7b. Le parc des coteaux
Je m’écarte de la vieille ville par des ruelles qui grimpent sur la colline. Entre deux maisons, un passage, presque secret, donne sur un escalier, qui monte, monte, de palier en palier, pour arriver soudain dans la verdure. Quelques pas de plus et soudain ma vue s’envole. L’ensemble de la ville est à mes pieds, ensuite le fleuve, toute la vallée, puis la vallée de la rivière affluente et au loin des versants boisés. Changement étonnant de perspective. En un instant, je passe de ruelles enfouies dans la vallée à un paysage ouvert, mais néanmoins enveloppant. Les toits sont un rien sous moi, la colline dans mon dos, un bosquet à ma gauche, quelques arbres fruitiers à ma droite, et surtout, un peu partout autour de moi, des pans des vieux remparts.
Les coteaux de la citadelle, comment mieux dire ? Des lambeaux de murailles d’une épaisseur colossale tracent quelques parallèles incertaines, enracinées dans le sol, et dessinent quelques terrasses en escaliers. Peu de chose : des bouts de pelouse, quelques buissons, des fragments de haies, des bancs accolés aux remparts, tournés vers le Sud. Au premier rayon, comme les raisins d’autrefois, ces coteaux se gavent de lumière et se gorgent de chaleur.
La ville, sous moi, commence par des jardins, une cour d’école, se poursuit en toitures et en clochers, et se répand au loin. Plus haut, derrière moi, le parc se perd dans un bois. Comme si ce parc, en suivant les remparts, s’était frayé un chemin à la frange de la ville et des taillis.
Dans cette journée d’avril, le lieu exhale la terre humide, l’herbe fraîche, l’ail des ours et la violette. Mes narines, à l’affût, peuvent deviner en retrait les odeurs saturées de la ville. Le calme domine ces terrasses. La sonnerie de l’école et les pépiements des enfants y montent. Insituable, partout en fond de vallée, mais étouffé par la distance et comme aboli par la quiétude du parc, résonne le souffle sourd de la circulation.
Dans les grandes villes, les parcs sont toujours des poches de tranquillité. Celui-ci ne fait pas exception. Sa singularité est ailleurs, peut-être dans la reconversion des lieux. Un édifice militaire métamorphosé en un lieu de détente est un pied-de-nez à l’histoire. D’époque en époque, ces coteaux ont changé de destinée et d’humeur : sauvages, travailleurs, belliqueux, aujourd’hui paisibles. De tout temps, toutefois, ils ont surveillé la ville de haut. Difficiles d’accès, ils ont toujours été peu fréquentés : quelques bûcherons, quelques cultivateurs, quelques vigiles, aujourd’hui quelques promeneurs. Ils doivent trouver l’entrée, chercher leur chemin et grimper pour jouir du privilège de se poser et de contempler de haut, assis sur les bancs ou couchés dans la pelouse, tous les mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui s’agitent et de ceux qui s’affairent.
Retrouver un temps suspendu à côté du fourmillement urbain, assister à la ville en profitant du calme, faire la cité buissonnière pour prendre le soleil de toujours… Le lieu a ses secrets qu’il faut mériter, presque conquérir. Cette petite clairière en longueur parmi les remparts est un espace reconquis en surplomb de la ville, en contre-bas de la Citadelle.
En marge de l’histoire, avant ou après elle, l’humanité peut se poser, paisible s’arrêter.