11b. Le retour du commerce de quartier
Les centres ville ont souffert. Au fil des décennies, les petits commerces ont mis la clé sous le paillasson. Les librairies, les épiceries, les magasins d’artisanat, les crèmeries, les boucheries… ont fermé boutique même si tous n’ont pas disparu. Les petites villes en portent les stigmates : dans bien des rues commerçantes, les vitrines sont désormais vides et délabrées. Signe des temps, conséquence d’une mutation des grandes structures économiques.
Le processus est-il irréversible ? Des exceptions, qui se multiplient, laissent peut-être supposer que non. Ici, dans une grande ville, comme d’ailleurs dans presque toutes les grandes villes, la tendance semble s’inverser. Faussant compagnie aux grandes enseignes commerciales, je m’aventure dans une petite rue piétonnière, en train de renaître de ses cendres. Dans un quartier où les magasins étaient presque tous ou moribonds ou à l’abandon, où se multipliaient les chancres, où bien des maisons semblaient en passe de s’écrouler, je découvre de nouvelles boutiques. Une créatrice de bijou, une styliste, des magasins vintage, une épicerie bio, des petits restaurants, une boutique d’artisanat local, une autre de jouets eux-aussi artisanaux… Les façades et les maisons ont été restaurées, les devantures refaites tout en gardant les gabarits d’autrefois. Les vitrines sont imaginatives. La rue a été repavées. L’éclairage remis à neuf. Deçà delà, des chaises et des bancs sortent des maisons et occupent la rue, de même que quelques plantes, en pots ou plantées à même le sol.
La rue a fait peau neuve. On est loin du clinquant des grandes marques, loin aussi de la misère qui s’était installée. Là où les grandes chaînes commerciales défigurent les anciens bâtiments, en plaquant sur la façade du rez-de-chaussée une seule grande vitrine allant du plancher au plafond et s’étendant sur toute la largeur de la maison, ici, par contre, les anciennes façades sont préservées. Rénovées bien sûr, avec de nouveaux châssis, de nouveaux matériaux, un nouveau design, mais dans la continuité de ce qu’elles étaient autrefois. L’ancien retrouve une nouvelle vie dans un esprit contemporain. Il ne s’agit pas de tourner le dos au passé pour « vivre à l’heure d’aujourd’hui », mais de créer un présent qui intègre le passé.
De quel imaginaire peut se revendiquer cette rue ? Sans doute celui d’un dynamisme économique, associé à des initiatives nouvelles, originales, singulières. Tout en s’inscrivant dans des tendances en vogue, chaque commerce est unique. Leur ensemble donne sa singularité à la rue. Ailleurs, dans d’autres quartiers, d’autres villes, l’esprit est voisin, mais reste à chaque fois singulier.
Comment derrière ces vitrines, ne pas deviner les commerçants eux-mêmes et les clients de ces commerces ? Des « bobos » diront certains, contribuant à la « gentrification » du quartier. De populaire qu’il était, le voilà devenu « branché ». Faut-il s’en désoler ? Regretter l’exclusion des pauvres, ainsi que des dealers et des prostituées ? Faut-il au contraire s’en réjouir ? Approuver ce dynamisme retrouvé ? Le fait est que ces nouveaux commerçants de la rue, et les nouveaux chalands qu’ils drainent, ont changé l’esprit des lieux – devenu plus créatif, plus soigné et plus attractif bien sûr. Ils ont surtout dégagé les potentialités du lieu, réveillé les énergies qui l’avaient animé autrefois pour le faire renaître aujourd’hui. Nous sommes dans une rue médiévale, fidèle à elle-même et pourtant métamorphosée par les tendances contemporaines.
Au cœur d’un quartier séculaire, une rue est toujours marquée par l’histoire. Une certaine veine de l’économie actuelle, malheureusement dominante, y substitue son lustre et sa modernité. Ici au contraire, sans passéisme, le passé nourrit le présent, qui le poursuit, sans le répéter.