section 1 : voir dans l’espace

L’apprentissage de l’Anatomie nécessite d’intégrer mentalement des données spatiales pour se construire une représentation « interne » de l’architecture du corps humain. Cette intégration est basée sur des processus cognitifs complexes maîtrisés de façon variable d’un individu à l’autre. L’ensemble de ces processus est regroupé dans la littérature sous les vocables de « perception, raisonnement, pensée ou habilités spatiales » et se base sur l’observation et la transformation dans l’espace d’objets réels ou virtuels. Ceci implique de façon non exhaustive des processus de construction / décomposition, d’orientation, de repérage, de mémorisation spatiale, de manipulation, de rotation mentale, de schématisation, de mise en perspective… auxquels s’ajoutent dans le cas de l’anatomie, la connaissance d’une nomenclature et des codes de description spécifiques.

Une grande disparité entre individus existe lorsque l’on considère les aptitudes spatiales « innées » ou « acquises » (capacité de voir, d’évoluer dans l’espace et de se représenter un espace tridimensionnel). Ces capacités sont évaluées via certains tests standardisés comme le test de Vandeberg (fig 2-1) basé sur un exercice de rotation mentale. (Vandenberg SG, Kuse AR. Mental rotations, a group test of three-dimensional spatial visualization. In Percept Mot Skills. 1978 Oct;47(2):599-604.)

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Figure 2-1

Test de Vandeberg

L’objet représenté correspond-t-il à la représentation A ou à la représentation B ?

Solution 1 : L’objet présente deux expansions perpendiculaires à l’axe vertical et faites l’une d’un cube (rouge), l’autre de deux cubes (bleus), en effectuant mentalement la rotation présentée dans le cadre inférieur (flèche orange), on constate que l’objet correspond à A.

Solution 2 : Si l’on imagine le plan défini par l’axe vertical de l’objet (flèche verte) et l’axe de l’expansion supérieure (flèche rouge) on constate que l’expansion inférieure de l’objet se dirige vers l’observateur (flèche bleue) alors que dans le cas de B, cette expansion inférieure s’en éloigne. L’objet et B ne sont pas identiques mais sont l’image l’un de l’autre en miroir de part et d’autre du plan construit (jaune).

Un des buts de cet ouvrage est, au delà de l’acquisition de termes anatomiques, de sensibiliser l’apprenant à cette spécificité des sciences morphologiques : maîtriser l’anatomie ne se résume pas à la connaissance de noms et de formes théoriques mais à la capacité d’observer, de décrire, de « voir » et de « manipuler » dans l’espace les composants du corps humain. De nombreux outils existent afin d’aider l’apprenant dans cette démarche, ils sont brièvement illustrés ici. Les outils virtuels occupent une place grandissantes dans cette panoplie mais une démarche initiale basée sur la réalisation de schémas et la manipulation de modèles réels (reproduction, dissections..) reste indispensable.

Schémas simples

La première approche des volumes et de leurs caractéristiques (taille, proportion, forme, disposition spatiale) débute par l’analyse de schémas simples, représentations de l’objet en deux dimensions. Ces schémas simplifient l’objet observé, ils doivent être orientés et réalisés suivant plusieurs point de vue (de face, de profil, en vues supérieure ou inférieure). Ils illustrent les aspects tridimensionnels à partir de représentations planes (2 dimensions). L’orientation et l’ordre de grandeur doivent être clairement indiqués sur le schéma. (Fig 2-2)

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Figure 2-2

Schéma simple

Les trois vues orientées de la 6éme vertèbre thoracique (T6) (profil, face et vue supérieure) utilise une même échelle. Des codes couleurs permettent de repérer aisément les structures identiques sur les 3 vues. L’analyse des 3 vues permet de comprendre la disposition des volumes de base : un corps cylindrique antérieur vertical et une arche postérieure disposée horizontalement qui comporte plusieurs expansions (apophyses). L’ensemble est muni de surfaces articulaires (hachures bleues) dont l’orientation peut être imaginée en combinant les différentes vues.

Un schéma « anatomique » rend compte d’informations morphologiques et doit être différentié des schémas illustrant par exemple des concepts fonctionnels sur base d’une grande simplification des données morphologiques.(Fig 2-3)

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Figure 2-3

Schéma anatomique et schéma conceptuel

Le schéma A conceptualise la division du tube cardiaque valvulé en 4 cavités et la circulation sanguine en « 8 » entre les cœurs droit et gauche mais ne correspond pas à la réalité morphologique. Le schéma B reproduit l’image réelle du cœur vu de face à partir d’une reconstruction de CT scanner en montrant par transparence la position exacte des valvules.

Les coupes

La structure interne d’un objet et ses rapports précis avec les structures voisines se démontre par la représentation de cet objet analysé dans un plan spécifique. Cette représentation définit une « coupe » réalisée par ce plan. Au sens strict du terme, une coupe n’a pas d’épaisseur et correspond à une construction graphique.(Fig 2-4/5)

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Figure 2-4

Coupe Principe

La maison est sectionnée par un plan vertical orienté de l’avant vers l’arrière de l’immeuble. Les deux surfaces de section observées sur les deux moitiés de l’objet (rouge et orange) sont deux images en miroir, identiques lorsqu’elles sont représentées avec la même orientation (A-B). Ces images illustrent la composition interne du bâtiment. La représentation du bâtiment en deux dimensions (ici hauteur et profondeur) dans ce plan de section définit la coupe A-B.

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Figure 2-5

Coupe Anatomique niveau T6

Coupe « H » (rectangle noir) réalisée au niveau de la partie supérieure de la sixième vertèbre thoracique (T6) suivant un plan horizontal (H) matérialisé par la ligne A-A’. La coupe permet de visualiser le canal rachidien (8) dessiné par l’arc vertébral. Elle passe par l’articulation de la tête de la côte avec le corps vertébral (7) mais au dessous de l’articulation du tubercule costal (4) avec l’apophyse transverse (5). La côte n’apparaît que partiellement dans un plan transversal. Ces deux observations rendent compte de l’obliquité du plan dans lequel se trouve l’arc costal. Une coupe de ce type permet également d’étudier les relations entre la vertèbre et l’aorte (2), l’œsophage (1) et le sac pleural (3).

La coupe est regardée du bas vers le haut.

Dans un sens plus large, on parlera de coupe pour désigner la surface étudiée d’une tranche de volume entre deux sections réalisées par des plans parallèles. Plus ces plans se rapprochent (épaisseur faible) plus les images des deux surfaces des tranches se ressemblent pour se confondre lorsque l’épaisseur devient virtuelle (Fig 2-6). En histologie (anatomie microscopique), l’épaisseur de la « coupe » est réduite à quelques microns, en imagerie médicale, les coupes sont construites en atteignant une épaisseur millimétrique.

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Figure 2-6

Coupe et tranche de section

Le thorax est sectionné par des plans transversaux de plus en plus proches. La tranche de section devient de plus en plus fine et les surfaces de chaque tranche (supérieure et inférieure) finissent par se confondre lorsque l’épaisseur devient virtuelle.

L’analyse par séries de coupes

L’analyse d’une série de coupes réalisées par des plans parallèles donne une notion de son volume. Un œil averti voit se dessiner mentalement le volume sectionné par ces plans successifs au fur et à mesure qu’il observe la succession des coupes, comme la lecture d’une carte permet de deviner le relief d’une région en suivant le dessin des courbes de niveau et d’imaginer la surface de ce relief (voieries, plantation etc…). Sur les cartes géographiques les courbes de niveau sont toutes représentées sur le document unique que constitue la carte.(Fig 2-7)

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Figure 2-7

Succession de coupes : courbes de niveau

Chaque courbe de niveau correspond à une coupe horizontale du relief, chacune de ces coupes est réalisée à une altitude donnée (de 5 en 5m par exemple), une coupe verticale réalisée suivant la ligne AB permet de dessiner le relief.

Le plus souvent cependant les coupes sont présentées niveau par niveau, sous forme d’une série d’images séparées. (Fig 2-8)

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Figure 2-8

Coupes parallèles

Chaque surface supérieure correspondant à une tranche de section constitue une coupe. Ces coupes présentées dans l’ordre permettent d’imaginer le volume global et la composition interne de celui-ci.

Une succession de coupes permet de définir le volume correspondant : un cylindre si les coupes dessinent des cercles de diamètre constant ; un cône si les diamètres augmentent ; une sphère si les diamètres croissent puis décroissent dans la succession des coupes. (Fig 2-9)

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Figure 2-09

Cylindre, Cône et Sphère

La série de coupes numérotées de 1 à 5 illustre la variation de l’enveloppe du volume étudié. Ces coupes peuvent également illustrer l’évolution de la structure interne du dit volume.

Avec un peu d’entraînement, l’observateur imagine les différents volumes se positionner précisément dans l’espace et leurs rapports respectifs en faisant défiler les coupes successives devant ses yeux. Ces coupes autrefois présentées côte à côte sur un film radiologique (dans le cas des coupes médicales issues d’un examen de scanner), apparaissent aujourd’hui sur un écran (ordinateur, tablette, smartphone.. ) dans un cadre défini. Par l’utilisation d’un curseur, le lecteur fait apparaître dans ce cadre successivement les coupes correspondant aux différents niveaux d’étude. Ce défilement permet à l’observateur de voyager à sa guise dans le volume de l’objet étudié avec la possibilité d’aller et de retour, de haut en bas, de gauche à droite ou d’avant en arrière suivant les plans de coupe utilisés. L’enveloppe externe du volume étudié est ainsi analysée tout comme la composition interne du volume.(Fig 2-10)

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Des cônes inclinés et un cylindre se divisant : les 2 psoas et l’aorte

Figure 2-10 Les coupes C1 à C7 sont réalisées au niveau du tronc par des plans parallèles (A) repérés de face (B) par les droites 1 à 7. Sur ces coupes présentées dans l’ordre de haut en bas, la structure centrale (cercles rouges) correspond à un cylindre (l’aorte ou Ao). Vers le bas, ce cylindre se divise en artères iliaques, d’abord communes (Ic) qui se dirigent antérieurement avant de se diviser à leur tour en artères iliaques externes (Ie) et internes (Ii). En descendant les iliaques externes se dirigent vers l’avant alors que les internes se dirigent légèrement en arrière.

Les deux masses musculaires présentant des sections circulaires du haut vers le bas, d’abord croissantes en diamètre puis décroissantes au fur et à mesure des sections, correspondent à des volumes fusiformes. Il s’agit des deux muscles psoas (Mp).

Dans la partie inférieure du volume étudié, ces deux masses musculaires fusionnent avec deux autres masses plus latérales, les deux muscles iliaques (Mi) pour présenter une insertion commune.

L’analyse des coupes permet d’une part de comprendre le volume dessiné par les masses musculaires et le dessin du circuit vasculaire et d’autre part de préciser les rapports respectifs de ces structures. L’aorte est médiane, située entre les masses musculaires. Elles se divisent en artères iliaques (communes, externes et internes) qui descendent le long de la face interne (médiale) des masses musculaires décrites.

 

Les modèles.

La perception des volumes et de leur position spatiale est aidée par l’observation et la manipulation de modèles réels correspondant à des reproductions plus ou moins simplifiées de la réalité : maquettes d’architectes ou de designers, modèles anatomiques…(Fig 2-11)

Ces réalisations bénéficient de l’essor des techniques informatiques (réalité virtuelle 3D, impression 3D…)

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Figure 2-11

Une maquette anatomique : Duodenum, Artère mésentérique supérieure et Aorte

La maquette (C) représente l’émergence de l’artère mésentérique supérieure, AMS, (tube gris) provenant de l’aorte abdominale (tube rouge) et passant devant le troisième duodénum, D3, (portion horizontale du tube noir). La vue B correspond à une représentation artistique de ces rapports, beaucoup plus complexe encore dans la réalité ! (vue A).

Quelques exercices…

Les capacités de rotation mentale, le principe des plans de section et l’analyse de coupes peuvent être testés dans un contexte anatomique en utilisant ce type de maquette comme l’illustrent les exercices suivants.(Figures 2-12/13/14)

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Figure 2-12

Exercice de rotation mentale

Parmi les images A, B, C et D proposées, laquelle ou les quelles correspondent à l’image de référence 03 ?

Réponse :

Les vues A et B correspondent à l’image référence 03

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Figure 2-13

Quelle(s) coupe(s) par un plan donné ?

Parmi les images A, B, C et D proposées, laquelle correspond à la coupe réalisée par le plan indiqué part la flèche rouge ?

Réponse :

L’image B correspond à la coupe recherchée.

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Figure 2-14

Quel(s) plans(s) pour une coupe donnée ?

Parmi les plans A, B et C proposés, l’objet, lequel correspond à la coupe SAT test 3 – 10 ? 

Réponse :

La coupe SAT test 3 – 10 correspond au plan C.

Ceci ne constitue que quelques exemples parmi toutes les possibilités d’exercisation qui s’offrent aux apprenants aujourd’hui.

L’anatomie full virtuelle ?

L’imagerie tridimensionnelle et la réalité virtuelle ouvrent une nouvelle ère dans l’apprentissage de l’Anatomie. Les tables de dissection virtuelle sont déjà utilisées en école de Médecine. Muni d’un casque de réalité virtuelle, il est aujourd’hui possible de manipuler des modèles anatomiques, de se promener au sein d’une structure anatomique, de construire plan par plan l’anatomie.

Ces outils aident certainement à concevoir l’architecture du corps humain en 3 dimensions après un apprentissage qui passe encore aujourd’hui par une simplification des données par le biais d’une représentation en 2 dimensions. Cependant, dans l’environnement nouveau qui se dessine à pas de géant et qui pourrait modifier les aptitudes spatiales dès le plus jeune âge, l’esprit humain appréhendera peut être différemment cet apprentissage à l’avenir.

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