elle est passée à 81 ans en 20151. Dans le même temps, la population des 65 ans et plus, qui représentait 13 % de la population belge en 1970, en représente aujourd’hui 18 % et, selon les prévisions des Nations unies, en représentera près de 27 % en 2050, soit près du tiers de la population totale2. Une évolution similaire est observée dans la plupart des pays européens et ailleurs dans le monde. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la part des 60+ dans la population mondiale passera de 11 % en 2000 à 22 % en 20503.
On ne peut que se réjouir de cette évolution, en particulier concernant l’augmentation de l’espérance de vie. Néanmoins, plusieurs questions se posent sur les adaptations qui seront nécessaires pour accompagner ce changement, et pour lesquelles il n’y a pas de réponses toute faites.
Le retard accumulé des connaissances sur le phénomène du vieillissement de la population a été mis en évidence par le Conseil de l’Union européenne dans une déclaration datant de 20004. C’est pour répondre à cet appel qu’une équipe de recherche interdisciplinaire s’est constituée autour du Professeur Axel Börsch-Supan (Institut Max Planck de Munich, Allemagne), laquelle est à l’origine de l’enquête SHARE, une enquête s’intéressant aux personnes de 50 ans et plus, à leur état de santé et à leur parcours de vie, en particulier au passage à la retraite et aux situations de dépendance, mais également à leur situation du point de vue social et économique.
Le projet SHARE a été reconnu dès 2006 comme faisant partie des Infrastructures de recherche européennes dans le domaine des sciences humaines et sociales (ESFRI Roadmap 2006)5. Et c’est en 2011 que SHARE a été le premier consortium européen ERIC (European Research Infrastructure Consortium) à avoir ses propres statuts6. Par ces statuts, la mise en œuvre de ce projet est considérée comme nécessaire à la compréhension du processus du vieillissement et pour l’élaboration de politiques en faveur de la population âgée, tant sur le plan européen qu’à l’échelon national et régional.
S’inspirant de l’enquête HRS lancée en 1991 aux États-Unis (Health and Retirement Study), et de l’enquête ELSA lancée en 2002 au Royaume-Uni (English Longitudinal Study on Ageing), l’enquête SHARE a été dès le départ conçue comme une enquête longitudinale. En effet, elle a pour objet le suivi régulier des mêmes personnes, le répondant et son éventuel partenaire, au travers d’entretiens prévus tous les deux ans. La première vague de l’enquête a eu lieu en 2004-2005 et, malgré les incertitudes générées par la crise sanitaire liée à la Covid-19, la neuvième vague, qui s’étalera sur 2021 et 2022, est en préparation.
La particularité de SHARE par rapport aux enquêtes HRS et ELSA est sa dimension internationale. Le défi était de taille étant donné les différences linguistiques mais également culturelles et institutionnelles entre les pays au sein de l’Europe. De nombreuses difficultés techniques et organisationnelles ont dû être surmontées pour pouvoir assurer la comparabilité des données des 28 pays participants. Il a de plus fallu veiller à l’homogénéité parfaite des procédures d’enquête, de la formation des enquêteurs au traitement des données, en passant par la traduction du questionnaire7. Le CentERdata, un centre de recherche dont le siège se situe à l’Université de Tilburg aux Pays-Bas, a été associé à SHARE dès sa création pour le développement des outils informatiques nécessaires à la réalisation de l’enquête.
Depuis son lancement en 2004, plus de 140.000 personnes de 50 ans et plus ont participé à SHARE, dont une grande partie a généreusement réitéré cet exercice sur plusieurs vagues, portant le nombre d’entretiens à quelque 380.000. Un tel nombre de participants permet en outre une bonne représentation des conditions de vie de la population européenne. Ce sont les informations recueillies lors de ces entretiens qui, une fois anonymisées, permettent la réalisation d’études scientifiques dans plusieurs domaines : santé, démographie, psychologie, sociologie et économie, notamment.
Pour autant, l’élément le plus marquant concernant le projet SHARE est certainement le fait que les études qui en découlent sont souvent le résultat de collaborations d’experts venant d’horizons différents. Ces collaborations permettent la mise en évidence de relations qui jusqu’alors n’avaient pas été observées et, ainsi, de commencer à répondre à des questions que l’on se pose sur le phénomène de l’allongement de la vie.
L’objectif de cet ouvrage est de présenter de manière synthétique une série de ces études, cela afin d’illustrer à la fois les nouveaux champs de recherche qui se sont ouverts grâce à la disponibilité des données de SHARE, mais également de mettre en évidence les nouvelles connaissances et les propositions concrètes qui ont été apportées. Nous avons l’habitude de lire des études consacrées aux personnes âgées à propos de leur santé, des relations qu’elles entretiennent avec leur entourage familial et social, de leurs conditions de vie et de travail, ou encore de leurs activités quotidiennes. Il est en revanche plus rare de trouver des études qui investiguent la façon dont ces différentes dimensions de vie interagissent entre elles et évoluent dans le temps. C’est pour cette raison que notre sélection a été guidée par l’originalité mais aussi par la pertinence des sujets abordés.
Il nous aurait été impossible de répertorier l’ensemble des quelque 3.000 travaux scientifiques publiés par la communauté de chercheurs-utilisateurs de SHARE, raison pour laquelle nous en faisons une sélection.
Cet ouvrage est décliné en quatre thématiques et vingt chapitres. Pour chacun des sujets abordés, et à titre illustratif, nous présentons systématiquement la situation observée en Belgique au regard des autres pays prenant part au projet SHARE, en faisant la distinction entre Belges francophones et néerlandophones. Cette distinction n’est pas habituelle entre régions belges, mais s’explique pour des raisons d’organisation de l’enquête. Dès le départ, ce sont des équipes des universités d’Anvers et de Liège qui ont pris en charge la coordination et la réalisation de l’enquête et qui se sont réparti les tâches auprès de la population néerlandophone et francophone, respectivement8.
Dans toutes les analyses présentées au cours de l’ouvrage, nous faisons régulièrement référence aux « pays SHARE ». Par ce raccourci, nous comprenons l’ensemble des pays pour lesquels des données d’enquêtes ont été collectées. Pour des raisons diverses, la liste des pays participants n’est pas la même de vague en vague. La Belgique fait partie d’une poignée de pays ayant participé de manière continue depuis 2004. De plus, le projet ne couvre pas uniquement les pays de l’Union européenne, et dépasse même les frontières du continent. En effet, si nous sommes 28 pays participants depuis 2017, nous ne couvrons pas l’Irlande, mais bien la Suisse et Israël.
En plus de ces chapitres, nous avons souhaité revenir sur la situation sanitaire créée par la pandémie due à la Covid-19. D’une part, dans un Préambule, nous expliquons la manière dont l’équipe SHARE a réagi à cette situation, dont la première conséquence a été l’arrêt immédiat, pour des raisons sanitaires, des interviews en cours de la 8e vague de l’enquête. D’autre part, dans un Postscriptum, nous dévoilons les premiers résultats d’une nouvelle vague de l’enquête SHARE, première à se dérouler par téléphone, réalisée durant l’été 2020 auprès de tous les répondants, et consacrée entièrement aux conséquences de la pandémie.
Cet ouvrage est destiné à un public très large. Ses auteurs, qui font eux-mêmes partie de l’équipe SHARE en Belgique, ont voulu lui donner les qualités d’une publication de vulgarisation scientifique. Cela étant, notre première pensée va aux répondants de l’enquête, dont une part non négligeable a manifesté le souhait d’être informée sur des résultats tangibles, disponibles grâce aux données qu’ils fournissent. Notre pensée se tourne également vers nos nombreux intervieweurs, dont certains nous accompagnent depuis le tout début de l’aventure SHARE. Bien entendu, cet ouvrage est également destiné aux professionnels intéressés par l’enquête SHARE et aux possibilités d’étude et d’information qu’elle permet.
Pour tous ceux qui souhaitent en savoir plus, nous leur conseillons de visiter le site web de SHARE-Belgique : www.share-project.be, disponible en français et en néerlandais, qui fournit des informations générales sur l’enquête, sur son déroulement, mais également sur les activités récentes de l’équipe. Pour les plus assidus dans la langue de Shakespeare, le site web www.share-eric.eu est également disponible. Une multitude d’informations sur l’enquête elle-même s’y retrouve avec notamment la possibilité de découvrir les questionnaires de chaque édition de l’enquête et ce dans chacune des langues des pays couverts, ou de s’intéresser aux aspects méthodologiques de l’échantillonnage, ou encore de parcourir la liste de toutes les publications réalisées à ce jour à partir des données de SHARE. Les futurs utilisateurs SHARE peuvent par la même occasion trouver les informations nécessaires concernant la procédure à suivre afin d’accéder aux données dans le cadre d’un projet de recherche à but scientifique. L’accès à ces données anonymisées n’est en effet accordé qu’aux chercheurs, y compris aux étudiants dans le cadre de leur travail de fin d’études ou de leur thèse de doctorat.
Les nombreux sujets que nous avons choisis de présenter dans cet ouvrage se regroupent en quatre thèmes distincts, discutant dans une première partie des déterminants d’une vie en bonne santé, de l’influence possible des acquis culturels ou du socio-économique sur la santé dans une deuxième et troisième partie, et de l’aide informelle et intergénérationnelle dans la quatrième partie. Au préalable à ces sujets, nous présentons une série de statistiques sur la population pour la Flandre et la Fédération Wallonie-Bruxelles afin de dresser une image fiable du vieillissement démographique en Belgique9.
Remerciements
Des dizaines de milliers de personnes ont participé à l’élaboration de cet ouvrage, directement ou indirectement. Nous tenons tout d’abord à remercier chaleureusement répondants comme intervieweurs, sans qui les connaissances sur le processus du vieillissement seraient toujours confinées aux caves du savoir. Eux seuls se rendent compte de la patience nécessaire pour répondre à la multitude de questions posées par l’enquête, année après année10. Leur participation répétée représente la clé de voute du succès de SHARE.
L’Université de Liège nous accompagne depuis les débuts de SHARE par sa confiance et son soutien. Ayant fait partie par le passé de l’équipe de coordination du projet pour la Belgique francophone, nous tenons à remercier Claire Maréchal et Jérôme Schoenmaeckers pour leur rôle déterminant dans la réalisation de l’enquête chez nous. Nous n’irions pas non plus très loin sans l’équipe du Panel de Démographie familiale (ESPRIst – ULiège) qui réalise la mise en pratique de l’enquête sur le terrain. Nous remercions ses membres actuels et passés : Marie-Thérèse Casman, Laurent Nisen, Stephanie Linchet, Jean-François Reynaert, Benjamin Thiry et Marine Maréchal qui, d’une façon ou d’une autre, ont également apporté leur pierre à cet ouvrage.
La réalisation de SHARE en Belgique est un projet commun, organisé et réalisé conjointement avec les équipes du Center for Social Policy Herman Deleeck (CSB) et du Center for Demography, Longevity and Health (CDFG) de l’Université d’Anvers. Nous tenons à remercier Karel Van den Bosch, Koen Decancq, Tim Goedemé, Daniela Skugor, Aaron Van den Heede, Dimitri Mortelmans, Martine Vandervelden, Jorik Vergauwen et Bert Brockx pour ce travail en tandem qui fonctionne parfaitement depuis les débuts du projet, en 2004 pour être précis.
Le projet SHARE a bénéficié depuis sa création du soutien de l’Union européenne et, au niveau belge, de la Politique scientifique fédérale (BELSPO). Depuis 2011, l’enquête SHARE est devenue une infrastructure de recherche européenne (ERIC) et à ce titre bénéficie également du soutien d’entités fédérées. C’est pour cette raison que la Fédération Wallonie-Bruxelles, et par le passé aussi l’IWEPS, finance les coûteux travaux d’enquête sur le terrain. Nous tenons à remercier particulièrement Aziz Naji (BELSPO) et Marc Vanholsbeeck (Fédération Wallonie-Bruxelles) pour leur soutien et leur engagement.
Nous souhaitons également remercier chaleureusement Marie-Thérèse Casman, Pierre Pestieau et Marc Vanholsbeeck pour leurs commentaires et suggestions sur une version préliminaire de cet ouvrage, mais aussi et surtout pour leurs encouragements, sans lesquels nous ne serions pas allés jusqu’au bout du chemin.
Le projet SHARE
Nous tenons enfin à remercier chaleureusement la « famille SHARE » pour son engagement depuis plus de 15 ans. C’est en effet grâce à l’investissement et aux efforts d’une équipe internationale et multidisciplinaire, réunie autour de l’étude du vieillissement de la population, que ce projet fonctionne.
Les multiples rencontres entre tous les acteurs de l’enquête nous ont permis d’en apprendre toujours plus et de nouer des liens inestimables avec les centaines de personnes mettant en mouvement les rouages de l’enquête. Ce fonctionnement est, selon nous, la colonne vertébrale du projet SHARE et la clé de sa réussite.
La collecte des données SHARE a été principalement financée par la Commission européenne à travers des programmes FP5 (QLK6-CT-2001-00360), FP6 (SHARE-I3 : RII-CT-2006-062193, COMPARE : CIT5-CT-2005-028857, SHARELIFE : CIT4-CT-2006-028812), FP7 (SHARE-PREP : GA N° 211909, SHARE-LEAP : GA N° 227822, SHARE M4 : GA N° 261982, DASISH : GA N° 283646) et Horizon 2020 (SHARE-DEV3 : GA N° 676536, SHARE-COHESION : GA N° 870628, SERISS : GA N° 654221, SSHOC : GA N° 823782) ainsi que par la DG Emploi, affaires sociales et inclusion. Des fonds supplémentaires du ministère allemand de l’Éducation et de la Recherche, du Max Planck Society for the Advancement of Science, du NIA (U.S. National Institute on Aging [U01_AG09740-13S2, P01_AG005842, P01_AG08291, P30_AG12815, R21_AG025169, Y1-AG-4553-01, IAG_BSR06-11, OGHA_04-064, HHSN271201300071C]) ainsi que de diverses sources nationales ont également été accordés (voy. www.share-project.org).
Cet ouvrage utilise les données des vagues 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 (DOIs : 10.6103/SHARE.w1.710, 10.6103/SHARE.w2.710, 10.6103/SHARE.w3.710, 10.6103/SHARE.w4.710, 10.6103/SHARE.w5.710, 10.6103/SHARE.w6.710, 10.6103/SHARE.w7.710) de SHARE, voy. Börsch-Supan et al. (2013) pour les détails méthodologiques.
1 The Human Mortality Database, www.mortality.org (consulté en janvier 2020).
2 United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2019). Probabilistic Population Projections Rev. 1 based on the World Population Prospects 2019 Rev. 1: http://population.un.org/wpp/.
3 Source : Organisation mondiale de la santé : https://www.who.int/ageing/about/facts/fr/ (consulté en janvier 2020).
4 Voy. à ce sujet les conclusions du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, à l’adresse http://www.europarl.europa.eu/summits/lis1_fr.htm.
5 European Communities, European roadmap for research infrastructures report 2006, European Strategy Forum on Research Infrastructures, Office for Official Publications of the European Communities, 2006.
6 Commission européenne, Setting up the SHARE-ERIC, 2011/166/EU, 17 mars 2011.
7 Le questionnaire est décliné dans les principales langues utilisées des 28 pays participants, ce qui porte à 39 le nombre de questionnaires. Plusieurs pays partagent la même langue, comme en France et en Belgique francophone, néanmoins ces questionnaires reflètent des réalités linguistiques et institutionnelles parfois différentes.
8 Pour les chercheurs-utilisateurs de SHARE, les données suivent cette présentation en fonction de la langue des répondants : Belgique-nl et Belgique-fr. On retrouve une structuration similaire des données SHARE pour d’autres pays multi-langues : l’Estonie (estonien et russe), l’Espagne (catalan et espagnol), Israël (arabe, hébreu et russe), le Luxembourg (allemand, français et portugais) et la Suisse (allemand, anglais, français et italien).
9 Les données disponibles de Statbel ne permettent pas de distinguer entre la population néerlandophone et francophone, comme nous le faisons dans le reste de cet ouvrage.
10 En effet, le questionnaire SHARE représente en moyenne tout de même une heure et demie de temps nécessaire pour le compléter. Mais il s’intéresse à tellement d’aspects de la vie des individus, que les retours de répondants et d’intervieweurs sont majoritairement très positifs !