Section 2 : Modalités de préparation du sujet anatomique

Les techniques de l’étude anatomique

Dissection

Jusqu’au début du XXe siècle l’observation anatomique se basait essentiellement sur la dissection de cadavres humains. Les dissections étudient l’anatomie de l’individu mort (relâchement des structures musculaires et viscérales) et nécessitent, lors de sa réalisation, un enregistrement précis et continu des observations puisque la structure anatomique est progressivement détruite par le processus même de dissection. Ces observations sont rassemblées dans des représentations artistiques de l’anatomie dont certaines sont très anciennes : gravures, peintures, modèles en cire, en plâtre ou en papier mâché. Ces réalisations à but didactique aboutissent souvent à de véritables chefs d’œuvre qui témoignent un sens aigu de l’observation et la capacité de représenter les observations. L’anatomie, en particulier celle des os et des muscles, est par ailleurs une connaissance indispensable pour les peintres et les sculpteurs (anatomie artistique). Des artistes célèbres comme Léonard de Vinci sont ainsi à l’origine de nombreux travaux anatomiques.

La dissection peut être complétée par des injections de différents colorants dans les cavités du corps humains  et la réalisation de moules (plâtre, résines…).

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Figure 2-15

Dissection classique

Préparation anatomique démontrant le contenu du thorax (1 = aorte, 2 = poumon gauche, 3 = cœur, 4 = poumon droit) et de la base du cou. Conservation après fixation dans un bain d’alcool. Préparation issue des collections anatomiques de l’Université de Liège.

L’étude anatomique est appuyée par la réalisation de sections suivant des plans précis mais également à différents niveaux, offrant une image des rapports respectifs des structures constitutives dans un plan donné, correspondant à une coupe dite « anatomique ». Ces sections sont réalisées sur des spécimens congelés (figure 2-16).

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Figure 2-16                                Section anatomique
Tranche de section de 10 cm d’épaisseur du thorax humain sectionné par deux plans transversaux parallèles. Observation du haut vers le bas montrant antérieurement le sternum (1) et postérieurement une vertèbre thoracique (6), au centre (médiastin) la division de l’artère pulmonaire (9) face aux bronches souches (5). L’aorte est visible (2 puis 7) ainsi que l’arrivée de la veine cave supérieure (3). Latéralement se trouvent  les deux poumons (4 et 8) au sein des sacs pleuraux.

Conservation après fixation dans un bain d’alcool. Préparation issue des collections anatomiques de l’Université de Liège.

Les pièces disséquées ainsi que les sections sont plongées dans un bain de fixateur (comme la formaldéhyde), qui empêche la dégradation des composants organiques, puis conservées dans de l’alcool (figures 2-15/16). Dans certains cas, avant cette fixation, une étape complémentaire permet d’éliminer certains composants : digestion enzymatique (comme le retrait du tissus adipeux) ou bien destruction par des agents chimiques ou physique (préparation des pièces osseuses). La manipulation des pièces ainsi conservées dans un milieu liquide est difficile et les fixateurs de même que les liquides de conservation peuvent être toxiques. La technique de plastination permet d’obtenir des pièces anatomiques aisément manipulables, conservées au sec et inaltérables. Dans ce procédé, la pièce obtenue par dissection minutieuse est débarrassée de son eau par un bain sous vide d’acétone. Cet acétone est ensuite remplacé par une matière plastique (résine époxy ou caoutchouc à la silicone) qui sera polymérisée dans des conditions de température ou d’illumination spécifiques. Ce procédé permet également de réaliser des sections fines semi transparentes du corps entier, des conservations d’organes, de pièces disséquées complexes etc…

La pratique de la dissection reste encore très utile pour l’apprentissage de l’anatomie de base et plus particulièrement pour la maîtrise de l’anatomie médicochirurgicale.

Imagerie médicale

L’étude moderne de l’anatomie doit cependant beaucoup aux techniques d’imagerie médicale réalisées à titre diagnostic sur des individus vivants. L’imagerie médicale est née avec la découverte des rayons X, capables de réagir avec une plaque argentique après avoir traversé le corps humain. La plaque argentique développée donne une image en 2D des constituants du volume (3D), en fonction de leur absorption, projetée sur un plan (figure 2-17).

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Figure 2-17

Radiographie simple

Le générateur de rayons X (RX) (1) envoie un rayonnement incident (2). Les différents composants du volume réalisent une absorption variable du rayonnement en fonction de leur constitution. Le rayonnement qui en résulte (3) réagit avec la plaque photographique (4) pour donner une image en 2D, somme des absorptions réalisées par le volume traversé.

Plusieurs incidences sont nécessaires pour rendre compte des trois dimensions (figure 2-18). La description radiologique utilise un langage spécifique. De manière classique, l’image est en « négatif », l’air contenu dans le corps n’arrête pas les rayons X qui impriment les grains d’argent. Ils apparaissent noirs mais constituent une clarté radiologique. A l’inverse, les structures osseuses absorbent les rayons X, leur silhouette projetée sur le film radiologique donne une série de grains d’argent « protégés » du rayonnement. Cette silhouette apparaît blanche et l’on parle d’opacité radiologique.

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Figure 2-18                         Combinaison d’incidences perpendiculaires

La projection radiologique donne une image 2D superposant les structures situées dans l’axe du rayonnement. La combinaison de plusieurs clichés en incidences perpendiculaires est nécessaire afin de restituer l’ensemble des données 3D. Le cliché de face permet d’étudier les rapports céphalo-caudaux et latéraux, et le cliché de profil complète l’analyse avec les rapports antéro-postérieurs. Par exemple, l’objet vu sur le cliché de face (fourchette) est localisé non pas dans le thorax mais, comme le montre le cliché de profil, sur la face antérieure de la paroi thoracique.

La capacité d’absorption des rayons X par les constituants du corps humain peut être modifiée par des agents, le plus souvent radio-opaques, instillés dans les cavités naturelles ou injectés dans le torrent circulatoire.

Les images peuvent être générées en utilisant d’autres vecteurs : réflexion des ondes sonores (ultrasons, échographie), enregistrement des ondes électro-magnétiques après stimulation par un champ électro-magnétique (imagerie par résonance magnétique ou IRM).

Dans le processus initial de tomographie, un mouvement de translation inverse est appliqué respectivement à la source de rayons X et à la plaque argentique. L’image ainsi obtenue est essentiellement générée par l’absorption des structures située dans le plan « charnière » de cette translation et ne correspond plus à la somme des absorptions du volume entier projetées sur la plaque. On parle ainsi d’une coupe tomographique (figure 2-19).

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Figure 2-19

Le principe de la coupe radiologique : tomographie simple

Suite au mouvement inverse de la source des RX et du film radiologique (1) par un plan charnière * (2), les points situés dans ce plan charnière (points A et A’) se projettent sur un endroit constant du film (points a et a’) et apparaissent nets. Par contre, les points situés en dehors de ce plan (B) donnent une projection variable sur le film (b1 et b2). Ils apparaissent flous et sont comme gommés de l’image (3) ainsi obtenue.

Les progrès de l’imagerie, liés à ceux de l’informatique, permettent aujourd’hui de balayer (scan) rapidement une région ou l’ensemble du corps humain pour réaliser une étude tomographique étendue à tout le volume, et non à un seul plan de ce volume. Ces données permettent de construire des représentations multiples du corps humain, de ses composants et de leurs volumes respectifs. Ces représentations prennent la forme de séries de coupes, de volumes reconstitués (réalité virtuelle visible sur un écran ou via un casque de réalité virtuelle), voire de pièces manipulables après impression 3D. De façon simplifiée, le corps humain peut être assimilé à un ensemble de microvolumes. Chacun de ces microvolumes est caractérisé à la fois par une position dans l’espace et par une propriété physicochimique particulière liée à sa constitution tissulaire (absorption des rayons X, réflexion des ultrasons, émission magnétique…) (figure 2-20).

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Figure 2-20

Le principe du scanner (1)

Les microvolumes dessinant le cœur ont une absorption des RX plus importante que ceux définissant les poumons qui contiennent de l’air (1). Chaque microvolume occupe une position précise (2) qui est enregistrée en même temps que ses propriétés d’absorption lors du balayage radiologique (TDM) (3).

Tout comme pour les radiographies simples, ces propriétés physicochimiques peuvent être artificiellement modifiées par l’injection de contraste dans le circuit vasculaire ou dans les cavités naturelles. Lors de la réalisation d’une tomographie computerisée la position des différents microvolumes et leurs propriétés physicochimiques sont enregistrées. Les ordinateurs s’appuyent sur la position spatiale de ces micovolumes couplée à une représentation graphique de leurs propriétés physicochimiques (suivant un code colorimétrique ou une échelle de gris) pour construire des séries de coupes ou une reconstruction tridimensionnelle (figure 2-21).

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Figure 2-21

Le principe du scanner (2)

Sur base des données spatiales et physicochimique, l’ordinateur génère des coupes suivant le plan choisi, transversal (A) ou sagittal (B).

L’ensemble des données acquises est rapidement traité par un ordinateur. Sur un enregistrement donné, le radiologue peut alors étudier une région sous forme de coupes réalisées suivant un ou plusieurs plans parallèles ou non (analyse par coupes sériées ou de type multiplanaire) (figure 2-22/23).

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Figure 2-22

Analyse multiplanaire (1)

L’observateur analyse à l’écran un point précis dont les coupes par les trois plans classiques orthogonaux lui sont présentées. En analysant les coupes transversales, au fur et à mesure qu’il fait les défiler, le niveau correspondant à chaque coupe se modifie sur les deux images restantes, l’une sagittale, l’autre frontale (déplacement de la ligne violette matérialisant le plan transversal).

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Figure 2-23

Analyse multiplanaire (2)

L’observateur peut également modifier sur une des vues les plans de coupes. Les plans restent orthogonaux entre eux et les coupes qui en résultent sont directement affichées. Ici, l’observateur sur la coupe transversale, tourne de 45° le plan sagittal (ligne orange). Les plans sagittal et frontal deviennent de simples plans verticaux, respectivement vertical 1 (orange) et vertical 2 (bleu). Il peut ensuite voyager dans une des tois séries, le niveau de la coupe qu’il étudie s’inscrit automatiquement sur les deux autres images.

Lors du processus de scannage l’ordinateur assimile un microvolume à un point en lui donnant la valeur moyenne d’absorption observée dans ce microvolume. L’image est donc « construite » ce qui peut générer des artéfacts. L’épaisseur de la coupe doit être prise en compte, plus elle est petite, plus la coupe se rapproche d’une véritable coupe d’épaisseur virtuelle.

Le traitement informatique des données acquises lors d’un examen de scanner permet de sélectionner certaines structures (comme le squelette, le système urinaire, le système cardiovasculaire…) et d’en réaliser une reconstruction en 3D (figure 2-24). Ainsi, on peut observer électivement le système osseux, le système urinaire ou le système vasculaire d’un patient sous forme d’un modèle 3D par exemple. Une impression 3D de ces structures est possible et permet de créer des prothèses adaptées à certaines reconstructions.

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Figure 2-24

Exemples de reconstruction 3D

Quatre images extraites d’une reconstruction virtuelle 3D de l’abdomen à partir d’un examen de TDM. Les cubes indiquent les vue sélectionnées d’antéro-latérale G à antéro-latérale D en passant par une vue de face. 1 = rein gauche, 2 = foie, 3 = rate, 4 = aorte, 5 = artère iliaque commune.

Aujourd’hui, les données issues de ce type d’examen médical peuvent être combinées avec l’observation faite par le chirurgien lors d’une intervention. En salle d’opération, le neurochirurgien voit sur les clichés de son IRM interventionnelle la position de ses instruments par rapport à une tumeur enfuie dans un hémisphère cérébral. Le chirurgien hépatique voit apparaître, sur son écran coelioscopique à vision 3D, la vascularisation du foie qui se dessine par transparence sous la surface du parenchyme qu’il observe.

Toutes ces techniques fournissent des données dans des buts diagnostiques et thérapeutiques mais elles offrent aussi des illustrations incomparables de l’anatomie réelle du vivant.

L’anatomie microscopique (histologie) est également étudiée sur la base de coupes réalisées sur des fragments de tissus. L’étude n’est possible que sur des pièces tissulaires de petite taille (échantillons cubiques centimétriques, embryons…). Les coupes sont fines et observées par transparence au microscope. Les possibilités de coloration sont multiples : les composants sont mis en évidence suivant leur structure chimique, leur capacité enzymatique ou leur composition antigénique par exemple. L’observation microscopique est aujourd’hui couplée à un enregistrement digital. Ici aussi, grâce à l’utilisation de l’ordinateur et de coupes sériées, des reconstructions tridimensionnelles sont réalisables. Dans le cas des animaux de petite taille ou d’embryons, la reconstruction tridimensionnelle donnera une image 3D complète du spécimen étudié.

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