Le loup invisible

« C’était l’immobilité d’une force implacable couvant on ne savait quel insondable dessein. Elle vous contemplait d’un air plein de ressentiment. »

Joseph Conrad

Revenu de l’Est ou bien du Sud, venu surtout du fond des âges, le loup a traversé une longue absence. Il est là, à nouveau. Tout le monde en parle, la presse s’en repaît, les polémiques s’engagent, et moi, je rêve d’entendre son hurlement, d’apercevoir sa silhouette. À pied, en voiture, je surveille les sous-bois, les orées, les lisières. Cette forme, dressée au fond du pré, à la tombée du jour ? Trop grand pour un renard, trop à l’écart pour un chien… Et là, au cœur des solitudes, cette ombre dans la pénombre ?

Je n’ai pour l’heure rien vu, rien entendu… mais le paysage a changé. Le loup est là ! Omniprésent bien qu’invisible. Les forêts se sont approfondies. Les campagnes se sont ensauvagées. Les troupeaux sont menacés.

La menace est-elle réelle ? Les études prolifèrent ; les arguments divergent. Les spécialistes décideront.

Autre chose se cache dans les fourrés de mon esprit : ce loup est-il un mammifère ou un descendant de la fable ? Un peu les deux, les deux en un. Vouloir trancher le dilemme raboterait l’événement. Une figure de légende s’est faufilée dans la réalité. Tapi dans les bois, un mythe est de retour.

Aujourd’hui donc, je chercherai, nous chercherons, faute de voir le loup, à découvrir un monde où son personnage se cache à nouveau.

En matière de cachettes, les Ardennes, la Lorraine, les Vosges… offrent l’embarras du choix. Fossés, talus, massifs, halliers, buissons, les moindres haies sont des antres. Le territoire du loup est un tissu de repaires, un paysage de secrets.

Le loup est là ! Il nous a entendus. À pas feutrés, il s’est enfoncé dans l’opacité. Embusqué, immobile, il nous guette. Au fond des taillis, nous le soupçonnons. Nous marchons dans une fable, nous nous promenons dans nos jeux et nos peurs d’enfants. Les forêts sont redevenues légendaires ; les contes, réalité. Les sous-bois se sont métamorphosés. Broussaille chargée de symboles, buissons emplis de fantasmes. Impossible de le débusquer ou de ne voir que des sous-bois. C’est en retrait que se tient le secret : derrière les fûts, à couvert du feuillage, dans les replis de l’ombre. Si la peur du loup est une affabulation, l’obscurité est son refuge. Seule une forêt transparente pourrait chasser la légende.

Sans se montrer, parce qu’il ne se montre pas, le loup tourne nos yeux vers l’invisible, à l’affût d’une nature voilée. Il nous réveille à l’énigmatique, nous rappelle que nous vivons en lisière du sauvage, à la porte du ténébreux.

Et si le loup n’y est pas, demeure l’écho du mystère.

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Le paysage et son double Droit d'auteur © 2020 par Vincent Furnelle est sous licence Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, sauf indication contraire.

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